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Bal (tragique ?) des opposants : un an après la présidentielle, qui a quoi à prouver dans le match de l’Emission politique ?
©Capture Dailymotion

L'Emission politique

Jeudi soir, les chefs de l'opposition et de LREM se retrouvent lors de l'Emission politique sur France 2.

Samuel Pruvot

Samuel Pruvot

Diplômé de l’IEP Paris, rédacteur en chef au magazine Famille Chrétienne, Samuel Pruvot a publié "2017, Les candidats à confesse", aux éditions du Rocher. 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Christophe Castaner (La République en marche), Olivier Faure (Parti socialiste), Marine Le Pen (Front national), Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Laurent Wauquiez (Les Républicains) seront les invités de France 2 en cette soirée du 17 mai, pour analyser le bilan de la 1ere année du quinquennat d'Emmanuel Macron. Pour chacune des personnalités présentes, quels seront les enjeux d'une telle émission, aussi bien en ce qui concerne leur cœur de cible que pour le grand public ? 

Christophe Boutin : Vous avez raison de le signaler, l’exercice est difficile pour les cinq intervenants, qui ont tous, à des degrés divers, un double message à envoyer. Le premier s’adresse bien sûr à tous les Français, et portera sur leur analyse de la politique menée sous la direction - très effective - du Président de la République depuis le début de son mandat. Mais le second message qu’ils auront à envoyer d’adressera lui aux électeurs, voire aux militants ou aux élus des partis qu’ils dirigent. Or les deux publics peuvent parfois avoir des attentes contradictoires : en durcissant par exemple son discours on peut, si le parti que l’on mène affiche une cohésion certaine, plaire à son électorat, mais l’on écartera sans doute d’autres électeurs potentiels qui auraient pu être séduits par un discours plus modéré ; si l’on adopte au contraire ce discours plus modéré, on lassera certains militants et l’on créera, ou renforcera, des divisions internes.

L’exercice de jeudi soir est rendu plus difficile encore à cause du format de l’émission. Si l’on en croit ce qui est paru dans la presse, on a en effet retenu, à la suite des pressions de LaREM, un jeu de questions-réponses aux cinq personnalités politiques présentes. Il est vrai qu’avec cinq intervenants – mais TF1 n’en avait initialement retenu que quatre, écartant Olivier Faure -, les choses étaient délicates à organiser, mais ce format, très proche de celui utilisé entre candidats à des élections, et qui empêche ou au moins limite les accrochages directs entre politiques en éliminant les dialogues, favorise aussi celui des participants qui dispose des dossiers les plus complets, des « derniers chiffres » – et donc plutôt le représentant de l’équipe au pouvoir, il est vrai seul contre quatre.

Laurent Wauquiez (Les Républicains).

Samuel Pruvot : Si on comparait cette émission de France 2 à une pièce de théâtre, on pourrait se replonger avec profit dans « En attendant Godot » de Samuel Beckett. Pourquoi ? Chacun convoite le rôle principal – celui de premier opposant au Président – mais personne ne s’en empare vraiment. Durant toute la pièce tous les spectateurs attendent « Godot ». Un sauveur, une illusion ou un dénouement… mais personne n’arrive jamais. Un an après la victoire d’Emmanuel Macron, Godot n’est toujours pas arrivé aussi absurde que cela puisse paraître. 

Dans ce casting à la Beckett, Laurent Wauquiez désire de toutes ses forces incarner le premier rôle. Le patron des Républicains estime avoir la légitimité pour endosser le costume de ce personnage mythique capable de tenir tête au Président. Mais n’est pas Godot qui veut. Un récent sondage Ifop pour les européennes crédite LR de 15% des voix. Chiffre cruel qui prouve que Laurent Wauquiez est pour l’heure incapable de fédérer tous les opposants de droite à la politique libérale (et peut-être libertaire) de Macron. Pour filer l’image de la pièce de Beckett, Laurent Wauquiez ressemble à Vladimir, l’un des deux vagabonds de la pièce, coincé sur une route campagne à la tombée de la nuit. Vladimir est SDF depuis que sa formation a été chassée du Château – au temps d’un certain Sarkozy.

