Avortement : les véritables dessous d’une tempête politique américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Des défenseurs du droit à l'avortement manifestent devant le domicile du président de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts, le 11 mai 2022 à Chevy Chase, dans le Maryland
Des défenseurs du droit à l'avortement manifestent devant le domicile du président de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts, le 11 mai 2022 à Chevy Chase, dans le Maryland
©KEVIN DIETSCH / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP

Tempête politique

Le 2 mai dernier, Politico publiait en exclusivité un article basé sur la fuite d’un projet de jugement de la Cour suprême américaine dont l’objet est la remise en cause d’un précédent jugement de cette même cour, Roe vs Wade.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Ce précédent arrêt avait posé les bases juridiques rendant l’avortement légal dans tous les États américains et limitant l’intervention de l’État dans la décision d’avorter, jugée alors du domaine de la vie privée. Le projet actuellement en discussion et dont le contenu a fuité vers Politico renverrait à nouveau la responsabilité d’interdire ou d’autoriser l’avortement au niveau de chaque État et non plus au niveau fédéral.

Le sujet de la légalisation de l’avortement aux États-Unis est particulièrement clivant sur le plan politique et cette nouvelle information dans le paysage américain actuel ne pouvait qu’immédiatement enflammer le débat : il n’a donc pas fallu longtemps pour voir les partisans de l’actuel statu quo débouler devant la Cour suprême dans les heures qui ont suivi la publication. Les tensions sont suffisamment vives entre les « pro-choice » (pro-avortement) et les « pro-life » (anti-avortement) pour qu’on puisse redouter une montée rapide de la violence dans ces rassemblements.

Au-delà du débat de la légitimité à rendre ou conserver légal l’avortement et qui occupe à présent une place importante dans la presse américaine, une question se pose immédiatement : pourquoi maintenant ?

Difficile en effet de ne pas noter le timing particulièrement diabolique de cette fuite qui intervient alors que les élections de mi-mandat américaines, qui auront lieu en Novembre prochain, annoncent jusqu’à présent une large victoire des Républicains. La question de l’avortement, particulièrement clivante, pourrait permettre aux Démocrates de faire oublier le bilan cataclysmique de l’actuelle administration et de son président actuel, Joe Biden, dont les gaffes répétées et les comportements de plus en plus erratiques fournissent des billes à ceux qui s’interrogent de plus en plus vocalement sur sa bonne santé mentale et son aptitude réelle à gouverner.

Difficile aussi de ne pas noter la concomitance de cette fuite forcément très médiatique avec l’actualité et la capacité de ce sujet d’en occulter d’autres, décidément très embarrassants tant pour les médias que pour l’administration américaine actuelle : la même semaine, on apprend en effet que Pfizer, contraint par la loi, publie un nouveau paquet de documents (70.000 pages) sur les tests et le suivi plus ou moins rigoureux des patients lors de l’essai clinique de son vaccin contre le SARS-CoV2 ; toujours la même semaine, le régulateur américain a restreint les autorisations du vaccin Johnson & Johnson pour des effets secondaires (thromboses), nouvelle qui là encore est passée relativement inaperçue ; et encore dans la même semaine sort un documentaire détaillant des fraudes électorales aux élections présidentielles américaines de 2020, dont la couverture par les médias traditionnels est de fait réduite à sa portion congrue.

Enfin et compte-tenu des tensions déjà existantes et des dérapages inévitables de certains groupes activistes, la question de l’avortement va vraisemblablement provoquer quelques petits mouvements « globalement pacifiques » (comme l’expliquait CNN pour les émeutes BLM lors de l’été 2020) pour achever le tableau et achever de détourner complètement l’attention du public américain de la pandémie, de ses problèmes politiques internes et, dans une certaine mesure, du conflit russo-ukrainien.

Par ailleurs, l’arrivée inopinée de ce débat dans le paysage médiatique américain entraîne d’intéressants retournements de situation qu’il conviendra sans doute d’analyser plus tard.

Ainsi, en septembre dernier, les médias avaient fait leurs choux gras de Joe Rogan, animateur d’un célèbre podcast d’entretiens, qui avait expliqué avoir pris de l’ivermectine pour se débarrasser de son Covid, en rebaptisant le traitement comme « vermifuge pour chevaux », faisant ainsi passer l’artiste pour un fou furieux prêt à toutes les extrémités, y compris les traitements de chevaux, plutôt qu’accepter les traitements et la prévention du moment (la vaccination).

Il n’aura fallu que neuf mois et la potentialité d’un revirement dans le droit américain à l’avortement pour que ces mêmes médias s’empressent de trouver d’étonnantes vertus aux traitements équins, dont certains (ceux pour les ulcères notamment) ont la particularité de pouvoir être utilisés comme produits abortifs en médecine humaine.

Certes, qu’on ne soit partisan de l’usage de produits vétérinaires à titre humain semble un argument raisonnable, mais on aura du mal à expliquer le revirement violent et parfaitement hypocrite de ces médias mainstream selon le sujet. Et cette hypocrisie de la nouvelle position médiatique n’a d’ailleurs pas échappé à de nombreux citoyens, qui pourront s’interroger sur les opinions et arguments présentés précédemment dans ces colonnes aux principes décidément si fluides ; après tout, s’ils sont si peu embarrassés de cohérence interne à ce propos, on est en droit de s’interroger sur toutes les autres propositions qu’ils soumettent régulièrement.

Plus généralement et au-delà même des médias, cette réouverture du débat sur l’avortement propulse sous le nez de tous l’incroyable difficulté que peut avoir la loi à régenter l’un ou l’autre aspect de la vie intime des citoyens : il apparaît fort compliqué de réclamer d’un côté la souveraineté sur son propre corps et de tenir exactement la position inverse lorsqu’il s’agit de vaccins par exemple.

Dans un ensemble cacophonique stupéfiant, on retrouve ainsi les mêmes qui réclamaient bruyamment des obligations vaccinales (et donc l’abandon de la souveraineté personnelle sur son corps au prétexte qu’il fallait sauver des vies) réclamer à présent l’autorisation d’avorter (et donc la permission de détruire des vies en pointant l’inaliénabilité de sa souveraineté personnelle sur son corps). L’inverse diamétral est aussi vrai : beaucoup de ceux qui se sont levés contre l’obligation vaccinale se retrouvent dans le camp de ceux qui, justement, entendent clairement interdire l’avortement, avec la même cohérence globale.

Dans les deux cas, ceux qui font le plus de bruit attisent fort commodément les dissensions, et ce alors que jamais les tensions politiques n’ont été aussi fortes aux États-Unis en particulier et en Occident en général et alors que la géopolitique internationale n’a jamais été autant au bord d’un nouveau conflit mondial…

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