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Avenir de l’Europe : l’heure de miser sur autre chose que l'intégration économique est-elle venue ?
©JOHN THYS / AFP

Un tournant pour l'UE ?

Il y a un an, le Parlement européen a lancé une vaste consultation qui s'est achevée le 30 avril. 325 propositions citoyennes ont été retenues et la plupart vont dans le sens d'une plus grande intégration européenne, voire de l'émergence d'un véritable espace politique européen

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Dimitri Oudin

Dimitri Oudin

Dimitri Oudin est Membre du Bureau National du Mouvement Européen France, Président du Mouvement Européen Marne.
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Atlantico : La conférence sur l’avenir de l’Europe s’est conclue par quelque 325 propositions qui ont été sélectionnées par les citoyens. La plupart vont dans le sens d'une plus grande intégration européenne voire de l'émergence d'un vrai espace politique européen.  L’heure de miser sur autre chose que l'intégration économique comme moteur est-elle venue ? 

Dimitri Oudin : L’intégration économique n’est pas le seul instrument de coopération européenne. Mais il est vrai qu’il est historiquement le premier, et qu’il a pris une place prépondérante depuis lors, quitte à éclipser, au moins symboliquement, les autres aspects de cette coopération. 

Depuis 3 ans, l’Europe a connu des crises dont l’ampleur lui était quasiment inconnue depuis la Seconde Guerre Mondiale, que ce soit via la pandémie de la COVID-19 ou au travers de la Guerre russe en Ukraine. Aussi dramatiques soient-elles, ces crises sont aussi des opportunités pour l’Union Européenne de se réinventer, ce que les citoyens européens semblent eux-mêmes appeler de leurs vœux. 

Pendant le premier confinement, la plupart des critiques -justifiées par ailleurs- à l’égard de l’Europe portaient sur un manque de solidarité et d’efficacité européennes dans la gestion de la pandémie. Et ce, alors que l’Union Européenne ne disposait pas des compétences sanitaires à la hauteur des enjeux qui se présentaient à elle. Autrement dit, les citoyens ne voulaient pas moins d’Europe, mais une Europe plus intégrée, et plus efficace. 

Les propositions issues de la conférence sur l’avenir de l’Europe se font globalement l’écho de ce besoin. Les crises sont multisectorielles et polymorphes. Elles appellent à une réponse qui ne peut se satisfaire de son seul aspect économique. L’Union Européenne doit davantage investir d’autres aspects des politiques publiques. L’Europe de la Santé, l’Europe de la Défense, l’Europe du Développement Durable, l’Europe de la Culture et du Patrimoine sont autant de visages, non exhaustifs, qui sont en train d’émerger ou de se réaffirmer sur l’agenda public, et qui répondent à ce besoin de voir un espace politique européen dans toutes les dimensions du terme. 

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Bruno Alomar : D’abord, remettons les choses en place. L’Union européenne (UE), on l’oublie trop souvent, est une chose très simple : une organisation internationale aux compétences limitativement énumérées par des États-membres souverains, spécialisée dans les questions économiques. Ce n’est donc pas un État souverain aux compétences générales : c’est un outil aux mains d’États-membres pour mener des politiques, dans leur très grande majorité, économiques. 

Dans ce contexte, la question qui se pose à l’UE, c’est de savoir dans quelle mesure elle sort de son champ économique pour faire autre chose (de la diplomatie, de la défense etc.)  

La réponse est dans la question : une Convention sur l’avenir de l’Europe, comme le scorpion de la fable de La Fontaine qui ne sait que piquer, ne sait faire qu’une chose, préconiser toujours plus d’Europe. 

Depuis l’acte unique de 1986 et Maastricht 1992, l’Europe a misé sur l’économie pour provoquer un approfondissement politique. Quel est le bilan réel de cette stratégie d’un point de vue économique ? Et d’un point de vue politique ? Peut-on se permettre un statu quo ?

Bruno Alomar : D’un point de vue économique, le bilan est contrasté. Bien sûr, chacun est capable de montrer tous les avantages du marché unique ou de l’euro. D’autres sont capables d’en montrer les limites économiques, surtout s’agissant de l’euro. La réalité est la suivante : il est très difficile de démontrer la plus-value européenne. Autrement, comment comprendre que la Suisse, la Norvège n’aient pas rejoint l’UE. Autrement les États membres de l’euro s’en sortiraient mieux que ceux qui n’ont pas encore rejoint l’euro, ce qui n’est pas le cas. Surtout, nous avons un test en acier trempé qui a commencé : le Brexit. 

D’un point de vue politique c’est difficile à dire. Deux exemples. 