Christophe Boutin : Pour Laurent Wauquiez l’enjeu reste finalement le même que celui qui était le sien lors de L’émission politique dont il avait été l’invité unique : devenir enfin un leader politique majeur en apparaissant comme le chef de file incontesté et incontestable de l’opposition de droite à Emmanuel Macron. Cela, Wauquiez, très fragilisé par de récents sondages qui ne lui accordent par exemple que 8% des voix en cas de présidentielle, en a aujourd’hui absolument besoin, autant en en externe, pour attirer vers lui de nouveaux électeurs, qu’en interne, pour s’imposer au sein même de son parti. Il est en effet sans nul doute, des cinq intervenants, le chef de parti le plus fragilisé en cette mi-mai 2018, car il fait face à l’opposition interne de Valérie Pécresse et à la fronde de toute une partie des anciens caciques de l’UMP – de ceux du moins qui sont encore chez LR – et qui tous lui reprochent d’être trop à droite.

C’est dire que cette émission sera importante pour lui, avec le risque, de manière très visible, puisque leurs représentants s’exprimeront eux aussi sur les mêmes questions, de ne pas parvenir à trouver sa place entre LaREM et le FN. D’une part, parce que certaines des réformes mises en place par Macron – et le style même du Président, qui prétend renouer avec une certaine verticalité du pouvoir oubliée lors des mandats de ses prédécesseurs – séduisent, et les sondages récent que nous évoquions le prouvent, les électeurs de droite. D’autre part, parce qu’il devra choisir entre durcir son discours, et courir le risque d’être accusé, sur le plateau mais ensuite en interne, de se rapprocher du FN, ou, au contraire, l’adoucir, mais alors se voir reprocher par certains de ses militants – notamment la tendance conservatrice qui l’a portée au pouvoir à LR - de se rapprocher de Macron. Il est donc potentiellement fragilisé, bien sûr, par les questions portant sur l’Europe, le terrorisme ou l’immigration, mais aussi par celles portant sur les conflits sociaux.

Jean-Philippe Moinet : Pour le Président de LR, l'enjeu est et sera celui de la crédibilité du propos et du projet, notamment sur l'Europe. Laurent Wauquiez a, jusqu'à présent, polarisé par une posture d'opposition systématique et radicalisée, qui l'a fait chasser sur les terres du FN. Il a tourné le dos à son passé d'ancien Ministre des Affaires européennes. Il a davantage fait fuir des poids lourds, tenant d'une droite républicaine à préoccupation sociale et européenne - comme Xavier Bertrand, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, Dominique Bussereau... - que fait la preuve d'une attractivité nouvelle. Le mouvement LR est fragmenté, diminué, Laurent Wauquiez a semblé jouer davantage perso pour le long terme - sans doute en vue de la prochaine présidentielle - que la carte du rassembleur. Or, tant que le parti de Marine Le Pen ne s'effondre pas - et rien ne l'indique dans les études d'opinion - le risque de Laurent Wauquiez est de se faire satelliser par plus radical que lui, et cornérisé par les orientations politiques d'Edouard Philippe et de Bruno Lemaire. L'enjeu, pour lui, est de gagner en densité, en responsabilité sur les grands dossiers, qui ne peuvent se réduire à des formules rapides et à des facilités de langage: il doit faire oublier "le bullshit" qu'il disait réserver aux médias, donc aux Français.

Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise).

Samuel Pruvot Jean-Luc Mélenchon rêve aussi du premier rôle. Il en a l’étoffe et la verve. Mais le sondage Ifop évoqué plus haut crédite la France insoumise d’un petit 14%. Pas de quoi parader. Mélenchon n’est-il pas pourtant l’homme qui fait le plus de bruit pour tacler la politique gouvernementale du soir au matin. Il veut être Godot. Prendre sa place. Mais en dépit de « la fête à Macron » et des bataillons de cheminots contre la réforme de la SNCF, il stagne. Godot est toujours au Château, bien à l’abri du tumulte des opposants de gauche à sa politique libérale. Pour suivre le casting de Beckett, Jean-Luc Mélenchon apparaît dans la peau de Pozzo qui surgit au second acte de la pièce. Pozzo est un personnage autoritaire qui s’imagine le propriétaire des lieux. Comprenons le propriétaire de toutes les terres hostiles à Emmanuel Macron. Il rêve d’une sorte de jacquerie qui jetterait dehors d’un coup le seigneur du château. Mais le grand soir ne débouche sur rien pour l’instant. Pas de révolution…

Christophe Boutin : Ici, pas de divisions internes de la France Insoumise à éviter – ou du moins incomparables avec celles de LR – mais le parti de Jean-Luc Mélenchon doit confirmer son OPA sur la gauche de la gauche. Pour cela, son dirigeant entendra capitaliser sur les mouvements sociaux en cours et s’en présenter, sinon comme le maître d’œuvre, au moins comme un soutien sans faille. Son principal argument sera d’expliquer qu’Emmanuel Macron est un homme de droite qui mène une politique de droite, mais c’est un argument qui sera peut-être repris par Olivier Faure pour le PS, un parti dont la quasi disparition sert la France Insoumise.

