Avec l’ouverture de l’information judiciaire sur l’affaire UraMin-Areva, voici Anne Lauvergeon en première ligne<!-- --> | Atlantico.fr
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L’ex-patronne d’Areva, Anne Lauvergeon.
L’ex-patronne d’Areva, Anne Lauvergeon.
©Reuters

INFO ATLANTICO

Après plusieurs mois d’enquête préliminaire, le Parquet national financier vient d’ouvrir une information judiciaire contre X. Objectif : faire la lumière sur le rachat en 2007 par Areva de l’obscur groupe canadien d’exploration minière UraMin. Une opération qui a coûté 3 milliards d’euros à l’entreprise française. La justice cherchera également à connaître le rôle exact joué, dans ce rachat, par l’ex-patronne d’Areva, Anne Lauvergeon.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • C’est fait depuis quelques jours : le Parquet national financier a ouvert une information judiciaire contre X sur le rachat controversé, en 2007, d’UraMin par Areva.
  • Dans la ligne de mire de la justice, l’ancienne présidente du directoire d’Areva Anne Lauvergeon, qui a déjà fait l’objet, en mai 2014, d’un rapport accablant de la Cour des comptes.
  • Encore que deux députés, l’un PS, l’autre UMP, dans un rapport de mars 2012 donnaient une version qui allait être différente de celle de la Cour des comptes, estimant que la "pertinence de l’opération Areva-UraMin était indiscutable".
  • Le juge Renaud Van Ruymbeke qui, avec deux collègues, va enquêter sur cette ténébreuse affaire, risque de tomber sur des barbouzeries, coups tordus et qui sait, quelques rétro-commissions revenues faire un tour dans l’Hexagone.

Quand ? C’était la seule question que l’on se posait depuis qu’une enquête préliminaire avait été diligentée depuis plusieurs mois sur le rachat en 2007 d’UraMin par Areva, dirigée à l’époque par Anne Lauvergeon. Eh bien, Atlantico peut révéler que le Parquet national financier vient de décider, à la suite des conclusions de la Brigade financière, d’ouvrir une information judiciaire contre X sur ce dossier ultra sensible qui a déjà fait couler beaucoup d’encre… C’est le juge Van Ruymbeke qui vient d’être chargé de démêler l’écheveau d’une histoire où s’entremêlent coups tordus, espionnage et méthodes musclées. Ainsi donc, grâce à l’enquête menée par le magistrat parisien, on devrait savoir quel rôle a joué dans cet achat les différents dirigeants d’Areva, dont Anne Lauvergeon. Ont-ils été imprudents ? La patronne d’Areva de 2001 à 2011, ancienne sherpa de François Mitterrand a-t-elle été victime ainsi que son mari Olivier Fric, d’une campagne de déstabilisation ? Quel rôle a joué le financier belge George Forrest dans le dossier UraMin en République Centrafricaine ? (Sur ce volet, une information judiciaire a été ouverte le 27 mars dernier pour corruption d’agent public étranger, détournement de fonds publics, blanchiment, qui vise implicitement l’ex-président François Bozizé renversé en mars 2013.) Les investigations qui risquent de conduire du côté du siège d’Areva et en Afrique (Namibie, République Centrafricaine, Afrique du Sud, Niger) promettent d’être longues.

Pour comprendre cette affaire prête à exploser depuis des années, qui a déjà donné lieu à un rapport de l’Assemblée nationale, des notes sévères de l’Agence des participations de l’Etat (APE), détentrice de 87% du capital d’Areva, et un rapport tout aussi sévère de la Cour des comptes, revenons sur la genèse de cette prise de contrôle.