La défense. L’on entend certains dire « regardez l’Ukraine, nous sommes des enfants gâtés qui ne nous rendons pas compte de la chance que nous avons d’être dans l’Europe ». C’est une chimère : l’UE n’est pas la mère de la paix, mais la fille d’une paix permise par l’OTAN et par la détention par la France de l’arme nucléaire. Bien sûr, l’UE charrie bien entre États membres beaucoup des effets bénéfiques du « doux commerce ». 

L’euro. Le grand échec de l’euro n’est pas économique. Il est politique. C’est l’euro et sa gestion calamiteuse qui ont ressuscité un puissant rejet de l’Allemagne jugée égoïste, et avec elle des pays monétaristes, et qui agit comme un poison lent. C’est l’euro qui est responsable de la résurrection d’une extrême droite en Allemagne (AFD). C’est l’euro et la politique monétaire ultra accommodante qui alimentent l’irresponsabilité des gouvernements (la France notamment) et leur laxisme budgétaire.   

Dimitri Oudin : Il est même possible de remonter à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), créée en 1952, pour constater le lien entre intégration économique et approfondissement politique. Le paradigme dominant depuis le début de la construction européenne consiste à promouvoir le développement des échanges économiques régulés entre les Etats-membres, de sorte à asseoir leur interdépendance et ainsi pacifier leurs relations. Force est de constater que cette idée s’est révélée radicalement efficace.

L’Acte Unique et le Traité de Maastricht, dont on fête cette année les 30 ans, ont réaffirmé avec force ce paradigme. Tout en offrant trois piliers à l’Union Européenne, non exclusivement économiques, puisqu’ils comprennent également la Politique Etrangère et de Sécurité Commune ainsi que la Coopération dans le Domaine de la Justice et des Affaires Intérieures. Les Traités ultérieurs ont précisé et renforcé ces trois piliers.    

Sur le plan économique, la création de l’euro est un succès indéniable, auquel les Européens bénéficiaires semblent majoritairement attachés. 

Les règles budgétaires, auxquels les Etats concernés sont contraints, sont en revanche très peu compréhensibles pour le grand public, et participent à l’idée d’une Europe technocratique et ésotérique qui, au fond, ne se parle qu’à elle-même. Ce qui contribue en un sens au détachement d’un certain nombre d’Européens vis-à-vis des institutions européennes.

Et ce, enfin, d’autant plus que lesdits Etats ne respectent globalement pas ces règles budgétaires, comme en témoigne l’explosion de leur dette publique. Tant est si bien que la crise de la COVID tend à remettre en question ces règles budgétaires comme un prétendu horizon indépassable. 

Sur le plan politique, le processus d’adhésion des nouveaux Etats membres au sein de l’Union Européenne auquel nous avons assisté depuis plus de 30 ans, se révèle bénéfique, tant pour ces Etats, que pour l’UE elle-même. L’ouverture vers les pays d’Europe Centrale et Orientale, que ce soit pour des raisons culturelles, stratégiques ou géopolitiques,  reste positive,  a fortiori à la lumière de la Guerre en Ukraine. Or, l’intégration économique a constitué la porte d’entrée principale pour favoriser l’adhésion de ces Etats.  

Dernièrement, l’Union Européenne a mis en place un mécanisme de conditionnalité de versement des fonds européens, sous réserve du respect de l’État de Droit. C’est le plan de relance conclu après le premier confinement qui a permis de voir naître ce mécanisme, qui permet d’éviter les comportements de francs-tireurs de certains Etats membres, et de concilier les dimensions politique et économique de l’intégration européenne.  Ce mécanisme est certes encadré mais il dessine sûrement les orientations à venir de la stratégie de l’Union Européenne, en termes d’approfondissement de ses institutions, où l’affirmation et le respect de ses valeurs deviendra un marqueur politique de premier plan, au moins à rang égal à celui de la coopération économique.

Le contexte politique, avec la menace de la guerre en Ukraine, la présidence française du conseil de l'Union européenne semblent accompagner un climat favorable au changement via un leadership français notamment. Une procédure de renégociation des traités a d'ailleurs été ouverte. Ce changement doit-il être encouragé et accompagné ? 

Dimitri Oudin : Bien sûr, ce changement doit être encouragé. Les Etats membres de l’Union Européenne ont trouvé une capacité extraordinaire à coopérer, que ce soit dans le cadre de la Guerre en Ukraine, ou dans la gestion de la pandémie. Quitte, parfois, à être aux limites du respect des règles qui régissent le fonctionnement des institutions européennes, ou tout simplement à se situer en dehors d’un cadre jamais pensé jusqu’alors… Mais nécessité faisant loi, un relatif consensus a émergé pour contourner temporairement ces règles. Ce qui a permis, au passage, un renforcement de l’intégration européenne. 

