Bassines, nappes phréatiques et agriculture : petits éléments de remise en perspective des discours militants qui s’affranchissent du réel<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation contre le projet de "bassines" à Sainte Soline dans les Deux-Sèvres.
Manifestation contre le projet de "bassines" à Sainte Soline dans les Deux-Sèvres.
©PASCAL LACHENAUD / AFP

Méga bassines

Emmanuel Macron doit par ailleurs présenter le plan eau ce jeudi.

Philippe  Stoop

Philippe Stoop

Philippe Stoop est membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, où il intervient sur l’évaluation des effets sanitaires et environnementaux de l’agriculture. 

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Emmanuel Sagot

Emmanuel Sagot

Emmanuel Sagot est agriculteur en Vendée.

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Atlantico : On entend beaucoup de choses sur les « méga-bassines » de Sainte-Soline. Factuellement quel est ce projet ? En quoi consiste-t-il ?  Y-a-t-il un risque d’accaparement ?

Emmanuel Sagot : Le projet consiste à stocker de l’eau lorsqu’elle est abondante en hiver afin de ne plus en pomper l’été et ainsi moins « tirer » sur la nappe en période d’étiage. D’ailleurs mega-bassine n’est pas le nom mais on appelle ceci une réserve de substitution, car on substitue un pompage estival en nappe par un pompage hivernal en nappe avec stockage. Aucun risque d’accaparement puisque le volume d’eau stockée est un volume d’eau qui est déjà pompée d’avance mais en été. Les agriculteurs qui sont raccordés aux réserves auront interdiction de pomper l’été et leur forage personnel sera détruit et les agriculteurs qui ne sont pas raccordés aux réserves auront toujours le droit d’utiliser leur forage comme avant sans souci.

Philippe Stoop : Il s’agit de grands bassins creusés pour prélever de l’eau en hiver dans les nappes phréatiques dites « libres », c’est-à-dire proches de la surface du sol, et qui se déversent directement dans les cours d’eau quand elles sont pleines.  Cette eau, qui sinon risque de repartir dans les rivières puis dans l’océan, pourra ainsi être utilisée pour l’irrigation en été, quand les cultures en ont le plus besoin, alors que les rivières sont à sec et les nappes au plus bas (et que les citadins et les touristes ont le plus besoin d’eau…). 

Ce type de bassine s’est développé récemment, et elles deviennent de plus en plus grandes, pour faire face au changement climatique. C’est la prolongation des retenues collinaires (qui stockent simplement l’eau de pluie), qui existent depuis longtemps dans la même région et étaient beaucoup mieux acceptées. Mais il s’agit toujours de prélèvements sur une ressource en eau renouvelable, c’est-à-dire à cycle court. C’est très différent des forages profonds dans des nappes fossiles que l’on pratique dans les régions arides, qui consomment une ressource en eau non renouvelable. Les pompages dans les bassines ne sont autorisés que quand les piézomètres, les capteurs qui mesurent le niveau de la nappe, sont supérieurs à un seuil défini lors des études préalables.

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Certains considèrent qu’il s’agit d’une privatisation de l’eau au profit d’une minorité d’agriculteurs, voire de l’agro-industrie, qu’en pensez-vous ?

Philippe Stoop : C’est un vocabulaire révélateur de l’idéologie qui sous-tend la critique des bassines. Quand un « paysan » cultive sans irriguer, ses cultures consomment l’eau de pluie qui est tombée sur ses parcelles, il ne viendrait à l’idée de personne de lui dire qu’il accapare un bien commun ! Pas plus qu’à un propriétaire de pavillon dont le gazon pousse grâce à cette même pluie.  Pourtant, c’est un usage plus « égoïste » de l’eau, puisqu’elle ne servira à l’alimentation de personne, contrairement aux plantes cultivées par nos agriculteurs. Rappelons-le une fois encore : l’eau pompée par les bassines est une eau qui étaient vouée à repartir rapidement dans les rivières. Que l’on parle de bien commun pour les nappes profondes fossiles peut avoir du sens, mais pas pour l’eau des nappes libres.

