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Les bancs grillagés à Angoulême ont fait polémique
Les bancs grillagés à Angoulême ont fait polémique
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Culture de la parole

Nous dénonçons l'inégalité entre les hommes et les femmes, l'exploitation des enfants et la pauvreté dans la rue, mais nous n'agissons que très peu. Une ambivalence qui s'explique par la confrontation entre morale de conviction et morale de responsabilité, et qui peut devenir un frein à la résolution de ce qui nous indigne.

Julien Damon

Julien Damon

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur au Échos

Fondateur de la société de conseil Eclairs, il a publié, récemment, Les familles recomposées (PUF, 2012), Intérêt Général : que peut l’entreprise ? (Les Belles Lettres),  Les classes moyennes (PUF, 2013)

Il a aussi publié en 2010 Eliminer la pauvreté (PUF).

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Sylvie  Chaperon

Sylvie Chaperon

Sylvie Chaperon est professeur d’histoire contemporaine du genre.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Bérénice Levet

Bérénice Levet

Bérénice Levet est philosophe et essayiste, auteur entre autres de La Théorie du Genre ou le monde rêvé des anges (Livre de Poche, préface de Michel Onfray), le Crépuscule des idoles progressistes (Stock) et vient de paraître : Libérons-nous du féminisme ! (Editions de L’Observatoire)

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La pauvreté en France

Atlantico : Dans nos rues, la pauvreté est présente partout. Pourtant, les citoyens semblent de moins en moins concernés par cette pauvreté, sauf lorsqu'elle fait la Une du journal de 20h. Comment peut-on expliquer que les citoyens se disent à majorité émus par la situation extrêmement précaire des plus fragiles, comme cela a été le cas lors de l'indignation généralisée à l'encontre des "grilles anti-SDF" à Angoulême,  alors que nous restons dans le même temps dans un immobilisme latent ?

Julien Damon : On parle de la pauverté en France depuis 30 à 40 ans, notamment depuis les années 70' lorsque la question de la nouvelle pauvreté a été soulevée. Depuis, il y a eu des initiatives privées ("Les Restos du Coeur") et des initiatives publiques (la création du RMI, du RSA et la couverture de la maladie universelle).  On sait donc que l'Etat, comme les particuliers, agissent beaucoup depuis un certains temps. Mais on ne parle de la pauverté qu'à l'occasion des polémiques, comme cela a été le cas à Angoulême, ou de controverses techniques sur les prestations sociales. 

La plus grande hypocrisie  c'est que l'Etat providence est peu performant en matière de réduction de la pauvreté, alors que nous sommes le pays au monde le plus généreux en matière de politique sociale. L'Etat providence est obèse mais sans que cela ait un quelconque résultat sur la réduction du taux de pauvreté. En France, 1/5 des enfants, c'est-à-dire, 20% des jeunes de moins de 18 ans vivent sous le seuil de la pauvreté. 

Par ailleurs, on s'habitue à la pauvreté dans la rue, c'est ce que l'on appelle "le paradoxe du passant". A force de voir des gens pauvres, on rejette la responsabilité sur autrui. On se dit que ce n'est pas à nous de faire quelque chose mais à la collectivité public ou à la personne située à côté de moi. C'est le même problème dans les transports, lors d'une agression, on sera d'autant moins aidé qu'il y a de personnes alentours. 

On pense que la pauvreté est liée à la problématique du chômage, or il existe deux autres phénomènes : la transformation familiale (où ce sont les familles monoparentales qui sont le plus touchées) et les problématiques migratoires (les jeunes diplômés quittent la France quand d'autres jeunes immigrés à faible niveau de qualification rentre sur le territoire). Ces trois phénomènes provoquent un appauvrissement de la France... 

