Autorisée à mourir à 24 ans parce qu’elle n’a plus envie de vivre : la Belgique accumule les dérives sur l’euthanasie<!-- --> | Atlantico.fr
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L’euthanasie est aujourd’hui entrée dans les moeurs en Belgique.
L’euthanasie est aujourd’hui entrée dans les moeurs en Belgique.
©Reuters

Quelle mouche les pique ?

Une jeune femme de 24 ans, Laura, en parfaite santé physique, s'apprête à être euthanasiée en Belgique car elle souffre, selon elle, de “pensées suicidaires”. La preuve que légaliser l'euthanasie provoque de graves dérives.

Carine Brochier

Carine Brochier

Carine Brochier est économiste de formation, mais s'est très vite positionnée sur les questions de bioéthique. Depuis dix ans, elle travaille au sein de l'Institut Européen de Bioéthique basé à Bruxelles. Elle anime débats, conférences et est l'auteur de nombreux rapports, dont Euthanasie : 10 ans d'application de la loi en Belgique.

Elle anime également quelques émissions dans les médias belges.

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Béatrice Stella

Béatrice Stella

Béatrice Stella est cofondatrice et initiatrice de l’association Paroles de Catholiques.

Elle est également cofondatrice de l’Union des Familles en Europe et ancienne présidente de l’association.

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Atlantico : L'euthanasie d'une jeune femme de 24 ans en parfaite santé physique mais victime de “pensées suicidaires” a été validée par des médecins belges. Comment se justifie une telle décision au regard de la législation belge sur la fin de vie ? Cette décision est-elle une distorsion ou était-elle écrite entre les lignes de la loi belge sur l'euthanasie ?

Carine Brochier : Dans le cadre de la loi belge dépénalisant l’euthanasie, il est spécifié que la personne doit présenter des souffrances physiques ou psychiques inapaisables et insupportables. Le terme psychique est bien souligné, même si la personne n’est pas en fin de vie, donc cela s’inscrit dans la loi. Il faut être très prudent car nous ne connaissons pas le dossier médical de cette jeune personne, à part ce que la presse en a dit. Sa souffrance doit être très grande car elle demande à l’Etat la voie de l’euthanasie.

Mais les termes de la loi sont tout à fait interprétables.Qui peut juger des caractères inapaisables ou insupportables de la souffrance, si ce n’est la personne en question ? Une notion subjective est donc introduite, rendant la loi perméable à diverses interprétations. Lors du vote de la loi dépénalisant l’euthanasie en 2002, les politiques n’ont peut-être pas été assez attentifs à certains cas qui se présentent aujourd’hui. Pour être vraiment cohérents, il faudrait relire les travaux parlementaires réalisés en amont de l'adoption de cette loi.

L’euthanasie est aujourd’hui entrée dans les moeurs en Belgique : on en vient à trouver normal d’aider une personne à se suicider au lieu de l’accompagner, ce qui est une défaite de la psychiatrie belge à mon sens.

Béatrice Stella : La loi belge du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie instaure un droit à la demande d’euthanasie. Cette demande est un droit mais pour que l’euthanasie soit effective, il faut que le malade trouve un médecin qui y consente. Cette loi commence par expliquer les conditions de ce qu’on appelle couramment des directives anticipées, pour les cas relevant de cette situation.

Ensuite elle pose des conditions nécessaires à la demande d’euthanasie (que l’on peut comprendre comme concernant tous les cas d’euthanasie et non seulement ceux qui relèvent d’une directive anticipée). Lorsqu’on lit ces conditions, on se dit : voilà qui est bien encadré, tout ça est plein de bon sens, comme c’est bien pensé ! En réalité, en reprenant ces conditions une par une, il y a beaucoup à dire :

  • Le patient est majeur (en Belgique : 18 ans) ou mineur anticipé (15 à 18 ans). Là c’est un fait assez objectif, facile à contrôler, même si le cœur se soulève de savoir qu’un enfant de 15 ans puisse se trouver concerné, surtout si les pensées suicidaires sont suffisantes pour faire une demande d’euthanasie, car les études ont démontré qu’un jeune sur deux a des pensées suicidaires à cet âge (1)
  • Le patient est capable et conscient au moment de sa demande.
  • La demande écrite est formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée.
  • La demande ne fait l'objet d'aucune pression extérieure.

Ces trois conditions sont là pour que l’on puisse dire : "C’est SA décision, prise en connaissance de cause", donc, sous-entendu, c’est respectable et cela doit être respecté à tel point qu’on doit l’aider à la mettre en œuvre. Mais comment évaluer que la décision est vraiment libre ? Cette décision est peut-être le fait de quelqu’un qui s’émancipe de la volonté d’autrui, mais cela fait-il de sa décision une décision libre, au sens réel du mot liberté ?

  • Le patient se trouve dans une situation médicale sans issue.
  • La souffrance physique et/ou psychique est constante, insupportable et inapaisable.
  • L'état du patient est dû à une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable.