Quant au discours selon lequel ces bassines ne profiteraient qu’à l’agro-industrie ou aux « gros agriculteurs », elle relève de la même vision politique : il s’agit bien sûr de gros investissements, mais gérés collectivement, et bénéficiant de financements publics, normalement accessibles à tous les agriculteurs qui s’organisent collectivement. Si certains n’y arrivent pas, la question est de lever les obstacles qui les en empêchent, plutôt que de les interdire à tout le monde.

Dans quelle mesure les bassines de Sainte Soline sont-elles justifiées par la faible capacité des nappes phréatiques du secteur ? Que nous indiquent les relevés piézométriques ?

Emmanuel Sagot : Le projet des réserves de la région de Sainte Soline part du principe qu’en hiver des millions de m3 d’eau sont drainés par la nappe et sont évacués à l'océan à quelques dizaines de km en passant par le marais. Ces millions de m3 sont réels et mesurés par les différents capteurs situés dans des forages de mesure et également sur les écluses qui évacuent l’eau du marais juste devant l'océan, la nappe n’est pas un réservoir illimitée, c’est comme un verre d’eau. Si votre verre d’eau fait 1L vous n’arriverez jamais à lui mettre 1,5L. Le surplus soit 0,5L va déborder à l'extérieur du verre. C’est ces 0,5L que les réserves veulent stocker afin que l’été on laisse la nappe tranquille. Naturellement la nappe baisse car elle est plus haute que le marais et donc de l'océan. A l’heure actuelle les relevés piezo indiquent une nappe à un très bon niveau. Les pluies font leur travail de remplissage. En 24-48h une pluie est infiltrée dans la nappe et fait bouger les piézo. La nappe est très superficielle et très réactive. C’est factuel.

Alors que les militants qui manifestent contre les bassines le font au nom de l’écologie, dans les faits, n’est ce pas justement pour protéger les nappes en été que le projet est mené – et avec des conditions d’exploitation corrélées à une agriculture plus en adéquation avec la transition écologique ?

Emmanuel Sagot : Bien entendu le fond du projet c’est de conserver une capacité d’irrigation pour les agriculteurs tout en soulageant la nappe l’été, conserver le tissu économique agricole de la région, tout en garantissant un niveau de nappe supérieur.
L’engagement des agriculteurs en contrepartie c’est une baisse de leur volume d’irrigation global, mais aussi une évolution des pratiques agricole comme la baisse de l’utilisation des produits phytosanitaire, développer les labels sur leur ferme (AB, HVE), favoriser la biodiversité en plantant des haies, et des jachères.

La dernière note de synthèse du GIEC évoque des équivalents des bassines comme solutions efficaces face au risque climatique. Est-ce une solution commune ?

Emmanuel Sagot : Bien sûr que c’est une des solutions pour demain, et de façon commune les agriculteurs se sont réunis en coopérative autour de ses projets de construction de réserve. Ils sont 316 adhérents à la coop de l’eau 79 pour mener à bien ces projets qui serviront à tous les agriculteurs même ceux qui ne sont pas adhérent puisque l'intérêt est de conserver la capacité d’irrigation du secteur et les volumes sont gérées à l'échelle du département par un organisme public et la préfecture donc ça ne changera rien pour les non adhérents qui utilisent un forage personnel. Bien au contraire, le but est de ne plus avoir de nappe basse en été pour ceux qui ont un forage et par logique ne plus avoir de restriction puisque les niveaux seront plus hauts.

En définitive, quelles sont les critiques légitimes que l’on peut faire au projet ? Justifient-elles ces mobilisations ?

Emmanuel Sagot : La seule critique que moi je ferai c’est que ces projets suscitent beaucoup trop d’approximation de la part des opposants et cela n'élève pas le débat. Ils en ont fait un combat instrumentalisé par certaines personnes n’ayant pas toujours la legitimité ni les competences en gestion de l’eau, irrigation et agriculture. Et c’est regrettable pour tout le monde. L’agriculture et la région méritent mieux que ça.

Mais ne vaudrait-il pas mieux passer à des formes d’agriculture plus durables et économes en eau, au lieu de perpétuer avec les bassines l’usage de l’irrigation ? D’ailleurs ces bassines sont-elles vraiment une solution durable ?