Bérénice Levet L’émotion peut être sincère. Le spectacle de la pauvreté dans nos rues nous heurte. Quant à l’indignation vertueuse et publique, celle des artistes, des intellectuels notamment, elle est  un miroir embellissant dans lequel nous aimons à nous contempler. Mais l’action suppose de se confronter au réel, un réel par essence équivoque, compliqué. Dès lors que l’on veut agir,  la morale de conviction est forcée de céder la place à la morale de  responsabilité, pour reprendre la distinction de Max Weber.

Les indignés, et puisque vous faites allusion aux "grilles anti-SDF" à Angoulême, les dessinateurs et autres invités habituels du Festival de la Bande dessinée qui se sont mobilisés contre le maire, invoquent de nobles principes, mais ils ne sont nullement concernés par la situation sur le terrain. Guy Bedos en a encore donné un  remarquable exemple la semaine dernière à Calais !  Ils se font les porte-paroles abstraits des Droits de l’homme et oublient que les politiques ont à répondre de la réalité vécue :  "Etre citoyen au sens fort et astreignant, disait Vaclav Havel, c’est être essentiellement ouvert à une responsabilité".

Guylain ChevrierSi la force symbolique des grilles entourant les bancs pour empêcher de s’y assoir a eu un effet déplorable, donnant une impression de provocation contre la pauvreté, il en est allé surtout d’une lecture de celles-ci qui, par grands médias interposés, a été le fait de tous les amalgames. Ce n’est pas par exemple à Angoulême que la décision a pu être prise d’enlever les grilles entourant les bancs en question, mais une pression venue d’ailleurs qui tient à un sentiment d’injustice dont ces grands médias font leur bonne conscience, sans se préoccuper de la réalité de ce qui se joue localement, à proprement parlé. A leurs yeux peu importe d’ailleurs ! Dans les reportages, on n’a pas vu les SDF et surtout pas non plus les dealers qu’on entendait ainsi dissuader, maladroitement, de faire leur trafic. Ces prescripteurs d’opinion jouent de bons sentiments sans rien remettre en cause, bien au contraire derrière leur indignation, du système inégalitaire qui crée cette pauvreté et ces maux. Ces bons sentiments sont même le plus sur moyen de faire oublier la cause à l’origine des inégalités dont les sans abris sont simplement, malheureusement, les victimes les plus voyantes.

La géométrie variable de l'indignation

Chacun de nous porte des vêtements bon marché, dont la plupart des tissus ont été assemblés dans des usines faisant travailler de jeunes enfants dans des conditions difficiles. Nous nous émouvons de la situation de ses "esclaves du travail", première victime de la mondialisation et du capitalisme, pourtant nous ne changeons pas notre mode de consommation. Par ailleurs, certains conflits dans le monde suscitent d'avantage l'indignation tandis que d'autres sont soumis au silence médiatique. 

Bérénice Levet : Il y a en nous la belle âme et de l’autre le consommateur, lequel oublie ses grands principes et fait prévaloir son intérêt personnel sur toute autre considération lorsque son économie domestique est en jeu. Et pourtant, s’il est un domaine où, pour  le coup, nous pouvons exercer notre responsabilité individuelle, c’est bien sur ces actes du quotidien.  On ne peut d’un côté, donner de grandes leçons à nos politiques,  et de l’autre, faire exception de soi lorsque nous sommes directement impliqués. Nous retrouvons cette même hypocrisie dans le domaine de l’écologie. Notre vertu s’arrête là où commence notre bien-être.

>> Au sujet de l'indignation variable, nous avons interviewé Béatrice Giblin, le 9 août 2014, lors du boycott du conflit au Proche-Orient, par les associations de protection des droits de l'homme. Elle nous donnait des exemples de peuple qui luttent pour le droit mais ne bénéficient pas de la même couverture médiatique que celui du conflit isréalo-palestinien.

Notre rapport schizophrénique à l'Etat

D'aucuns se plaignent de l'intervention de l'Etat en économie ainsi que dans les questions de société. Certains jugent qu'il intervient trop dans les domaines relevant de l'intime. Pourtant, dès que la société se trouve en difficulté , c'est à l'Etat que l'on fait appel pour être juge et arbitre. 

