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Birmanie : malgré l'élection d'Aung San Su Kyi, l’ouverture démocratique n’est qu’une illusion
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Contrecoup

Certains analystes comparent les réformes en cours en Birmanie à la perestroïka engagée par Mikhaïl Gorbatchev en Union Soviétique dans la deuxième moitié des années 1980. Mais les réformes et mesures adoptées relèvent surtout de l'emblématique même avec l'élection d'Aung San Suu Kyi. Après des mois d'euphorie, la Birmanie risque de connaitre une longue période de mélancolie...

Thierry Falise

Thierry Falise

Thierry Falise est un photo-journaliste indépendant établi à Bangkok depuis 1991.

Il couvre l'Asie du Sud Est et l'Inde pour des journaux et magazines du monde entier ainsi que des télévisions francophones.

Il a écrit plusieurs livres (en français) sur la Birmanie, pays qu'il couvre depuis 25 ans dont :

-  Le jasmin ou la Lune (biographie d'Aung San Suu Kyi), 2007, Florent Massot, édité en poche chez J'ai Lu.

Burmese Shadows, livre photo sur 25 ans de reportage en Birmanie, à paraître (en anglais) chez McNidder & Grace, Septembre 2012.

www.thierryfalise.com

 
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Certains analystes comparent les réformes en cours en Birmanie à la perestroïka engagée par Mikhaïl Gorbatchev en Union Soviétique dans la deuxième moitié des années 1980. Il serait sans doute plus judicieux de faire un parallèle avec le démantèlement de l'apartheid en Afrique du Sud mené grâce à l'alliance a priori contre nature entre le chef d'une opposition radicale, Nelson Mandela, et un apparatchik issu du système, le président Frederik De Klerk. En Birmanie, on retrouve un duo semblable avec Aung San Suu Kyi - à la différence de Mandela elle a toujours prôné la lutte non violente - et le nouveau président Thein Sein.

Les réformes et gestes d'ouverture entrepris depuis 2011 par le nouveau pouvoir "démilitarisé" sont réels et sans précédent dans un pays soumis depuis près d'un demi-siècle à un régime totalitaire d'un autre âge: assouplissement de la censure dans la presse, libération de plus de 600 prisonniers politiques, droit de grève, cessez-le-feu avec des minorités ethniques, organisation modèle d'élections partielles qui ont permis entre autres l'élection d'Aung San Suu Kyi au Parlement, etc.

Cette vague réformiste a surpris tous les observateurs. Pourquoi maintenant ? Sans doute y-a-t-il d'abord la volonté du gouvernement birman de rééquilibrer, au profit entre autres de l'Occident, ses relations économiques avec une Chine devenue à ses yeux beaucoup trop envahissante. Souhait également de la part de certains dirigeants plus ouverts sur l'extérieur d'améliorer la réputation déplorable de leur pays, notamment dans la perspective de la présidence de l'Association des Nations d'Asie du Sud Est (ASEAN) en 2014. Cette réputation, nourrie jour après jour par d'incessantes violations des droits de l'homme s'était, si c'était encore possible, considérablement ternie à la suite de la violente répression contre des moines et civils désarmés lors des grandes manifestations de septembre 2007 et de la gestion catastrophique, au moins lors des premières semaines, des conséquences du cyclone Nargis en 2008.

Aung San Suu Kyi ne s'est à ce jour pas confiée dans les détails sur sa décision assez inattendue d'accompagner le changement. Quelques semaines avant sa première rencontre avec Thein Sein en août 2011, on la disait démoralisée et sans illusion sur les nouveaux dirigeants civils. Elle a toutefois tenu par la suite à affirmer publiquement sa confiance en Thein Sein. L'ancien général - et ex Premier ministre - a toujours bénéficié d'une relative bonne réputation comparé à ses pairs. Considéré comme un des officiers les moins corrompus de la junte, il avait aussi, lors de la crise post-Nargis, personnellement mis en oeuvre des projets de réhabilitation alors que plusieurs de ses collègues s'étaient remplis les poches avec l'aide internationale.

L'embouteillage ces derniers mois à Yangon (Rangoun)et dans la capitale Naypyidaw de chefs d'Etat, ministres, diplomates et hommes d'affaires étrangers, essentiellement Occidentaux et Asiatiques - dont beaucoup viennent d'abord pour se faire prendre en photo avec Aung San Suu Kyi - est encourageant mais il ne justifie pas une baisse de la vigilance. Plusieurs centaines de détenus politiques croupissent toujours en prison. Dans le nord du pays, un cessez-le-feu vieux de 17 ans avec les Kachins, importante minorité, a volé en éclat en juin 2011, provoquant la reprise d'un conflit avec son défilé de morts et de réfugiés. 

Des questions centrales se posent toujours au sujet de l'armée. Y répondre devrait permettre de cerner davantage la marge de manoeuvre dont peut bénéficier Thein Sein. Quelle place les militaires veulent-ils s'approprier dans une Birmanie civile (au-delà des 25% de sièges que la constitution leur octroie automatiquement au parlement) ? Les officiers qui des décennies durant se sont constitués des rentes de situation parfois fabuleuses sont-ils prêts à y renoncer ? Quel rôle joue encore le vieux général Than Shwe, ancien numéro un de la dictature, dont la rumeur le dit un jour agonisant, le lendemain tirant les ficelles du théâtre politique ? La lutte entre réformateurs et durs du régime est-elle réelle ou n'est-elle, comme certains l'affirment, que de la poudre aux yeux destinée à donner l'illusion d'une ouverture et à masquer un rôle toujours prépondérant des militaires radicaux ?

Certains signaux ne portent guère à l'optimisme. Les injonctions de Thein Sein aux officiers détachés dans l'Etat Kachin de cesser le combat sont restées jusqu'à présent lettre morte. Le dernier budget national, même s'il augmente la part dédiée à l'éducation et la santé, parents pauvres des juntes successives, octroie toujours un quart des fonds à l'armée.

A ce jour, les réformes et mesures, si importantes qu'elles soient, relèvent plutôt de l'emblématique. Les programmes structurels restent à mettre en oeuvre. A commencer par une remise à plat de l'économie. Un demi siècle de gestion inepte a fait de ce pays, potentiellement un des plus riches de la région, un désert économique où les deux tiers de la population vivent dans la pauvreté.

Après des mois d'euphorie, la Birmanie risque de connaitre une longue période de mélancolie. La situation économique et sociale d'une grande majorité de la population ne s'est guère améliorée, le flou et le bricolage restent la règle en matière d'investissement, les infrastructures hôtelières sont saturées,... "Le nouvel Eldorado asiatique", comme le vantent des affairistes, ne pourrait être qu'un miroir aux alouettes.

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