Là, nous avons trois conditions pour s’assurer du caractère immuable de la situation médicale. Au passage, je ne sais pas vous, mais moi, je suis assez soulagée, car si je comprends bien, les gens qui vont bien et qui le revendiquent n’y auront pas droit ! Pour les autres, il suffira de dire qu’on a effectivement des souffrances psychiques insupportables et sans soulagement possible, comment quelqu’un pourrait-il vous contredire sans se permettre de donner un avis subjectif cherchant à faire pression sur vous ?

Nous sommes là typiquement dans l’utopie qui préside souvent à ce type de loi : on dit "c’est encadré" et tout va bien. Mais on ne peut pas encadrer grand-chose, quels que soient les mots précis utilisés. Seules des situations à la fois précises et objectivement observables par l’extérieur peuvent constituer des remparts. Cette histoire dramatique d’une toute jeune femme dépressive en est une illustration percutante.

Un état dépressif peut être soigné ou du moins soulagé par des traitements adaptés. Comment les médecins ont-ils pu considérer que le cas d'une personne aussi jeune était désespéré ?

Carine Brochier : Nous n’avons pas eu connaissance du dossier : il faut voir les antécédents familiaux bouleversants de cette jeune femme qui a subit beaucoup de blessures et ruptures familiales, ce qui a fait que sa psychologie a été ébranlée. Elle a d’ailleurs séjourné dans une institution qui pouvait la soigner, or elle a rencontré là-bas une autre jeune femme, Sarah (nom d’emprunt), qui lui a raconté qu’elle organisait son euthanasie. En apprenant cette possibilité, Laura, la jeune femme de 24 ans du cas que nous examinons, a sauté à pieds joints. Elle s’est mobilisée autour de ce projet : l’idée de l’euthanasie a donné naissance à sa vie !

En Belgique, il est obligatoire d’avoir trois médecins d’accords avant de pratiquer une euthanasie. Cela nous pose beaucoup de questions, car nous avons le centre de prévention du suicide où on investit beaucoup d’argent pour dire “non au suicide” surtout pour les jeunes, j’y ai d’ailleurs collaboré. Quand les médecins sentent qu’une personne a des tendances suicidaires, ils nous l’envoient pour que cette personne soit traitée et n’ai plus envie d’euthanasie.

Dans le fond, c’est cette prévention du suicide qui devrait être plus encadrée. On a commencé à démissionner en Belgique au nom de l’autonomie des personnes, mais la lettre sous jacente est une euthanasie qui nous tue tous.

Comment mettre fin à la vie d’une aussi jeune personne ? A ce train là, il y aurait beaucoup de personnes qu’on pourrait euthanasier...

Béatrice Stella : Un état dépressif est habituellement diagnostiqué par le médecin spécialiste, à savoir un psychiatre. On a les plus grands doutes à se dire qu’un psychiatre a ainsi "jeté l’éponge", si je peux me permettre cette expression, lui dont toute la vie professionnelle est axée sur le soulagement des souffrances psychiques. Est-ce un psychiatre qui va procéder à l’euthanasie ? Si c’est le cas, cela pose beaucoup de questions….

Quelles autres interprétations éthiquement discutables ont pu être identifiées relativement à l'application de la loi belge sur l'euthanasie ?

Carine Brochier : Depuis que la loi dépénalisant l’euthanasie est passée en 2002, il y a déjà 13 ans, nous n’avons pas arrêté d'être flexibles avec cette loi : on appelle ça la pente glissante.

Avec l’Institut de Bioéthique Européen, nous allons publier un rapport pour montrer combien l’euthanasie influence négativement les avancées des soins palliatifs en Belgique, et les travaux des médecins et psychiatres qui s’y consacrent.

On ne peut pas supprimer des vies comme ça, car le suicide assisté ne supprime pas la souffrance des vivants. La famille, les soignants, et la société elle-même seront encore là après le décès de la personne en souffrance. L'euthanasie et le suicide, c’est la même chose, pourtant, on est choqué par le suicide et pas par l’euthanasie, mais c’est pareil.

Il faut prendre évidemment en main la souffrance de cette jeune femme, Laura, mais c’est une grave erreur de penser que l’euthanasie est une solution.

Béatrice Stella :On a déjà vu que nombre de décisions d’euthanasies ont été prises par des médecins en l’absence du consentement réel des personnes. Une personne en fin de vie, surtout si elle est âgée, est une personne dans un état de faiblesse tel qu’il est très facile de décider pour elle, et les soi-disant contrôles diligentés par l’Etat belge pour éviter les abus ont prouvé leur parfaite inefficacité (peu de moyens, peu de sérieux dans les contrôles, crédit excessif porté aux déclarations des médecins). Derrière ce laxisme, on identifie sans peine une approbation complète et sans nuance de la nécessité de mettre fin aux jours des personnes faibles, handicapées, improductives, sans beaucoup d’état d’âme et sous couvert de "les soulager".