Jacques Bichot :L’État intervient beaucoup, souvent en compliquant la vie des gens, et pas toujours de façon efficace. Cela engendre un ras-le-bol. Mais, malgré tout, la diminution des solidarités de proximité (famille, amis, village, etc.) crée un vide : beaucoup se tournent vers l’État pour remplir ce vide.

Et puis il existe une émulation : en voyant tout ce que l’État dépense pour certains, et tout ce qu’on lui paye comme impôts, on a envie de n’être pas seulement parmi les contributeurs, mais aussi parmi les bénéficiaires. D’où cette espèce de schizophrénie : on voudrait que l’État intervienne moins pour les autres en général et davantage pour nous en particulier. 

Julien Damon : En France, on estime que l'intervention de l'Etat est trop important pour les autres mais jamais pour soi. Pour reprendre une célèbre citation "L'égalité ne devient une injustice que lorsque je n'en bénéficie pas".  L'hypocrisie apparaît lorsque l'on souhaite qu'il y ait moins d'Etat mais surtout pas pour soi. 

Il existe une autre forme d'hypocrisie, cette fois-ci économique, avec une mentalité anti-néolibérale en France. Certains disent que la France est en permanence victime d'une vague néolibérale, d'une vague d'austérité et de rigueur. Or ce discours est faux, il suffit notamment de regarder la macroéconomie du pays. Nous avons une dépense public qui ne fait qu'augmenter et une dette public qui est à hauteur de 100% du PIB, je ne vois donc pas comment on peut oser parler de libéralisme à la française dans ces conditions-là. Plus le temps passe, plus nous nous socialisons, même lorsque certains crient que le pays est en voie de libéralisation. 

Bérénice Levet La société se plaint de l’intrusion de l’Etat et s’empresse de le solliciter dès lors qu’elle rencontre une difficulté. Là encore dès lors que la responsabilité individuelle est requise, il n’y a plus personne. Nous entretenons en outre un rapport extrêmement infantile à l’Etat, un Etat dont on ne cesse de fustiger l’impuissance et qui, en même temps, est perçu comme le spécialiste de la solution des problèmes. Nous en attendons tout et nous savons qu’il ne peut sinon rien, pas grand-chose !

Guylain ChevrierEn France, l’Etat, c’est l’autorité. Il détient le monopole du pouvoir politique et juridique. La décentralisation avec ses collectivités territoriales, pouvoirs locaux élus, n’a réalisé qu’un transfert de pouvoirs administratifs bien que librement gérés, un pouvoir exécutif donc, par celui de faire la loi ni de la rendre. Aussi, la République est unitaire, la même loi s’applique à tous et les mêmes droits et libertés sont donnés à chacun. Si l’Etat intervient pour réguler les excès du marché par son intervention à caractère social, ou encore s’il vient réglementer l’entreprise en matière de sécurité, c’est aussi pour assurer une certaine unité de la loi qui protège l‘ensemble de la société. Il est vrai que parfois il devient intrusif, déresponsabilisant l’individu au lieu de favoriser la pédagogie et l’éducation, comme l’aspect répressif du radar sur la route peut le faire ressentir ou encore le harcèlement dont sont l’objet les fumeurs (je ne fume pas) de façon grotesque. Les possesseurs de voitures diésel se voient mis en accusation de « crime contre la planète » pour pouvoir leur appliquer une hausse de ce carburant, après que l’Etat n’ai juré que par ce moyen de circulation pendant des années en incitant à s’en rendre acquéreur. Il en va ainsi des partis pris de l’Etat et des arguments qu’il se donne pour justifier son action, en la faisant ainsi de façon contre productive apparaitre comme injuste à certains endroits, alors que de façon générale, il agit plutôt de telle façon à garantir, bon an mal an, la cohésion sociale et l’intérêt général. En Espagne, Etat largement régionaliste, en cas de marée noire, l’Etat n’a qu’une responsabilité bien lointaine, ou encore aussi aux Etats-Unis en cas de catastrophe naturelle, où les protections collectives s’effacent derrière l’assurance privée qui traite les victimes selon leur état de richesse. L’individu ne saurait ainsi tout avoir, la liberté en tout et la protection de l’Etat pour tous. L’équilibre qui prévaut implique que la liberté de chacun s’arrêt là où commence celle des autres, sans oublier que cette liberté est aussi un bien commun qui vaut son pesant dont la responsabilité est collective, que l’Etat représente comme le gardien du temple. On sait que, par principe, la loi est toujours un équilibre subtil entre les exigences collectives et la liberté de l’individu, dont le risque existe toujours qu’elles viennent subvertir cette dernière, l’individualisme aussi.