Il sera donc intéressant de voir comment les deux hommes se positionnent lors de cette émission : en alliés – Mélenchon anticipant une possible fracture de LaREM et une remontée du PS - ou en rivaux – s’il estime cette fois qu’il peut occuper tout l’espace politique à la gauche de LaREM. Au vu des derniers évènements, Jean-Luc Mélenchon sera par contre fragilisé par les questions portant sur le terrorisme et l’immigration.

Jean-Philippe Moinet : L'enjeu pour Jean-Luc Mélenchon est de sortir de la caricature qu'il donne parfois de lui-même. Pour définitivement contribuer à anéantir l'espace du PS, et pour tenter d'incarner un jour une opposition de gauche réaliste, il doit sans doute maitriser son aisance oratoire et ses facilités médiatiques pour élargir son assise électorale potentielle. Pas facile. Dans la mesure où l'exploit de son bon score de 2017 semble à la fois derrière lui et être le fruit d'une conjoncture particulière qui favorisait alors tous les "dégagismes". Qu'a incarné, à sa manière, Emmanuel Macron. Même si les orientations du gouvernement Philippe lui ouvre un espace de critique de gauche, même si certaines réformes suscitent des protestations ou des inquiétudes sur le plan social, Jean-Luc Mélenchon doit re-crédibiliser le discours d'une gauche, qui a vécu une déroute historique. Il n'est évidemment pas sûr qu'il soit la bonne personne, à l'avenir, pour cela. Son problème, y compris pour la cible de ses partisans, est de convaincre qu'il peut incarner l'avenir.

Marine Le Pen (Front National).

Samuel Pruvot Officiellement, c’est Marine le Pen qui, avec un capital potentiel de 17% aux prochaines européennes, pourrait revendiquer le premier rôle. La place de Godot, c’est la sienne ! Mais il faut dire qu’elle a failli la prendre pour de vrai- il y a un an. L’échec cuisant du débat télévisé avec Emmanuel Macron a eu le mérite de montrer que la TV pouvait servir à quelque chose. Marine le Pen a failli en direct. La place de Godot était à sa portée. Elle avait écarté tous les rivaux, notamment un autre vagabond François Fillon abandonné en rase campagne par ses électeurs après une fâcheuse affaire… Poussée par le besoin de réassurance des Français en matière de valeurs, dopée par la crainte de la mondialisation et des conséquences des flux migratoires, elle avait le vent en poupe. Mais non, Marine le Pen n’a pas transformé l’essai. Depuis un an, elle n’a pas réussi à convaincre que sa politique pouvait être la bonne. A savoir une alternative crédible au libéralisme souriant d’Emmanuel Macron. Sur l’Europe et l’euro notamment, elle peine à convaincre. Le costume de Godot reste hors d’atteinte. 

Christophe Boutin : Marine Le Pen entendra avec cette émission faire oublier le débat du second tour des présidentielles, tourner définitivement la page de 2017 et confirmer son rôle de présidente du premier parti d’opposition à Emmanuel Macron, non sur les bancs parlementaires, mode de scrutin oblige, mais dans les sondages. Comme Jean-Luc Mélenchon, mais de manière plus surprenante peut-être, elle ne semble pas faire l’objet d’une opposition interne – le départ de Florian Phillipot ayant clarifié en partie la ligne – et se trouve donc plus libre dans l’expression de son discours.

On connaît déjà une grande partie de ses arguments : Macron casserait le tissu de la France dans tous les domaines, du démantèlement du service public à l’européisme béat, de la soumission aux USA ou à l’OTAN à l’absence de lutte contre l’immigration. Confortée par des sondages qui la créditent de 23% des suffrages en cas de présidentielle, il est certain qu’au cours de l’émission Marine Le Pen aura à cœur de rappeler à Laurent Wauquiez, si celui-ci s’aventurait sur ces terrains, que la droite LR aux affaires n’a pas fait mieux que LaREM. Comme on l’a vue fragilisée par les questions techniques, on peut penser que l’on cherchera à lui demander des précisions chiffrées sur tout ce qu’elle avancera, et il sera intéressant de voir comment elle aura appris – ou pas – à contourner cet obstacle.