Philippe Stoop : C’est la seule vraie question : justement du fait qu’elles respectent le maintien d’un niveau correct des nappes libres, les bassines peuvent être inutilisables les années où l’hiver est sec, car le seuil de prélèvement risque de ne pas être atteint. On estime actuellement que cela risque de se produire 2 années sur 10 environ, et cet hiver fait justement partie de ces années à risque. Toute la question est de savoir si cette situation risque de s’aggraver. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas forcément le cas partout : d’après les projections du GIEC, il est sûr que le déficit hydrique va s’aggraver dans nos régions, mais plutôt à cause de l’élévation des températures (qui augmente l’évaporation). Par contre, il n'est pas sûr que la pluviométrie globale annuelle diminue. Le principe des bassines reste valide tant que la pluviométrie annuelle reste supérieure aux besoins totaux des cultures. Cela devrait probablement rester vrai dans le sud-ouest de la France, où sont justement les projets controversés. Dans les régions méditerranéennes, où les cultures sont souvent en déficit hydrique structurel, qui n’est compensé que par l’apport d’eau d’irrigation issue de montagnes voisines, ce n’est pas forcément le cas. C’est pourquoi la comparaison avec l’Espagne, qui envisage d’arrêter le développement de retenues pour l’irrigation, n’est pas pertinente.

Quant à passer à des formes d’agricultures plus durables car plus économes en eau, il ne faut pas se leurrer sur les leviers d’action disponibles. L’eau répond à un besoin physiologique incompressible des cultures, comme pour tout être vivant. Les seuls leviers d’action sont l’amélioration de l’efficience de l’irrigation, grâce aux techniques d’irrigation de précision. Le rapport « Changement climatique, eau et agriculture » des Ministères de l’agriculture et du Développement Durable a estimé que le potentiel d’action dans ce domaine est de l’ordre d’une réduction de 30% des besoins en irrigation. On parle beaucoup de l’amélioration de la réserve en eau des sols, grâce à l’agriculture de conservation des sols (qui est de plus favorable à la biodiversité et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre), mais son effet réel sur les besoins en eau des cultures est marginal, de l’ordre de 5 à 10% maximum au bout de plusieurs années. Si l’on veut réduire davantage la consommation en eau des cultures, la seule solution est d’opter pour des cultures moins productives… qui certes consommerons moins d’eau, mais aussi seront souvent moins efficiente pour l’utilisation de l’eau. On entend beaucoup dire que la production de maïs devrait être abandonnée vu la situation climatique, par exemple en le remplaçant par du blé, qui pousse plus tôt en saison et peut donc se passer d’irrigation. C’est un raisonnement plutôt paradoxal, quand on sait que le maïs (surtout s’il est irrigué) est la culture qui valorise le mieux l’eau : le même rapport rappelait qu’en Gascogne, avec un mètre cube d’eau (pluie et irrigation confondues), on obtient 5 tonnes de blé, 5,2t de maïs non irrigué… et 9 tonnes de maïs irrigué ! En fait, le vrai problème du maïs n’est pas qu’il consomme trop d’eau, mais qu’il la consomme d’une façon trop visible par les citadins et les écologistes ! 

Nous avons pris l’habitude en France de vouloir réduire l’empreinte environnementale de notre agriculture, sans nous préoccuper de l’effet sur notre production. Tant que notre consommation alimentaire ne diminuera pas en proportion de notre baisse de production (et que les politiques seront plus frileux pour imposer cette réduction à tous le citoyens, que pour inventer de nouvelles contraintes pour les agriculteurs), cela n’aura qu’une conséquence possible : une dépendance accrue aux importations, avec les pertes de souveraineté, et les « importations de déforestation » qui en découlent. Il serait temps que les politiques qui se veulent agro-écologiques reprennent en compte l’efficience de nos facteurs de production agricoles, au lieu de considérer qu’il s’agit d’un gros mot hérité d’une tradition productiviste : quand on parle d’efficience d’utilisation de l’eau, il s’agit d’une efficience écologique, avant d’être économique.

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