C’est dans ce sens que le Président Emmanuel MACRON, et le Président du Conseil Italien Mario DRAGHI ont appelé au début de la Présidence Française du Conseil de l’Union Européenne à réviser le Pacte de Stabilité et de Croissance. Lequel était censé être inscrit dans le marbre depuis le Traité de Maastricht, même si, comme indiqué précédemment, il n’a été qu’assez peu respecté de facto. 

C’est dans ce sens également, que l’Union Européenne s’est proposée au début de la Guerre de coordonner l’envoi d’armes en Ukraine et de faciliter leur financement...A situation inédite, réponse inédite. 

A tout cela, de nombreux hiatus  et limites existent encore. Mais tout l’enjeu de la renégociation des Traités va consister à offrir un cadre institutionnel et normé aux différents changements  de paradigmes auxquels nous sommes en train d’assister.

Bruno Alomar : Je ne vois aucun climat favorable au changement des Traités. L’UE est fracturée : schisme nord/sud sur l’euro, schisme est/ouest sur les questions sociales et migratoires. On fait mieux pour avancer !   

Il n’y a pas de leadership Français. Il y a une habitude de la France de toujours proposer des évolutions de l’UE…que les autres États-membres regardent avec plus ou moins d’intérêt, pour deux raisons simples : dans une organisation majoritairement économique, un État aux performances économiques moyennes comme la France n’arrive pas à convaincre ses partenaires car il manque de crédibilité ; pour la plupart des États membres qui ont renoncé au fédéralisme, l’UE est largement achevée. 

Il y a aussi un élément conjoncturel fort : la guerre en Ukraine. Elle vient porter un coup très sévère à une Allemagne qui avait pris le leardership, mais dont on voit en réalité l’immensité des erreurs commises, notamment au travers d’une transition énergétique ratée qu’elle s’obstine à vouloir exporter, y compris à la France qui pourtant, elle, s’en sort énergétiquement grâce à des choix faits il y a 50 ans. Il n’y a donc pas tant un leadership Français circonstanciel qu’un état de sidération des européens qui vient rééquilibrer les rapports de force au détriment d’une Allemagne groggy. 

La bonne question est la suivante : un nouveau Traité pour faire quoi ? Le bon raisonnement européen devrait être le suivant : y a-t-il des choses que nous voulons faire, que les Traités ne permettent pas ? J’ai beau chercher, je ne vois rien d’évident qui suscite l’adhésion et la volonté unanime – car il faut l’unanimité pour réformer les Traités -des Etats-membres. Les perspectives ouvertes par les coopérations renforcées ont été démenties par leur échec. 

Du coup, la convention fait l’inverse c’est-à-dire qu’elle adopte le raisonnement suivant : « donnons plus de pouvoir à l’UE – c’est-à-dire à nous-même – et ensuite nous trouverons bien comment utiliser ces pouvoirs ». C’est faire l’Europe à l’envers…par parenthèse au détriment des grands États, dont la France. 

Quel est l'avenir de l'Europe si elle continue de fonctionner comme actuellement ?  

Bruno Alomar : L’Europe, que l’on critique tant, ne fonctionne pas si mal. La preuve : aucun État n’a décidé – pour l’instant du moins - de suivre le Royaume-Uni !  

Deux remarques si vous le permettez pour conclure.  

La première, c’est que le destin de l’Europe n’est pas dans les institutions européennes, mais dans la capacité des États à se réformer. C’est l’angle mort de la position d’Emmanuel Macron et de ses prédécesseurs : ne pas comprendre que les partenaires européens de la France n’attendent pas de grands discours beaux comme le Concorde…mais que la France se réforme toute seule ! Or elle le peut, car rien dans les Traités ne l’en empêche, du moins au plan économique. 

La seconde, en forme de clin d’œil sur la question des compétences accrues de l’Europe : pensez-vous vraiment qu’instruits de l’expérience des vingt dernières années nous referrions l’euro ? A Berlin et dans beaucoup de capitales la réponse est claire et je vous la laisse deviner. 

Dimitri Oudin : Je crois, pour toutes les raisons évoquées plus haut, que l’Europe n’aura d’autre choix que de renforcer son intégration, au-delà de sa seule dimension économique. Et dans le même temps, devra repenser son processus d’adhésion vers de nouveaux Etats, dans le contexte géopolitique que nous connaissons actuellement. C’est pourquoi la proposition récente d’Enrico LETTA de créer une « Europe des Cercles » peut être intéressante. Avec un cercle central d’Etats aux compétences intégrées, dans un système proche du fédéralisme, et d’autres cercles périphériques,  moins intégrés, peut être davantage tournés vers la seule coopération économique, mais qui permettraient toutefois d’accueillir les Etats actuellement situés aux marges de l’Union Européenne, tels que l’Ukraine ou la Géorgie par exemple. En tout état de cause, l’Europe, comme toujours, devra se réinventer pour être à la hauteur des enjeux, et sûrement des crises, qui se présenteront à elle lors des années à venir. 

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