Nous sommes en 2007. Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, décide de prendre une participation dans UraMin, une entreprise  d’exploration minière, fondée en 2005, et cotée à la bourse de Toronto (Canada), alors qu’originellement, elle l’était à la bourse de Londres, réputée pour être, disons, plus sérieuse. Prix d’achat : 1, 8 milliard d’euros. Un prix qui va être en réalité supérieur de plus de 685 millions d’euros… Etrange opération, puisque aucun représentant du groupe français ne jugera utile de se déplacer dans les cinq pays - voir ci-dessus - où est implanté le groupe UraMin, qui n’est, entre parenthèses, qu’une start-up domiciliée à Tortola, aux îles Vierges britanniques ! Or les mines vont s’avérer inexploitables, et avec la chute vertigineuse du cours de la tonne d’uranium (235 dollars en 2007 pour tomber à 50) et la catastrophe de Fukushima, la vente tourne très vite au fiasco. Car en bout de course, Areva se serait fait plomber de 3 milliards d’euros. A dire vrai, cette OPA a étonné plus d’un cadre chez Areva. Bon nombre d’entre eux ont tiré la sonnette d’alarme pour alerter jusqu’à l’Etat-major que cette opération UraMin risquait de mettre en danger  l’entreprise. A l’extérieur de cette dernière, les différents services de l’Etat s’inquiétaient. Que ce soit Bercy, le Quai d’Orsay, le Commissariat à l’énergie atomique (premier actionnaire d’Areva) et la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI)… Mais personne ne bougera. Excepté, ce qu’a très bien raconté Mediapart dans sa livraison du 4 décembre 2014, les géologues d’Areva. C’est ainsi que lors de la prise du contrôle d’UraMin en 2007, c’était au niveau des instances dirigeantes d’Areva l’optimisme béat : le site namibien de Trekkopje était considéré comme prometteur ! Or, il avait déjà été exploré en 1960, avec à la clé cette conclusion : site inexploitable ! Les géologues d’Areva ont vu. L’Etat-major, lui, est demeuré sourd et aveugle…

Toujours est-il que, plus le temps passait, plus la situation financière d’Areva s’assombrissait. En effet, à l’occasion d’une plongée dans les finances de l’entreprise sur la période 2006-2012, un pré-rapport de la Cour des comptes révélé en mai 2014 constatera que "le document de référence d’Areva au titre de l’exercice 2010, qui pourrait contenir des informations fausses ou trompeuses rendues publiques, a été signé par Anne Lauvergeon le 28 mars 2011". Plus grave : les magistrats de la rue Cambon estiment que le délit "d’abus de pouvoir" pourrait être reproché à la présidente d’Areva. Ils martèlent : "Ce délit pourrait lui être imputable", car elle aurait délivré "une information parcellaire à sa tutelle, qui n’est autre que l’Etat". La raison ? "Dissimuler les pertes générées par l’acquisition d’UraMin qu’Anne Lauvergeon avait personnellement conduite"… Quel camouflet adressé à Atomic Anne ! 

Dès le 27 avril 2007, alors qu’Areva venait de prendre une participation dans le groupe canadien, l’Agence des participations de l’Etat (APE), estimait, dans un document confidentiel, "qu’Areva n’avait pas été claire sur de nombreux points". Autant dire un rapport assassin qui préfigurait une saisie de la justice en cette année 2014. Rien ne se passera. Et pour cause : le commissaire aux comptes, René Ricol, avait certifié les comptes du groupe. Alors, pourquoi saisir le Parquet de Paris ? Inutile. Tel était l’avis du pugnace avocat d’Anne Lauvergeon, Jean-Pierre Versini-Campinchi, qui déclarait au Monde : "Il s’agit d’une affaire montée de toutes pièces, un montage destiné à nuire à la réputation professionnelle de ma cliente." Et d’ajouter : "les griefs de la Cour des comptes ne sont que des appréciations subjectives ne reposant sur aucun fait tangible."

"Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà", disait Pascal… C’est bien ce que les auteurs du rapport de la mission d’information parlementaire sur la situation financière d’Areva, Marc Goua (PS-Maine-et-Loire) et Camille de Rocca Serra (UMP-Corse-du-Sud), semblent penser. Dans ce document publié le 7 mars 2012, les deux députés vont offrir, bien avant les magistrats de la rue Cambon, une toute autre lecture de l’aventure d’Areva avec UraMin. Ils écrivent en effet : "Les nouvelles estimations sur l’état des ressources d’UraMin ne conduisent pas à l’absence de potentiel mais montrent une répartition différente par rapport à l’acquisition : si Trekkopje (Namibie) se confirme moins riche et plus complexe à exploiter, Bakouma (République Centrafricaine) révèle des ressources nettement plus généreuses." Excès d’optimisme ? En tous cas, sur le rachat proprement dit d’UraMin, les deux parlementaires soulignent que "la pertinence de l’opération était indiscutable" et, qu’en ce qui concerne "l’évaluation du projet, l’analyse de risques a été, semble-t-il, conforme aux pratiques du secteur".

Désormais, la justice est saisie d’un dossier dont on ne sait où il peut conduire. Vers des enrichissements personnels ? Des rétro-commissions ayant pu faire un petit tour du côté de quelques partis politiques ? Oui, il y a dans ce dossier comme un scandale d’Etat avec son lot de barbouzes, d’intermédiaires avides de gains faciles et de manipulateurs en tout genre dont on ne sait pas très bien pour qui ils travaillent...

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