Jean-Philippe Moinet : L'enjeu pour la Présidente du FN est de montrer qu'elle pourra tenir, avec allant, une ligne durable et convaincante de la première force d'opposition à Emmanuel Macron. Elle doit notamment faire oublier le calamiteux débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle et montrer, sur la forme comme sur le fond, qu'elle peut supplanter... Laurent Wauquiez, qui est venu la chatouiller sur ton terrain national-populiste. Elle doit aussi faire oublier les divisions du parti lepéniste, le départ de Florian Philippot, l'éloignement de Marion Maréchal Le Pen, l'irréductible hostilité de Jean-Marie Le Pen. Et tenter de montrer, c'est le plus difficile, qu'elle peut sortir d'un splendide isolement politique et trouver des alliés. Au-delà de Dupont-Aignan, qui a vite fait un aller-retour lors de la dernière présidentielle, s'apercevant qu'il s'était mis lui-même dans une impasse et une nasse: celle de l'extrême droite, dont on ne sort pas grandi mais très affaibli. 

Olivier Faure (Parti socialiste).

Samuel PruvotOlivier Faure, le nouveau patron du PS, est l’autre vagabond de la pièce. Samuel Beckett l’appelle Estragon. Lui aussi est SDF depuis la prise du château par Emmanuel Macron. Mais son état de vagabond est d’autant plus insupportable que sa formation occupait, il y a un an encore, les salons dorés du château. Le PS a été comme laminé par l’un des siens, ancien conseiller et ministre de François Hollande. La force d’Emmanuel Macron est d’avoir raflé la mise du socialisme réformiste que voulait promouvoir son prédécesseur. Il a prospéré sur les ruines du PS laissant ses électeurs déboussolés. Acculés à la révolution de Mélenchon ou à la trahison du socialisme traditionnel. 

Christophe Boutin : La participation à la soirée de jeudi est une divine surprise pour un Olivier Faure qui ne faisait pas partie des premiers invités retenus, et n’a dû le fait d’être choisi qu’aux hésitations de Christophe Castaner. Quasiment inconnu du grand public, il compte sur cette soirée pour enfin exister sur la scène politique, mais cela ne lui sera pas facile. Il dirige en effet un parti en état de mort clinique, il doit arriver à faire oublier l’absence de Benoît Hamon, et il doit enfin arriver à s’imposer entre LaREM et la France Insoumise, quand ni l’une ni l’autre de ces deux formations n’ont intérêt à cela. Comme Wauquiez, cherchant lui son espace politique entre le FN et LaREM, mais de manière plus délicate encore au vu de l’état de son parti et du bilan de François Hollande, Olivier Faure devrait peiner à trouver sa place. Comme on ne voit pas de question le servant ou le desservant particulièrement, il pourrait être tenté de mettre en avant quelques formules chocs.

Jean-Philippe Moinet : Le PS ayant du mal à se remettre du KO de 2017, Olivier Faure a sans doute besoin de faire le chemin symétriquement opposé à celui de Jean-Luc Mélenchon : sans verser dans la démagogie, le leader du PS doit "populariser" son profil, perçu comme lisse et faiblement connu. Il n'a pas vraiment le choix, s'il veut vraiment exister dans le débat: il doit tenter de prendre la vedette à Jean-Luc Mélenchon, en lui contestant, d'une manière ou d'une autre, la légitimité à incarner une gauche à la fois enracinée, moderne et crédible pour l'avenir, notamment en ce qui concerne l'Europe. Il peut par exemple jouer sur le récent voyage de JL Mélenchon à Moscou, manifestement en pamoison vis-à-vis de la grande Russie de Poutine, le leader de France Insoumise saluant même "le passé idéologique (de la Russie) qui nous parle" ! Voilà une occasion, pour Olivier Faure, de le renvoyer à l'archaïsme du PC de Georges Marchais. Osera-t-il ?  

Christophe Castaner (La République en marche).

Samuel Pruvot Officiellement, durant la soirée de France 2, c’est lui Godot. Ou du moins son messager. Créditée de 27% des intentions de vote aux européennes, La République en marche semble caracoler loin en tête. Mais cette supériorité ne doit pas faire illusion. Pour terminer avec Beckett, il faut se souvenir que Godot n’arrive jamais. La promesse n’est pas tenue et les personnages sombrent dans le désespoir à force d’attendre en vain. Emmanuel Macron a promis la venue de Godot. N’est-il pas d’ailleurs ce Godot qui apporte avec lui les réformes qui ressusciteront la France ? Mais Godot est toujours au milieu du gué. Castaner annonce haut et fort son arrivée mais force est de constater que Godot est toujours en marche. Encore loin du but.