Racisme et immigration

Le moindre débat portant sur l'immigration donne lieu à des polémiques, chacun s'accusant mutuellement de racisme. Dernier dérapage, celui d'Eric Zemmour au sujet de la place de l'Islam dans notre société. Au point de faire de ce personnage, un symbole de la détestation. Dans quelle mesure cet événement est révélateur d'une tendance française sur les sujets d'immigration et de racisme à dénoncer la politique spectacle tout en prenant un certain plaisir à s'y adonner ? 

Julien Damon : L'immigration est un sujet controversé et sensible. Tout le monde se tape dessus : on mélange allègrement immigration légale et illégale, population étrangère, on imagine des théories du "grand remplacement".  Or l'hypocrisie avec l'immigration, c'est de ne pas se rendre compte de l'incroybale pression migratoire qui existe sur la France. Pendant que les jeunes talents quittent notre pays, une partie des migrants à faibles revenus arrivent sur le territoire. Ce qui provoque de fait une transformation de la population que cela soit dans sa composition générale, ses revenus ou sa perspective d'avenir. 

On parle alors d'une hypocrisie du pouvoir : l'ensemble des hauts fonctionnaires en place le savent pertinemment mais ne diminuent que très peu la pression migratoire, tandis que les électeurs se plaignent d'une situation de plus en plus précaire. Ce qui provoque des polémiques sur l'immigration : on a le droit de parler de sujet et pas d'autres. 

Bérénice Levet Personne, en réalité, ne souhaite  prendre à bras le corps les questions politiques que posent l’immigration et le racisme. En lieu et place de la réflexion, se forment des coalitions sentimentales de soutien ou de rejet. La nuance est exécrée. Le spectacle permet d’escamoter le vrai débat – bien que le mot soit partout.

Guylain Chevrier : Le problème, dans le cas d’Eric Zemmour, c’est qu’il se prête au rôle d’épouvantail providentielle de la politique-spectacle sur des sujets comme l‘immigration ou le racisme, à la façon dont il les caricature en se référant à une France homogène du passé qui aurait été perdue et qu’il s’agirait de retrouver à tout prix. On trouve là tous les arguments pour en faire un repoussoir idéal à chercher plus loin et plus sérieusement à creuser le débat.

L’immigration est pourtant un vrai sujet, car la question de la maitrise des flux migratoires a à voir directement avec le principe selon lequel « toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation » (Art. 3 de notre Constitution). Il en va donc de la liberté du peuple de choisir son destin et d’en rester dans l’absolu le seul maître et donc, de ne pas s’en voir déposséder par le risque que pourrait comprendre une France sans frontières. C’est bien pourtant ce à quoi appellent le directeur de France terre d’asile et un certain nombre d’associations à caractère humanitaires ou gauchistes, et même certaines personnalités de l’Union européennes.

