Blocage des prix des produits de première nécessité : ça n’a JAMAIS marché nulle part, qu’à cela ne tienne, l’Assemblée nationale le tente<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme passe devant un panneau d'information sur le gel des prix face à l'inflation dans un centre commercial de Budapest, en Hongrie, en février 2022.
Un homme passe devant un panneau d'information sur le gel des prix face à l'inflation dans un centre commercial de Budapest, en Hongrie, en février 2022.
©ATTILA KISBENEDEK / AFP

Florilège de catastrophes

Dernier exemple en date, la Hongrie, où le gel des prix les a… fait flamber.

Alexis Karklins-Marchay

Alexis Karklins-Marchay

Alexis Karklins-Marchay est chargé d'enseignement en finance à l'ESCP et à l'université de Caroline du Nord (États-Unis). Franco-américain, Alexis Karklins-Marchay est diplômé de Paris-Dauphine. Il est l'auteur de plus d'une centaine d'articles de finance, d'histoire et d'économie ainsi que d'ouvrages de théorie économique et de littérature.

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Atlantico : En Hongrie, le gel des prix alimentaires de base ne fait qu'accentuer l'inflation. Comment l’expliquer ?

Alexis Karklins-Marchay : Le cas hongrois n’est pas une surprise car dès que l'on met un plafonnement sur les prix, cela produit quasiment toujours les mêmes effets. On comprend bien l’idée qu’il y a derrière : bloquer les prix parce que l’on considère que certains biens doivent être accessibles à tout le monde face à une inflation douloureuse. Le politique se dit ainsi qu’il met les entreprises sous pression au profit des consommateurs. Sauf que de multiples effets négatifs se mettent en place. Un prix, ce n’est pas juste le coût pour le consommateur, c’est aussi un signal envoyé au producteur. Et les politiques oublient parfois que le prix est une information qui permet la rencontre des deux parties. Si l’on dit au producteur que le prix d’un bien va être plafonné, il va réallouer sa production vers d’autres produits où il fait plus de marges ou il va augmenter les prix d’autres produits. Par ailleurs, le choix des produits à prix bloqué est toujours un peu arbitraire. Le second effet que l’on peut observer, c'est l’arrêt même de la production et des échanges…. Cela entraîne une réduction de l’offre qui crée alors un effet de pénurie… et qui tend à provoquer une augmentation des prix ! Autrement dit, en bloquant les prix, on alimente le phénomène inflationniste que l’on souhaitait justement combattre.  Et ce sont les plus modestes qui finissent par en pâtir. Il serait bon de garder en tête qu’avoir des prix abordables vient avant tout de l’abondance de biens. C’est la concurrence qui favorise une baisse des prix.

Quels exemples avons-nous de ces mécanismes ?

Alexis Karklins-Marchay : Anne de Guigné vient de sortir un livre Ils se sont si souvent trompés (Editions du Rocher) qui relate de façons très didactique dix erreurs de politique économique dans l’histoire. Le premier chapitre porte justement sur la politique de Dioclétien, empereur romain qui voulut bloquer les prix pour lutter contre l’inflation. Cette politique ne fit en réalité que l’accroître. On a connu bien sûr les mêmes phénomènes dans tous les régimes collectivistes et communistes. L’économie administrée, cela ne marche pas et cela ne marchera jamais. On l’a vu en URSS, dans tous les pays ex-communistes ou au Venezuela. On peut aussi citer le cas plus récent de l’Argentine qui depuis plusieurs années tente de faire face à l’inflation en bloquant les prix, notamment des biens agricoles. Conséquence : les producteurs se sont dans un premier temps mis à exporter pour obtenir de meilleures marges… conduisant les gouvernements à interdire les exportations ! Cercle vicieux puisque les producteurs réduisent alors leurs productions, entraînant des pénuries. L’Argentine avait pourtant tout pour réussir, mais elle est tombée dans la démagogie la plus crasse et cela s’est traduit par des politiques économiques aux conséquences catastrophiques.

Et ça ne s’applique-t-il qu’à l’alimentaire ou d’autres postes comme le logement aussi suivent-ils la même logique ?

Alexis Karklins-Marchay : L’une des raisons des pénuries de logements à Paris (outre le prix du foncier et le poids des normes), c’est le plafonnement des loyers. Pour un propriétaire, c’est beaucoup moins intéressant de louer à prix plafonné. Cela freine la fluidité du marché immobilier et conduit à rendre moins intéressante la construction de nouveaux logements, ce qui crée là encore un effet de pénurie. Phénomène observé dans de nombreuses métropoles. La loi de l’offre et la demande présente certes de multiples limites et imperfections mais elle reste valable dans beaucoup de domaines.