Christophe Boutin : Après avoir longuement hésité, refusant initialement de participer à l’émission, proposant ensuite que Laetitia Avia soit retenue à sa place, puis que vienne à ses côtés, comme autre partisan de la majorité en place, un François Bayrou qui refusa de jouer ce rôle de supplétif, Christophe Castaner est revenu quand LaREM a réussi à imposer le format spécifique de l’émission, qui tempère un peu le fait de se retrouver – potentiellement – face aux quatre autres participants. Reste à en tirer profit. En interne, Castaner va tenter de prouver qu’il est autre chose que l’ancien chauffeur de salle des meetings de Macron reconverti en gardien du temple du parti présidentiel. Mais sur ce dernier point les choses ne sont pas si simples, et il sera fragilisé, sur le plan de la cohésion interne de son parti, par les questions portant sur l’immigration et l’asile.

En externe, puisque l’émission est centrée sur le bilan du macronisme au pouvoir, c’est donc lui qui aura la tâche difficile de « tenant du titre », attaqué par tous les autres. Difficile, car il semble bien que derrière l’image jupitérienne qui fait les beaux jours des chaînes télévisées et les couvertures des gazettes, la réalité soit moins glorieuse : ni à Notre-Dame-des-Landes, ni dans les facultés, ni face aux grévistes l’image d’autorité de l’État qu’aime la droite n’a véritablement été restaurée, sans pour autant donner satisfaction aux revendications de la gauche. Quant à la stature internationale de notre Chef de l’État, il est permis de se demander si l’Europe de 2019 sera celle dont il nous a dressé le tableau dans ses discours, et certains ont par ailleurs l’impression, plus largement, de voir la France macronienne, loin de toute velléité de multilatéralisme , incapable de négocier face au géant américain, s’aligner piteusement sur des initiatives pour le moins contestables. Enfin, sur les deux points prioritaires exprimés par les Français, la lutte contre l’immigration d’une part et la défense de leur sécurité d’autre part, certains observateurs ont l’impression que la montagne élyséenne accouche des mêmes souris que les précédentes. À Christophe Castaner de vendre un bilan, mais il lui faudra aussi, certainement, évoquer un « nouvel élan ».

Jean-Philippe Moinet : Pour le dirigeant de La République en Marche, l'enjeu est de ne pas se laisser déborder par les oppositions, diverses, qui vont naturellement se retrouver dans la critique d'Emmanuel Macron et des réformes engagées. Il est forcément dans une situation délicate car, à priori, il se retrouve seul contre quatre ! Il est étonnant d'ailleurs que dans cette émission, aucun représentant de l'espace qui va de LRM de Christophe Castaner à Laurent Wauquiez n'ait été invité, espace qui couvre le Modem, l'UDI, Agir et les modérés de LR: cet espace du centre droit est pourtant au moins aussi important politiquement, voire plus important, que l'espace occupé par Olivier Faure aujourd'hui. L'enjeu pour Christophe Castaner sera de répliquer à tout et à tous, mais aussi de garder distance et hauteur vis-à-vis de ces quatre oppositions, montrer leur caractère hétéroclite et qu'elles peuvent, au final, se neutraliser. Même s'il paraîtra isolé dans cette configuration médiatique - ce qui est paradoxal pour le représentant de la majorité sortie des urnes à la présidentielle et aux législatives - il aura pour défi de tracer les perspectives, pour le pays, des réformes amorcées et en projet, de rappeler clairement les fondamentaux des objectifs poursuivis, de convaincre que tout est fait pour faire revenir la France dans une nouvelle dynamique économique et dans une Europe solidaire, efficace et "souveraine", le tout devant permettre de conquérir de nouvelles marges de manœuvre et de nouveaux progrès, sociaux notamment. 

Dans un pays qui s'est construit pour partie dans les défiances et les protestations, ce défi n'est pas simple, mais il devra porter, seul, la voix de l'avenir en trouvant les bons mots, et les arguments, montrant qu'il a face à lui quatre voix d'un "ancien monde", d'autant plus péremptoire qu'il est en perdition. 

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