La façon dont Zemmour agite la question de la Nation la fait apparaitre comme rejoignant le nationalisme avec lequel elle n’a rien à voir. La Nation, c’est une communauté de destin qui a conscience d’avoir en commun un certain nombre de valeurs et de règles, un héritage et une histoire, une façon de vivre-ensemble, un Etat qui en porte les intérêts c’est-à-dire, l’intérêt général, selon un droit reconnu qui fait loi, synthétisé en France dans une Constitution. C’est encore un territoire souverain qui a ses frontières avec sa langue, sur lequel vit un peuple, qui est censé en être le garant. La Nation ce n’est pas un territoire fermé et reclus qui rejette tout ce qui lui est différent, c’est aussi un espace d’accueil et d’intégration, de mélange, mais où ne se dilue pas son « âme » pour autant. Aussi, tout apport extérieur de population doit s’appréhender à l’aune de certaines exigences, telles que la nécessité que le peuple reste maître de son destin ou encore que sa culture avec sa façon de vivre ait sa pérennité assurée, à moins d’y renoncer et de laisser s’installer le désordre en lieu et place d’une cohésion politique, économique, sociale et culturelle, qui fait la force de la Nation, précisément.

C’est cette force qui procure la capacité à accueillir dignement ceux qui sont des candidats pour la rejoindre. Il n’y a aucun racisme à vouloir créer les conditions d’une immigration qui soit en rapport avec les possibilités qui sont offertes par la France d’une intégration qui a ses exigences. Ceci est encore plus vrai lorsque les apports de populations migrantes sont marqués par des particularismes qui comprennent aussi leurs enjeux, entre un pays d’origine où il n’existe pas d’Etat de droit ou de droits sociaux et la France, le pays des Droits de l’homme et d’un « Etat-providence » à hautes valeur protectrice. Le débat est donc sérieux et mériterait sans doute de faire table rase de la politique-spectacle et de son corolaire, le politiquement correct, pour enfin l’ouvrir sur de toutes autres bases.

Réfuter des différences ethniques au nom de l'antiracisme est-il un travers propre à la France ? Dans quelle mesure peut-il être le révélateur d'un inconscient raciste ?

Guylain Chevrier :Il y a un double ressort à cette question. S’il s’agit de reconnaitre que la France est une société plus composite qu’il y a une quarantaine d’années, cela ne pose pas de difficulté. On peut considérer laisser libre de se manifester les différences culturelles, certaines spécificités, tant qu’elles ne télescopent pas les limites de la loi. On peut même les considérer comme une richesse à certains égards. Tout un arsenal judiciaire existe pour protéger les individus contre des discriminations qui proviendraient d’un traitement inégal qui leurs serait fait sur le fondement de leurs différences. Pour autant, en rester là serait d’une exemplaire hypocrisie car, s’il est question d’en tirer pour conséquence qu’il faudrait ne pas voir que ces différences peuvent être aussi porteuses d’inégalités, de risques voire de dangers, et se cacher les yeux, les problèmes ne sont pas loin. La diversité culturelle est présentée tendanciellement aujourd’hui comme une « composante essentielle des droits humains », ce qui peut être un piège mortel pour la liberté des individus et notre société. Si on laissait libre cours à certaines tendances religieuses ou culturelles qui entendent imposer leurs règles à la règle commune, les droits et libertés des individus qui s’y rattachent, bon gré mal gré, seraient vite mis à mal. Les protéger nécessite donc de définir une limite au pouvoir des religions ou des cultures, afin qu’elles ne prennent pas le pas sur le libre choix de chacun, ce qui constitue aussi le fondement de notre démocratie. C’est particulièrement vrai dans un domaine comme l’égalité homme/femme qui n’est en général pas l’apanage des religions et de nombreuses cultures.

