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Avis aux Gilets jaunes : le peuple n’a jamais pardonné à ceux qui ne respectaient pas la trêve des confiseurs
©LUCAS BARIOULET / AFP

Atlantico Business

Depuis l’an 1000 avec Saint Louis, en passant par Napoléon III, la trêve des confiseurs a toujours été respectée par ceux qui contestaient le pouvoir en place.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La trêve des confiseurs est une vieille tradition. Elle puise ses origines dans les pratiques religieuses et culturelles, mais la politique s’en est emparée et l’a sanctuarisée. Sous Napoléon III notamment.  Les mouvements révolutionnaires, à partir du XVeme siècle, ont pris l’habitude de taire les revendications et les discussions entre Noël et le jour de l’an, pour laisser le commerce de bouche et de divertissement accompagner librement les fêtes de familles ou amicales. Parallèlement à la politique, la bourse elle-même s’est mise au ralenti. Donc pas de discussions, pas de bagarres ou de spéculation pendant ce qu‘on a appelé la trêve des confiseurs. C’est la trêve pendant laquelle les confiseurs et autre pâtissiers doivent être les rois du monde.

La question, cette année, est de savoir ce que vont faire les Gilets jaunes qui ont déjà fortement perturbé le mois de décembre, qui est le mois où se préparent les fêtes et donc les achats de Noël. Ils sont, une fois de plus, partagés sur le type d’actions à poursuivre entre Noël et le jour de l’an. Une part non négligeable a choisi de regagner la maison pour se retrouver en famille, mais beaucoup estiment que leur vraie famille est celle qu’ils ont recomposée autour des ronds-points. Quant aux plus radicaux, ils essaient de mobiliser leurs adeptes pour revenir manifester à Paris samedi prochain ; et pourquoi pas pour organiser un réveillon du 1er janvier sur les Champs Elysées, lundi soir, le 31 décembre.

Si les Gilets jaunes réussissent à réunir sur les Champs plusieurs milliers de manifestants, personne ne croira que ce sera pour sabler le champagne de façon amicale. La nuit de la Saint-Sylvestre, qui est déjà très mouvementée, risque bien cette fois de s’enflammer à nouveau. Les professionnels de la casse s’en donneraient à cœur joie. Quant aux touristes français et étrangers qui sont extrêmement nombreux à Paris ce soir-là, on a du mal à imaginer les images avec lesquelles ils rentreront chez eux.

Pour une multitude de raison, les Gilets jaunes ne peuvent pas transgresser la trêve des confiseurs. D’abord, l’Etat ne le leur permettra pas. Il va falloir protéger l’ordre public à tout prix. Mais la majorité du « peuple » à laquelle les Gilets jaunes se réfèrent, ne leur pardonnerait pas. Cette tradition, née sous l’emprise des révolutionnaires et autres remue- méninges a laissé des traces dans l’ADN de l’identité française. La trêve des confiseurs avait, au départ, une fonction religieuse, puis elle est devenue culturelle et politique. Aujourd’hui, son impact est principalement économique. C’est donc une affaire de gros sous. 

Pendant cette période, beaucoup d’activités non marchandes tournent au ralenti, le gouvernement, l’administration, le Parlement (même si la session budgétaire par exemple dure jusqu’au 31 décembre, et si les discussions s’éternisent, on bloque la pendule pour rester dans les clous de la Constitution). L’hôpital aussi tourne au ralenti. Normalement, seul l’accueil des malades en urgence et le traitement des patients hospitalisés sont assurés. Jusqu‘à une époque assez récente, on n‘accouchait pas pendant la trêve de Noël sauf cas de force majeure. Aujourd’hui que les médecins gynécologues peuvent déclencher les accouchements, les naissances se font très rares pendant les fêtes de Noël, sauf convenance personnelle des parents. La bourse elle même tourne également au ralenti avec des volumes d’échanges très faibles. Par principe, les jeux spéculatifs sont assez peu recommandés.

Les seules activités qui tournent à plein régime sont les activités commerciales et festives, celles qui délivrent du divertissement, puis, par extension, celles du tourisme, du voyage, du spectacle, de la gastronomie etc.… Bref, tout ce qui concourt à la célébration de la fête.

