Bataille des capitales de régions : et déjà une preuve que la réforme territoriale ne permettra aucune économie<!-- --> | Atlantico.fr
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La bataille des capitales de régions a commencé
La bataille des capitales de régions a commencé
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Compensations à tous les étages

Après de longs débats, le redécoupage régional est fixé. Au 1er janvier 2016, la France comptera 13 régions contre 22 actuellement. Il n'y aura donc plus que 13 capitales dont les noms, encore provisoires, ont déjà filtré. Mais si elles seront moins nombreuses, les économies réalisées risquent de ne pas être à la hauteur des espérances.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Si les noms des probables 13 futures capitales régionales ont déjà filtré dans la presse, la bataille des prétendants continue de faire rage. En Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon Toulouse l'emporterait sur Montpellier tandis que dans le Nord-Pas-de-Calais Amiens perdrait son match contre Lille. Chaque ancien chef lieu régional veut sa part du gateau. Quel est l'intérêt pour les capitales régionales à conserver leur titre ?

Jean Luc Boeuf : Quand on est une capitale régionale, on a toute les infrastructures de services qui vont avec. Aussi bien de la part de l'Etat que de la collectivité locale avec certains gros organismes voire de la presse, de grandes entreprises et d'importants services publics tels que la gendarmerie. On concentre tout un écosystème autour du chef lieu régional. Au sens strict, il n'y a pas d'avantages financiers à être une capitale régionale. Vous pouvez avoir des subventions supérieures parce que vous êtes une communauté urbaine ou une métropole mais pas parce que vous êtes une capitale régionale.

En tout, 9 chefs lieux régionaux vont disparaitre. Que vont devenir leurs fonctionnaires ?

Il faut tout d'abord bien expliquer de quel fonctionnaire parle-t-on. Il ne s'agit ni des fonctionnaires municipaux ni des fonctionnaires départementaux mais des fonctionnaires des régions et des fonctionnaires des services de l'Etat. Du côté des collectivités locales, les effectifs sont assez faibles en nombre puisque les fonctionnaires des régions représentent à peu près 2 à 3% des fonctionnaires en France. Mais ne sont pas concernés par ces changements toutes les personnes qui travaillent dans des établissements par exemple les personnels non enseignants des collèges et des lycées ne sont pas concernés. Ils continueront toujours qui à faire de la restauration qui à faire du nettoyage pour les lycées. Donc le nombre de fonctionnaires touchés par cette réforme est assez limité.

Par contre, ce chiffre est sensible parce que se sont des postes de direction des collectivités locales ou, pour l'Etat, des postes de chefs de services, de directeur régional de la recherche, de la forêt, etc. Alors que vont-ils devenir? Pour l'Etat ce n'est pas encore tranché. Comme il s'agit de postes pérennes, des redéploiements dans d'autres régions vont sans doute être proposés. Pour les collectivités locales, si l'exécutif régional décide fin 2015 de diminuer le nombre de postes de directions, ces agents seront amenés à trouver d'autres postes ailleurs. Donc pour l'Etat, il n'y aura pas moins de fonctionnaires. Pour les collectivités locales il y en aura peut-être un petit peu moins dans la mesure où certains postes de direction vont disparaître. Mais au niveau national, cela ne représente que 100 ou 200 postes maximum. A terme, il n'y a aucun grand changement à attendre.

Moins de chefs lieux ne signifie donc pas pour autant moins de fonctionnaires ?

Non, c'est la grande différence avec la fusion d'une entreprise. Lorsqu'une entreprise fusionne vous avez 100 personnes d'un côté et 50 de l'autre. Dans une logique d'entreprise qui fusionne vous obtiendrez 145 ou 140 salariés. En collectivité locale, c'est différent. 100 + 50 peut donner 150 voire 152 puisque vous pouvez compter sur les représentants des élus et des collectivités pour dire que dans leur future nouvelle région leur système informatique ou leur direction des marchés requierrent des moyens humains plus importants. On n'éliminera alors pas forcément immédiatement les postes dans les anciennes capitales régionales. On peut même prédire des effectifs légèrement supérieurs pour les collectivités locales dans un premier temps. Je prends par exemple le cas d'une direction informatique dans une future nouvelle région. Elle va dire qu'elle n'est pas calibrer pour s'occuper à la fois de sa région d'origine et de l'ancienne région fusionnée. L'ancienne région va dire de son côté, va demander à garder des antennes sur place. Au final, on créé un gestionnaire supplémentaire du réseau. Donc on ne va pas faire d'énormes créations de postes mais en tout cas il n'y aura de diminution.