Comme je le rappelle dans mon dernier livre, Pour un libéralisme humaniste (Presses de la Cité), le cas de l’Allemagne de l’après-guerre est instructif. Les prix sont alors bloqués sur décision des Alliés pour tenter de juguler l’inflation qui frappe le pays en ruines. Cela a pour effet de décourager les artisans et les industriels qui préfèrent ne pas produire ou se tourner vers le marché noir, voire le troc. Cette insuffisance d’offre génère alors une pénurie générale. Comme en plus, la monnaie ne vaut alors plus rien du fait d’un endettement massif.... Les économistes ordolibéraux, qui conseillent le ministre des finances de l’époque Ludwig Erhard, vont lui recommander d’adopter une nouvelle monnaie mais surtout de libérer les prix. Les Alliés furent sceptiques mais Erhard sut les convaincre. En juin 1948, les prix furent rendus libres et le Deutsche Mark fut mis en place. En quelques semaines, le troc et le marché noir disparurent. Cela provoqua bien sûr d’abord un phénomène inflationniste, mais après quelques mois, ce phénomène disparut car la production avait enfin repris, les biens furent de retour dans les magasins et la hausse des prix finit par se ralentir. Souvenons-nous que le miracle économique allemand eut notamment pour origine cette libéralisation des prix.   

L’Assemblée nationale a voté, avant que le texte soit rejeté, de bloquer les prix de l’alimentaire. L'Assemblée nationale a finalement rejeté jeudi après-midi des mesures de blocage des prix alimentaires et un "panier inflation", que les écologistes avaient réussi à faire passer de justesse par amendements dans la matinée contre l'avis du gouvernement. Pourquoi cette velléité ?

Alexis Karklins-Marchay : Cela témoigne selon d’une forme de démagogie consistant à simplifier à outrance ou à ignorer les mécanismes économiques. C’est très électoraliste et cela montre une vraie méconnaissance de la façon dont se forment les prix et de ce qu'ils représentent. Il y a une croyance française selon laquelle le politique domine l’économie, mais il est difficile d'appréhender toutes les conséquences d’une loi ou d’une mesure sur l’activité d’un secteur ou d'une nation. Nous nous arrêtons trop souvent à la symbolique et nous semblons nous ficher des conséquences réelles. Surtout que la France a un certain chic de vouloir corriger une erreur de politique économique par encore plus d'État, de contraintes et d’administration.

Le blocage des prix, une bonne idée ?

Florilège de ses plus grands succès à travers l'histoire.

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Cobra Effect : Il y a 2 ans, l'Argentine bloquait le prix de la viande. Les éleveurs ont alors préféré exporter.

Quand le gouvernement interdit les exportations, la viande revînt dans les rayons. Mais le gras avait remplacé le muscle...

Ce qui n'est pas dans le prix, l'est dans la qualité.

L'Irlande, de son côté, a bloqué le prix des loyers et interdit les expulsions.

Résultat, en août dernier, il n'y avait que 716 maisons disponibles à la location dans tout le pays. Les visiteurs étaient sélectionnés par loterie.

Oui, c'est eux qui font la queue.

En 2007, pour contrer une inflation de 9000%, le Zimbabwe décide de bloquer les prix. Et pénalise les entreprises qui ne s'y plient pas.

La plupart décident de cesser leur activité.

Nourriture, essence... en quelques semaines, il n'y a plus rien.

Mêmes causes, mêmes effets : en 2013, les Vénézuéliens font la queue pour manger.

Et ils n'ont plus de PQ.

Au Cameroun, devant la difficulté à construire, on bloque le prix du ciment.

Les entreprises quittent le marché, il n'y a plus de ciment, on ne peut plus construire.

Aujourd'hui, le gouvernement regrette le manque de concurrence dans le secteur du ciment.

Au Sri Lanka, le gouvernement interdit les pesticides et plomba les récoltes. Devant l'envolée des prix, il tenta le blocage.

Ce fut pire, les agriculteurs préférant garder leur riz pour eux. Après avoir tenté de les forcer, il fit machine arrière.

Mais ces tentatives ne datent pas d'hier :

en 1793, les sans-culottes s'indignant des pénuries, la loi impose un prix maximum pour les produits de première nécessité.

Instantanément, les magasins se vident. Ça finira selon les traditions de l'époque.

Rome antique, déjà :

pour contrer la cupidité, en 301, l'empereur romain Dioclétien impose un prix maximum à plus d'un millier de produits.

Comme d'habitude, ça n'a aucun effet : les pénuries s'aggravent, le troc se généralise.

Des exemples comme ceux-ci, on pourrait en citer des milliers.

La preuve : j'ai réussi à faire un thread sans parler des pénuries soviétiques.

Pour retrouver le Thread de Cobra Effect : cliquez ICI

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