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Bart de Wever : l'homme 
qui pourrait faire éclater la Belgique
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Nationaliste flamand

Le Président du parti indépendantiste flamand Nieuw-Vlaamse Alliantie symbolise les difficultés politiques que rencontrent encore aujourd'hui une Belgique engluée dans ses divisions. Portrait.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Lorsque, en 1986, à 17 ans, j’ai quitté ma Belgique natale et franchi le Quiévrain pour vivre en République, je n’imaginais pas commettre un jour l’article qui suit.

À cette époque, l’extrême droite nationaliste flamande, si bien chantée par Jacques Brel dans sa chanson brûlot Les Flamingants, défilait encore couramment dans les rues francophones en uniforme militaire, combat shoes aux pieds, crânes rasés affichant leur nostalgie pour la Flandre sous administration nazie, ah ! cette douce époque où le prétendu peuple flamand était considéré comme partie intégrante du monde aryen. Bref, en ces temps d’un autre siècle, le nationalisme flamand était infréquentable et majoritairement étranger au fonctionnement démocratique.

Bart de Wever, l’homme qui a anobli le nationalisme flamand

Vingt-cinq ans plus tard, le visage de ces mêmes nationalistes s’est métamorphosé, sous l’impulsion de Bart de Wever, un quadragénaire bien résolu à en découdre avec une invention administrative - la Belgique - vieille de 180 ans à peine.

Bart de Wever a un pedigree on ne peut plus traditionaliste dans la constellation rétrograde du nationalisme flamand. Son grand-père fut le secrétaire du Vlaams Nationaal Verbond, le Front National flamand déclaré parti unique par les nazis durant la guerre. L’un des objectifs du VNV était de créer un État flamand indépendant. Des anciens du VNV créèrent, en 1949, la Vlaamse Concentratie, la Concentration flamande, puis, en 1954, un parti politique inscrit dans le jeu démocratique, la Volksunie. Le père de Bart fut militant de ce parti, qui mit entre parenthèses ses revendications autonomistes, durant les années 1970 et 80, pour participer à des coalitions gouvernementales.

Bart s’oriente très tôt vers une ligne plus radicale, puisqu’il milite au Vlaams Nationaal Jeugdverbond, les Jeunesses nationales flamandes, mouvement créé en 1960 par un ancien de la Concentration Flamande, transformée depuis 2005 en sorte de mouvement scout. En 2001, il profite de l’éclatement de la Volksunie pour participer à la création de la Nieuw-Vlaamse Alliantie, la Nouvelle Alliance flamande, ouvertement favorable à une indépendance flamande et qui devient en moins de dix ans le premier parti politique de Belgique, avec 18% des suffrages. Et pour cette seule prouesse, il faut reconnaître à Bart de Wever un talent exceptionnel.

La grande force de Bart de Wever est de pousser le nationalisme flamand à s’exprimer par la voix des urnes et à se servir des institutions belges pour assurer leur propre perte. Une sorte de détermination révolutionnaire radicale sans violence, qui s’impose comme un modèle d’efficacité pour tous ceux qui cherchent une stratégie de rupture sans recourir à des expédients totalitaires. 

Pour ce faire, Bart borde sans relâche. Son parti choisit d’abord de s’allier aux chrétiens flamands, parti historique de la Flandre profonde, pour exister aux élections. Dans le même temps, il décide de rompre avec le visage militariste inquiétant du nationalisme flamand en adoptant une stratégie de communication redoutablement efficace. Ainsi, en 2005, il emmène une caravane de 12 camionnettes chargées de faux billets de 50 euros qu’il décharge en Wallonie pour illustrer concrètement les transferts financiers prétendus de la Flandre vers le sud du pays.

Le ton est donné : Bart fédère l’aspiration nationaliste flamande sans violence autre que verbale, et sans référence autre qu’implicite aux vieux démons flamands. Ses propos minorant la collaboration active des élites flamandes pendant la guerre lui ont d’ailleurs valu des polémiques enflammées.

Son coup de maître : la fin de la Belgique par la voie démocratique

Aux élections de juin 2010, Bart obtient à titre personnel près de 800 000 voix, qui font de lui l’homme politique le plus populaire de Flandre. Sa stratégie est payante. Il est devenu l’homme incontournable dans un système dont il veut la perte. Le roi Albert II est contraint de le pressentir comme Premier ministre, en le nommant informateur, c’est-à-dire chargé de négocier les bases d’une coalition gouvernementale. Pour la Belgique, ce 17 juin 2010 a valeur de 11 septembre ! Le pays met le doigt dans un engrenage suicidaire qui n’en finit pas de produire ses effets, puisque, sa mission abandonnée, Bart a ensuite bloqué tous ses successeurs dans leur ambition de réussir à former une coalition.

Avec une détermination qui lui vaut une popularité constante en Flandre, Bart de Wever déploie alors sa stratégie de mise en échec des institutions belges et de déliquescence progressive des pouvoirs publics. Bien décidé à bloquer tout accord de coalition, il alterne entre provocations (en se rendant par exemple à un jeu télévisé au lieu de participer à une négociation gouvernementale) et exigences insoutenables, comme le rattachement de Bruxelles à la Flandre, la fameuse scission de Bruxelles-Halle-Vilvorde, tarte à la crème du mouvement flamand, pour mettre en échec toute nomination d’un gouvernement.

Peu importe que Bruxelles soit capitale de l’Europe à majorité francophone, peu importe que Bruxelles n’ait jamais, historiquement, été la capitale de la Flandre ! Et même, au contraire, parce que Bruxelles n’a jamais été dans l’histoire une ville flamande, la revendication d’une Bruxelles flamande est d’autant plus utile à agiter : comme elle n’a aucune chance d’aboutir, elle garantit une paralysie des institutions et une disparition rapide de la Belgique.

Il faut reconnaître à Bart la vertu de la constance. Depuis plus d’un an, il empêche son pays de tourner en rond. Malgré les pressions inouïes dont il est l’objet, il ne cède pas un pouce de terrain, et il peut mettre à son crédit personnel le blocage institutionnel dont la Belgique est le théâtre. La crise politique belge est la victoire personnelle de Bart de Wever. Grâce à elle, il se taille chaque jour un pan supplémentaire d’un habit hors norme dans l’étoffe des hommes d’État qui marqueront leur siècle.

Les Français regardent souvent avec une distance amusée et un brin arrogante les conflits internes à la Belgique, qu’ils réduisent volontiers à des chamailleries tribales. Ce qui se passe outre-Quiévrain mérite plus d’attention, car autre chose y est à l'œuvre : la disparition d’une démocratie - certes, monarchique, certes dirigée par un «roi de papier», comme disait ma grand-mère, certes inventée en 1815 pour construire un glacis sans véritable ancrage historique et culturel entre la France et l’Europe du Nord - mais démocratie tout de même. Non par la violence, mais par le jeu des institutions, et par leur utilisation captieuse au profit d’un parti extrémiste dont les racines plongent dans les couches les plus obscures de la géologie politiques européennes.

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