Il y a aussi et toujours ce problème insurmontable des directives anticipées, qui reposent sur un sentiment qui, par nature, peut changer d’un instant à l’autre suivant les circonstances, comme nous en faisons vous et moi l’expérience tous les jours avec nos états d’âmes personnels. Tant que ces directives anticipées, lorsqu’elles réclament non pas seulement l’arrêt de l’acharnement thérapeutique mais une véritable euthanasie, seront considérées comme une obligation contraignante, on se rendra coupable de mettre fin à la vie de quelqu’un qui a changé d’avis entretemps mais ne peut l’exprimer, ou dont la décision était superficielle.

Depuis février 2014, la Belgique est devenue le premier pays au monde à autoriser l’euthanasie active sur des mineurs, sans limite d’âge, si celui-ci souffre de douleurs physiques insupportables. Quelles dérives peut-on craindre sur ce terrain-là ?

Carine Brochier : Cette loi concernant les mineurs sans limite d'âge est jusqu’à ce jour une loi idéologique. Aucun enfant n’a demandé l’euthanasie pour l’instant, donc cette loi n’a finalement servi à rien. D’ailleurs, plus de 200 medecins s’étaient regroupés pour s’opposer à cette loi.

Mais elle existe. On en arrivera peut-être à euthanasier les enfants. Et après, certaines propositions sont examinées concernant les personnes atteintes de troubles neurologiques comme la maladie d’Alzheimer. C’est très grave car ce sont des personnes dont la subjectivité est altérée.

Et les nouveaux nés ? D’après la loi en vigueur, concernant les mineurs sans limite d’âge, il serait possible d’euthanasier les bébés prématurés ou handicapés, si certains médecins estimaient que la qualité de vie de l’enfant ne sera pas suffisante. Donc avec l’accord des parents, on pourrait pratiquer l’euthanasie des nouveau-nés.

De plus en plus, on arrive aussi à l’euthanasie à la demande, non déclarée. On ne contrôle plus ce phénomène rampant, les infirmières dans les hôpitaux nous disent que cela se pratique tous les jours, une euthanasie sans déclaration officielle. Il n’y a pas de chiffre car c’est un phénomène clandestin.

Ce qui est fou, c’est le travail sur les mentalités opéré par l’euthanasie. Imaginons par exemple un dîner de famille, où une grand-mère entend ses enfants parler avec enthousiasme d’un cas d’enthanasie d’une autre personne âgée : à la sortie de table, elle peut comprendre ce que ses enfants attendent d’elle...

Quand j’ai vu le cas de Laura, influencée par une autre personne, Sarah, j’ai pensé à l’histoire de ce jeune homme de 17 ans qui a posté une vidéo sur Internet, Sam Berns : il est intervenu pour dire comment il se battait contre sa maladie qui le fait vieillir plus vite. Cela vaut la peine de se battre contre la souffrance, il est toujours possible de découvrir un traitement pour soulager, voire guérir d’une maladie, même psychique. L’euthanasie est inadmissible pour notre société.

Béatrice Stella : Cette loi sur l’euthanasie de 2002 était "strictement encadrée" pour ne concerner que des personnes majeures, quoique nous avons vu que des enfants de 15 ans (pour peu qu’ils soient émancipés) pouvaient être concernés. En février 2014, le rempart a deja sauté : quel que soit l’âge de l’enfant, si ses deux parents sont d’accords, il pourra "bénéficier" de ce grand "progrès" pour l’humanité. Si cela inclut les "pensées suicidaires", on va avoir un gros souci ! La dépression est la cause prédominante de maladie chez les jeunes âgés de 10 à 19 ans, d’après un récent rapport de l’OMS (2). Il est éclairant d’ailleurs de savoir que le harcèlement sur les réseaux sociaux apparaît comme jouant un rôle crucial dans le passage à l’acte (suicide) en multipliant les risques par plus de 3. S’il leur suffit d’aller se présenter à un médecin pour obtenir un suicide confortable, ça risque d’être tentant…

Si un suicide peut être donné sur ordonnance, où va-t-on ? Quels personnels de "santé" seront chargés de cela ? Quel sens pourrait encore avoir une obligation légale "d’assistance à personne en danger", qui vaut, normalement, pour les personnes qui sont en train de se suicider ? Quid des livres comme "Suicide, mode d’emploi" censuré en France ?

Il y a peu, on a appris que Valentina, une jeune chilienne de 14 ans, atteinte de mucovicidose, avait demandé l’euthanasie à la Présidente du Chili. Depuis, Valentina a changé d’avis : "Il y a des gens qui m’ont fait changer ma manière de penser", explique-t-elle. La rencontre et le dialogue avec des personnes atteintes, pour certaines, de la même maladie, lui ont redonné l’envie de vivre.

La vie, avec ses hauts et ses bas. A 24 ans, clairement, on n’en a pas fait le tour, même si on ne s'en rend pas compte.

(1) Suicidal behaviours in a population-based sample of French youth. Fedorowicz VJ, Fombonne E Department of Psychiatry, McGill University, Montreal, Quebec. Canadian Journal of Psychiatry. Revue Canadienne de Psychiatrie [2007, 52(12):772-779]

(2) Communiqué de l’OMS du 14 mai 2014

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