Que vont devenir les anciens chefs lieux régionaux ?

De manière schématique, ils vont perdre leur préfecture de région et le siège du conseil régional, encore que ce n'est pas très net pour la Normandie. Mais pour la majorité des cas, ils perdront les deux. Ils vont redevenir de simples villes préfectures avec peut être un peu plus d'importance puisque resteront encore toutes les questions universitaires et sans doute certains services de l'Etat. Mais ce à quoi l'Etat est sensible ce sont les critiques qui se manifestent aujourd'hui à savoir de ne pas créer un système semblable à l'union européenne et son tourniquet permanant entre Strasbourg, Luxembourg et Bruxelles. Sinon, je prends l'exemple de Châlons-en-Champagne, Metz et Strasbourg, on risque d'avoir la préfecture de région et le conseil régional à Strasbourg, le conseil économique, social et environnemental régional à Metz.Et puis on peut prendre l'engagement de dire qu'on réunit plusieurs fois par an la commission permanente à Châlons-en-champagne. Il en découlerait un système qui, certes, serait d'apparence simplifié avec moins de capitales régionales et de préfectures de région mais qui au fond serait un système beaucoup plus compliqué à faire fonctionner et beaucoup plus couteux en homme et en déplacement. Le risque est là.

Pourquoi risque-t-on selon vous de s'orienter vers une répartition des organismes régionaux entre plusieurs villes d'une même région malgré la mise en place de capitales régionales ?

Tout simplement parce que vous allez avoir les anciennes capitales régionales qui vont dire : "vous nous déshabillez complètement alors que depuis 1972 nous sommes des chefs lieux de régions, nous demandons en échange un système de compensations". On peut supposer que l'Etat en plus décidera, dans cette logique compensatrice, de laisser certaines directions régionales dans les anciennes capitales régionales. Prenez par exemple une direction comme la DRIRE (Direction régionale de l'Industrie, de la Recherche). On peut très bien supposer que dans le futur Nord-Pas-de-Calais-Picardie, elle soit installée à Amiens. Au final, ce serait une petite compensation pour maintenir quelques agents de l'ancienne région Picardie. Il faudra alors faire venir certains fonctionnaires de la région Nord-Pas-de-Calais. Et comme la distance entre Lille et Amiens est courte, de nombreux fonctionnaires vont faire des allers-retours permanents entre les deux villes. Ce sera un coût supplémentaire en termes financiers mais aussi de risques psychosociaux et sanitaires.

Quelle solution aurait permis de faire effectivement des économies ?

Puisqu'on a voulu vendre la redimension des régions comme une simplification administrative, la vraie logique voudrait la disparition de tous les services régionaux dans les anciennes régions. Et comme l'Etat a moins de moyens financiers, on aurait du faire ce redécoupage avec des moyens financiers moindres et donc avec moins d'agents publics. L'idéal aurait été de ne prendre aucune mesure de compensation pour les futures anciennes préfectures de région ; c'est-à-dire de leur retirer tous les attributs qui vont de paire avec leur ancien statut. Ce serait le seul moyen de faire des économies. On me rétorquera que l'Etat ne fonctionne pas comme une entreprise. C'est vrai qu'il y a des logiques d'aménagement du territoire mais, dans ce cas, là il fallait y réfléchir avant. L'Etat aurait pu faire autrement en disant que l'avenir pour l'économie ce sont les métropoles et donc volontairement installer les préfectures de région dans les anciennes capitales de région qui ne sont pas chef lieu de métropole. Après tout, si l'Etat privilégie sa logique d'aménagement du territoire, qu'est-ce qu'il y a d'incohérent à avoir une préfecture de région à Limoges et pas à Bordeaux? Le problème c'est que le logique qui risque de prévaloir est à mi-chemin. On veut faire des économies mais comme on intègre aussi conséquences humaines et aux déménagements de services, on recrée de la dépense par ailleurs.

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