La trêve des confiseurs est donc une période de consommation intense puisque on estime que pendant les fêtes, un pays comme la France consomme 20% à 30% de son PIB annuel. C’est donc devenu un outil de soutien à l’économie incontournable. Il suffit de voir le chiffre d’affaires des grands magasins, et de tous ces marchés de Noël qui fleurissent en France à cette époque.

L’histoire mouvementée de la trêve des confiseurs remonte au Moyen-âge vers l'an 1000 : Louis IX, le futur Saint-Louis, va imposer ce qui existe déjà dans les faits et qu’on appelle la trêve de Dieu. Le clergé, qui participe avec la noblesse à la gouvernance du roi, veut que les seigneurs cessent de se faire la guerre pendant les fêtes spirituelles et les semaines qui les précèdent (Avent, Noël, Carême, Pâques…). Et si les seigneurs refusent de baisser les armes, ils risquent d’être excommuniés.

Le jour où on honore le seigneur, on ne doit pas prendre les armes, la trêve préconise donc que toute violence soit bannie. Dans les faits, elle sera peu respectée : au point que ce sont les paysans qui obligent les seigneurs à rester calmes.

Pour le roi, cette initiative est un outil politique de première importance. Cette trêve lui sert à neutraliser ses vassaux. Donc à les affaiblir. Donc à le renforcer lui, le souverain. Cette pratique ne sera jamais abandonnée, mais elle ne sera pas systématisée de sitôt.  

Il faudra attendre le XIXe siècle, la révolution industrielle, le Second empire et l’imagination débridée (et révolutionnaire) de Napoléon III pour ressortir cette tradition... Vers la fin de son règne (1870), alors que l’essentiel des réformes économiques a été mis en œuvre, que la France a rattrapé son retard sur l‘Angleterre, que les infrastructures sont en plein développement, que Paris a changé d’urbanisme, qu’on a même déjà imaginé un système de sécurité sociale et de retraite pour adoucir la condition ouvrière, la situation politique devient de plus en plus difficile à gérer.

Le parlement de pacotille rue dans les brancards, les groupes de pression démocrates le trainent dans la boue, en particulier Victor Hugo qui manipule de son exil, un club de journalistes et d’agitateurs qui ont juré d’avoir la peau de celui qu’ils appellent toujours Napoléon le petit. Les Gilets jaunes de l’époque sont nombreux et harcèlent le pouvoir.

Ce qui fait qu’un jour, Napoléon propose, dans les années 1860, de choisir des jours dans l’année où tous les protagonistes de la vie politique cesseraient tout débat, toute critique, toute injure, toute bagarre. Napoléon voulait reprendre la trêve de Dieu qui avait réussi à Saint Louis mais à des fins purement laïques. N‘empêche que la période la plus facile pour organiser une telle trêve devait être celle des fêtes de fin d’année.

Napoléon a du mal à se faire entendre et à faire accepter sa proposition. Il est de plus en plus contesté. 

C’est à ce moment là que, sans doute mal conseillé, Napoléon III est parti, pour reconquérir son prestige, dans une guerre calamiteuse avec la Prusse. Napoléon III a été un formidable bâtisseur, mais un piètre diplomate. Il s’entendait à merveille avec les ingénieurs et les architectes, mais ne comprenait pas les militaires. Quant au peuple, les élites ne savaient plus l’écouter. C’était tout le contraire de son oncle dont la notoriété historique l’a toujours encombré.

Cette guerre avec la Prusse va le conduire à sa perte. La défaite de Sedan, l’obligera à abandonner le pouvoir, et à s’exiler à Londres où, ironie de l’histoire, il y croisera son ennemi mortel, Victor Hugo, qui rentre lui à Paris.

Le problème c’est qu‘à Paris, la situation politique est devenue ingérable. Le retour de Victor Hugo au parlement n’a rien changé, contrairement à ce qu’il avait espéré. Le génial écrivain est un piètre politique.

