Avis de tempête : comment les pays émergents sont en train de se précipiter dans une crise à laquelle la zone euro n'échappera pas <!-- --> | Atlantico.fr
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Un tempête économique menace la zone euro.
Un tempête économique menace la zone euro.
©Reuters

L'effet domino

Face au ralentissement chinois, les pays émergents se retrouvent confrontés à une crise qui menace également la zone euro.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Plusieurs pays émergents (Argentine, Turquie, Ukraine etc..) sont aujourd’hui confrontés à une baisse de leur devise, quelles en sont les raisons ?

Nicolas Goetzmann : Bien évidemment, les situations sont différentes mais nous pouvons tout de même tracer une ligne directrice. Depuis la mi-2013, et au-delà des menaces de la Fed de ralentir son programme de relance monétaire, la Banque centrale chinoise a choisi de ralentir le rythme de croissance de son économie. Et cela a des conséquences lourdes pour les pays émergents. La Chine est aujourd’hui la seconde économie mondiale et est devenue une destination d’exportations pour de nombreux pays.

Ces derniers voient donc marché qui leur est essentiel se contracter. Leurs exportations et leur niveau de production en sont directement impactés. De plus, pour certains pays, le ralentissement chinois implique une moindre demande pour les matières premières, ce qui vient peser à la baisse sur le prix de ces dernières, et toucher directement  les pays qui les exportent. Enfin, ce ralentissement a aussi pour conséquence de baisser la demande chinoise pour des actifs financiers, notamment les actions ou les obligations des pays émergents.

En combinant ces 3 facteurs, il y a risque important pour ces pays de voir leur croissance ralentir, ce qui est déjà le cas, et peut avoir pour effet de peser à la baisse sur leurs devises. De plus, lorsqu’un pays a besoin de placer de la dette sur le marché avec une croissance qui se contracte, une devise qui baisse, et des taux d’intérêts à la hausse, la situation peut rapidement devenir critique. Pourtant ces pays ne sont pas forcément dans une situation dramatique.

Et Il ne s’agit pas de dire que cette situation serait "la faute des Chinois" car chaque pays a le loisir d’importer ou non les effets de la politique monétaire chinoise. S’ils ne sont pas satisfaits du niveau de la demande extérieure, ils ont les moyens d’ajuster leur demande intérieure.

Les tensions politiques qui existent, en Turquie, en Ukraine, en Argentine, ou en Thaïlande, sont autant de cas spécifiques qui s’ajoutent à la tension financière actuelle. Ces tensions peuvent être le déclencheur d’une situation qui se mettait déjà progressivement en place.

Les différentes réactions des autorités locales sont-elles appropriées ?

Non. Et ce qui est désespérant c’est que la même histoire se répète année après année. Les autorités voient leur monnaie plonger et s’inquiètent immédiatement d’éventuelles conséquences inflationnistes pourtant infondées. Leur objectif n’est pas de préserver la croissance mais la valeur de leur monnaie. Il s’agit d’une déviance économique qui consiste à percevoir la "valeur" de son pays à travers le cours de sa devise. Le résultat est que la Banque centrale turque, la banque centrale indienne, ou la banque centrale sud-africaine ont remonté leurs taux directeurs ces derniers jours, et ce de façon totalement désordonnée. En relevant leurs taux, ils pensent pouvoir défendre la valeur de leur monnaie et le résultat sera une contraction de leur demande intérieure. Ce qui provoque un double effet récessif : la chine contracte, la devise baisse, et ils rajoutent un tour gratuit en contractant à leur tour. La Turquie et l’Afrique du Sud ne peuvent espérer qu’une récession avec une telle politique.

Mercredi 29 janvier, le Premier ministre Erdogan déclarait ceci à des journalistes :

"Je crois que l’inflation et les taux d’intérêts ne sont pas inversement proportionnels mais en directe proportion » « en d’autres mots, la relation entre inflation et taux d’intérêts est cause et conséquence : les taux d’intérêts sont la cause, l’inflation est le résultat. Si vous augmentez les taux, l’inflation augmente. Si vous la réduisez, les deux baissent ensemble. Quand vous pensez qu’ils sont inversement proportionnels, vous avez toujours de mauvais résultats".

Avec ce type de déclaration, la situation de la Turquie ne risque pas de s’améliorer parce que le Premier ministre est en train de nous expliquer l’inexplicable. Bien évidemment, les taux sont la cause et la croissance et l’inflation sont le résultat. Il peut d’ailleurs demander aux Japonais leur avis sur cette question, car ceux-ci essayent désespérément de produire un peu d’inflation et ce n’est pas en rehaussant leur taux qu’ils y parviennent, mais en injectant des milliards dans leur économie.

Quels pourraient être les effets de ces évènements sur la situation actuelle de la zone euro ?

Un effet déflationniste supplémentaire. Je m’explique. La chine contracte son activité et entraine les pays émergents avec elle. Le résultat est que la "demande" émergente globale va ralentir, ce qui va peser à la baisse aussi bien sur les exportations européennes vers ces pays, que sur le prix des produits que l’Europe va importer, notamment les matières premières. Etant donné que le calcul de l’inflation en Europe prend en compte le prix des biens importés, et le prix des matières premières, au final c’est l’inflation européenne qui va baisser.

Et je vous rappelle que l’inflation en Europe est aujourd’hui à 0.8%, et que malgré le semblant de croissance actuelle en zone euro, ce chiffre ne risque pas de gonfler fortement dans les mois à venir. Ce qui veut dire, au final, que la zone euro est aujourd’hui face à une importante menace déflationniste. Et la déflation, c’est mal. La déflation c’est par exemple le moyen miraculeux de voir le poids de sa dette augmenter de lui-même, rendant impossible toute amélioration budgétaire. La déflation, c’est 1929, c’est 2009. Et si la BCE ne réagit pas et que les pays émergents continuent de se faire harakiri, nous en ferons à nouveau l’expérience dans les mois à venir.

Le drame ici est que la stratégie européenne, qui consiste à essayer absolument de se rendre compétitive à l’export hors zone euro, se rend totalement dépendante de la demande extérieure. Déjà que la demande européenne est inexistante, nous sommes maintenant confrontés à une demande extérieure en baisse. C’est bien le problème d’une Banque centrale européenne qui est guidée par une idéologie façonnée dans des pays de taille moyenne (France et Allemagne), c’est-à-dire une idéologie tournée vers l’extérieur, et qui est appliqué à un ensemble géant ; la zone euro. En appliquant une logique étriquée "de l’export" à la deuxième économie du monde en termes de demande, nous allons droit dans le mur. Si la BCE se concentrait sur la demande intérieure de la zone euro, nous n’en serions pas là, nous serions au niveau des Etats Unis, qui viennent d’afficher une croissance de 3.2%.

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