Il faut bien voir que les différences coexistent harmonieusement d’autant mieux quelles sont dans notre pays soumises à la loi qui porte au-dessus d’elles le bien commun, la citoyenneté, et donc les protège toutes puisqu’elles sont égales devant elle et qu’aucune ainsi ne peut être en mesure de prendre le pouvoir sur les autres. Lorsque certains demandent à en finir avec ce système, c’est qu’il réclame de revenir à la situation que ce principe de la loi a précisément dépassé et qui faisait que, les différences se vivaient comme des appartenances à des communautés rivales qui se faisaient la guerre. On voit donc que ce qui est appelé ici du racisme, à travers une limite mise à la prise en compte les différences, n’est simplement que le refus de laisser passer notre société du droit à la différence à la différence des droits, débouchant sur sa fragmentation. On sait où conduit cette dérive, à des affrontements intercommunautaires, tel qu’on y assiste régulièrement par exemple dans la banlieue londonienne dans l’Angleterre du multiculturalisme.

On peut appartenir à une communauté, mais si celle-ci sert à faire pression sur la société pour en obtenir des droits spécifiques qui viennent subsumer ceux des individus, cela procède de les assigner à un groupe à l’encontre de leur liberté personnelle et de leurs possibilités d’échanges avec les autres, comme le voit Dominique Schnapper, ce qui est contraire aux principes qui fondent notre République. Aussi, on voit comment il faut réfuter ceux qui entendent faire de l’antiracisme un bélier idéologique pour nous faire sortir de ce qui fonde le combat antiraciste, l’égalité de tous devant la loi, principe supérieur à tout autre, religions et autres tendances communautaires incluses. L’inconscient raciste n’est pas toujours là où on croit le trouver, mais du côté de ceux qui militent parfois pour leur groupe d’appartenance implicitement pensé comme supérieur aux autres, en utilisant l’antiracisme comme un chiffon rouge à dessein, pour faire progresser leur cause. La loi, à faire de tous des égaux avant tout, favorise le mélange des populations et ainsi conjure le risque d’une séparation en communautés qui créerait, ex abrupto, les conditions d’une institutionnalisation des différences posant le principe de divisions raciales, antichambre d’un racisme de masse embrassant toutes les tendances de la société.

Egalité homme/femme 

Au nom de l'égalité, certains n'hésitent pas à vanter des qualités propres aux femmes afin de justifier leur représentation notamment en entreprises, tout en prônant indifférenciation entre les sexes, récemment nous l'avons vu en matière de jouets sexués. Ce raisonnement intellectuel n'est pas contradictoire ? Faut-il y voir une hypocrisie de la part des défenseurs de l'égalité hommes/ Femmes ? En agissant de la sorte, permettent-ils réellement de faire avancer la cause ? 

Sylvie Chaperon :  Notre hypocrisie, c'est de se contenter de l'égalité en droit, une égalité inscrite en lettre de marbre dans les textes législatifs, mais elle reste une égalité de principe parce qu'elle n'est pas appliquée. Certes le droit n'est plus discriminant mais lorsqu'on souhaite rendre ce principe de l'égalité réelle, l'on se confronte à un levée de boucliers. Comme s'il ne fallait pas de quotas, de discrimination positive.... Or le maintient de stéréotypes participent du refus de l'égalité.

Bérénice Levet :Les femmes veulent être reconnues comme des individus et non comme des  femmes. Les enfants devraient être élevés sans tenir compte un instant de leur identité sexuée. C’est d’ailleurs le cœur de la théorie du genre, nous ne devons pas accepter l’assignation à un sexe dans laquelle  la société – les parents, les éducateurs, le Grand Capital...– tente de nous enfermer.

Les variables seraient individuelles et non sexuelles. Mais  les associations féministes, les  militantes mobilisées contre la sur-représentation des hommes aux postes de direction,  ou encore les politiques comme Martine Aubry lorsqu’elle se faisait le héraut de la pensée du Care, ne manquent pas de faire valoir des vertus proprement féminines qui ne pourraient que servir les entreprises. La femme est un homme comme les autres, mais elle est tellement supérieure aux hommes, et notamment à la virilité.   Nous ne cessons de  jouer sur les deux tableaux.

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