La guerre franco-allemande de 1870-71, puis la Commune de Paris, entre mars et mai 1871, ont affaibli la France. Paris ne s’en relève pas. Au plan politique, c’est « la chienlit » aurait dit le général de Gaulle. Il n‘existe pas de majorité pour gouverner. Les républicains, les bonapartistes, les monarchistes et les révolutionnaires débattent et se battent pour conquérir le pouvoir. Malgré le désordre et la violence, les hommes politiques décident, fin 1874, de mettre leurs querelles et leurs débats en sommeil, invoquant pour prétexte que "le peuple doit pouvoir se concentrer sur les fêtes de fin d'année".  L’Assemblée nationale va voter à une forte majorité, le caractère obligatoire de cette sorte d’armistice politique. En clair, ils reprennent le projet de Napoléon III.  

Mais les fête de fin d’année ne sont qu’un prétexte, les hommes politiques se donnaient bonne conscience en veillant à ce que le bon peuple puisse non pas profiter d’une tranquillité d’esprit et puisse faite la fête. Mais il s’agissait déjà, à l’époque, de faire en sorte que le peuple puisse consommer plus. Il fallait donner un coup de pouce au commerce. Les commerces parisiens fermaient les uns après les autres. 

Le duc de Broglie, homme politique de l’époque et membre de l’Assemblée, reconnaitra le caractère économique de la mesure dans ses mémoires : "On convint de laisser écouler le mois de décembre 1874, pour ne pas troubler par nos débats la reprise d'affaires commerciales qui, à Paris et dans les grandes villes, précède toujours le jour de l'an. On rit un peu de cet armistice, les mauvais plaisants l'appelèrent la trêve des confiseurs".

La vérité historique est là. Derrière les joutes politiques qui ne menaient nulle part, la France faisait faillite. Il fallait donc créer un climat propice au commerce.

Ceux qui en ont le plus profité sont les fabricants et commerçants de confiserie. Avec le recul, on pensait que l’effet de cette mesure ne pouvait être que marginal par rapport à la crise économique de l’époque. Mais la trêve des confiseurs, qui durait pratiquement un mois, a eu dès le début un réel impact sur les ventes, elle a apporté un ballon d’oxygène à des commerçants menacés. L’épargne thésaurisée et sortie des caves et des placards l’argent s’est remis à circuler. Exactement ce qu’avait imaginé Napoléon III, qui a d’ailleurs conseillé aux Anglais la même chose lors de son exil à Londres.

Plus tard, quelques économistes expliqueront que les hommes politiques de la IIIe République avaient expérimenté là une méthode qui serait théorisée en 1936 par John Maynard Keynes : la relance de l’activité économique par la consommation.

Bernard Maris, dans son anti-manuel d’économie, en avait fait une allusion. Raymond Barre, l’auteur du manuel d’économie qui a sans doute eu le plus de succès en France depuis 30 ans, avait lui aussi donné en exemple la trêve des confiseurs.

Avec une différence notoire. C’est que Bernard Maris et Raymond Barre qui étaient deux keynésiens convaincus avaient précisé l’un et l’autre que la relance par la consommation nécessitait que la demande soit solvable. Ce que Napoléon III n’avait pas oublié. « Pour que le peuple puisse acheter des confiseries, il fallait qu’il en ait les moyens » avait-il dit. 

Plus tard, beaucoup plus tard, les politiques de droite comme de gauche, sous la 4e et sous la 5e République ont tout fait pour solvabiliser la demande de fin d’année. Ils ont incité les entreprises à verser un 13e mois ou des primes de fin d’année. Et pour les moins favorisés, on a inventé la prime de Noël, versée à plus de 2,5 millions de Français allocataires du RSA pour la plupart.

Quand on dit que l’histoire ne se déroule jamais deux fois de la même façon, c’est faux. Cette année en 2018, le mouvement des Gilets jaunes a obtenu que le pouvoir présidé par Emmanuel Macron lâche un plan de relance du pouvoir d’achat de plus de 10 milliards d’euros, en réinventant la prime de Noël et la majoration du RSA. Tout cela à la veille de la trêve des confiseurs.  

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