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Benghazi "libérée" des islamistes après 3 ans de bataille mais toujours pas d'espoir réel de démêler l'imbroglio libyen
©Reuters

Bourbier

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Ce mercredi 5 juillet, Khalifa Haftar, l'homme fort de la Libye, a annoncé que ses troupes avaient repris le contrôle entier de la deuxième ville du pays; Benghazi, mettant ainsi fin à une bataille qui a duré plus de 3 ans. Quelle est l'importance stratégique de cette victoire ? S'agit il réellement d'un virage dans le conflit libyen ?

Alain Rodier : Il est parfaitement exact de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) s’est emparée du centre de la ville de Benghazi (le quartier de Souq al-Hout qui fut le "berceau" de la Révolution en 2011). Le "Conseil révolutionnaire de la Choura de Benghazi" qui regroupe les différentes formations islamistes radicales dont l’ex-Ansar al-Charia (mouvement qui s’est théoriquement auto dissout au printemps 2017) est toutefois encore présent dans le quartier de Sabri (2km2). Le maréchal Khalifa Haftar peut donc annoncer que cette importante métropole est enfin tombée après trois ans de combats acharnés. Il n’en reste pas moins que la ville est loin d’être sécurisée des activistes islamistes s’étant fondus dans la population et pouvant réapparaître à tout moment en menant des actions terroristes. Il convient donc à l’ANL de ratisser la ville, de la quadriller et enfin de lui redonner une administration compétente qui subvienne aux besoins de la population. C’est à ce prix que la reprise de Benghazi sera vraiment actée et comme on a l’habitude de le dire dans l’armée, cela prendra un "certain temps".

Il n’en reste pas moins que le nord-est de la Cyrénaïque est désormais presque entièrement contrôlée par l’ANL si l’on excepte quelques abcès de fixation dont le plus importants sont situés à Derna (à l’est de Benghazi) et à Ajdabiya (au sud-ouest de Benghazi).

Pour le reste, la situation évolue peu, le pays étant toujours aussi morcelé, le Gouvernement d’Union Nationale reconnu par la communauté internationale tenant une partie de la Tripolitaine à l’exception du nord-ouest aux mains des milices Zinten et des Amazighs et se battant pour le contrôle de la région de Sebha au sud. Le sud-ouest (dont la ville de Ghat) est toujours sous contrôle touareg et le sud-est des Toubous qui se partagent la ville de Koufra avec l’ANL.

Les djihadistes de Daech sont éparpillés autour de la région de Siirte et ceux proches d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) entre Hun et Zillah au centre du pays mais surtout au sud-ouest à la frontière avec l’Algérie et le Niger. La logistique d’AQMI qui approvisionne le "Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans" (GSIM), une coalition de mouvements terroristes sahéliens rendue publique le 1er mars 2017, passe par cette région.

Plus globalement, tout de sud de la Libye est le point de passage pour tous les trafics, qu'ils profitent aux différents belligérants ou/et au crime organisé. On y trouve de tout: armes, munitions, véhicules, drogues (cocaïne et héroïne), êtres humains, etc. En fin de compte, personne sur place n'a vraiment intérêt à ce que la situation locale change car alors, adieu les profits juteux.

Quelles seraient les conditions d'une "victoire" en Libye ? Comment Khalifa Haftar a t il progressivement pris la main dans le conflit ?  Quels sont ses soutiens ? 

Il n’y aura pas de "victoire" en Libye pour un camp ou pour un autre car aucune des parties n’a les moyens de tenir l’ensemble du pays. Ce dernier est morcelé - parfois jusqu'au niveau du village -  et les grandes manœuvres ne sont destinées qu’à renforcer les positions déjà sous contrôle en tentant de grappiller un peu à la marge chez les voisins.

Toutefois, le maréchal Haftar est celui a est parvenu à rassembler le plus de troupes - même des islamistes - sous sa bannière qu’il a placé sous la houlette du gouvernement de Tobrouk du président Aguila Salah Issa. Son succès est en grande partie dû au soutien qu’il a reçu de la part de l’Egypte, des Emirats Arabes Unis et de la Russie. Son plus grand succès a consisté à récupérer les ports pétroliers de Sidra, Ras Lanuf et Brega. Il peut en tirer les ressources nécessaires pour s'armer correctement si l'embargo sur les armes était levé. Pour l'instant, il n'en n'est pas question. 

Le fait que l’Arabie saoudite ait monté une "sainte alliance" autour d’elle contre le Qatar est le point marquant de ces dernières semaines. Les soutiens du maréchal vont s’en trouver d’autant renforcés(1). Par contre les mouvements qui dépendent des Frères musulmans (comme "Aube de la Libye") qui tiennent en partie la Tripolitaine et qui avaient comme sponsors le Qatar et la Turquie vont avoir des problèmes. D’ailleurs, l’ANL s’est empressée de désigner le Qatar, la Turquie et le Soudan comme "des soutiens aux terroristes" en Libye, ce qui ne peut que ravir Riyad ! Si Ankara peut encore agir en continuant à envoyer des ravitaillements en particulier par le port de Misrata, il semble que cela soit devenu très difficile pour Doha qui s’occupe pour l’instant de la survie de son régime.

Un moment très délicat a été traversé quand le Caire s’est fâché avec Riyad en octobre 2016 à propos de la situation en Syrie. L’Egypte risquait alors de se retrouver asphyxiée financièrement et n’aurait pu soutenir Haftar de la même manière. La crise semble être aujourd’hui passée, l’Egypte soutenant Riyad et lui ayant rétrocédé les îlots de Tiran et Sanafir en Mer Rouge après un an de négociations houleuses.

Quelles sont encore les forces des islamistes sur le terrain ? Où sont elles encore présentes, et quels sont leurs soutiens ? 

Comme je l’ai dit précédemment, les forces islamiques radicales (Daech et AQMI) sont toujours présentes en Libye. Il est impossible d’évaluer leurs potentiels mais il semble que Daech ne parvient plus à se renforcer avec des apports extérieurs en hommes et en matériels. Il vit sur ses acquis et sur ce qu’il peut encore récupérer sur le terrain. Cela dit, ses stocks sont conséquents et peuvent durer "un certain temps". Et puis, il y a le marché noir.

AQMI mène la même stratégie que partout ailleurs. Il accepte toutes les alliances possibles ne se mettant pas en avant afin de ne pas attirer l’attention et ainsi présenter des cibles trop évidentes. Son adversaire prioritaire est Daech car il n’a pas l’intention de lui céder du terrain comme cela a été le cas les années passées, de nombreux défecteurs rejoignant ce mouvement alors en odeur de victoire. Il est d’ailleurs possible que les défections aillent maintenant dans le sens inverse : de Daech vers AQMI.

En conclusion, la Libye reste un hub pour tous les trafics, une pépinière pour les islamistes et un danger immédiat pour l'Europe - particulièrement en raison de la vague migratoire qui en est issue et du risque terroriste qui peut l'accompagner -.

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