Auto-médication : "Il faut arrêter de penser que les patients sont nuls et incapables de se prendre en charge"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Auto-médication : "Il faut arrêter de penser que les patients sont nuls et incapables de se prendre en charge"
©

C'est grave docteur ?

UFC Que-Choisir vient de dénoncer le manque de conseil des pharmaciens à leurs clients. Un problème lorsque ceux-ci décident de se soigner sans consulter de médecin. Mais faut-il pour autant tirer la sonnette d'alarme des excès de l'auto-médication ?

Alain Baumelou

Alain Baumelou

Alain Baumelou est le directeur du service de neuphrologie à la Pitié Salpêtrière.

L'un de ses domaines de recherche est l'automédication, il y a d'ailleurs consacré un ouvrage, co-écrit avec Loïc Etienne, intitulé Le Guide de l'automédication publié aux éditions Vidal. Il a par ailleurs cosigné avec Alain Coulomb un rapport sur l'auto-médication remis à Xavier Bertrand.

Voir la bio »

Atlantico : L'UFC Que-Choisir dénonce le manque de conseil des pharmaciens à leurs clients. En creux se pose la question des excès de l'auto-médication en France. Qui est responsable ? Le médecin ? Le pharmacien ? Le patient ?

Alain Baumelou : Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on n’arrive pas à faire confiance aux patients quand il s’agit d’acquérir de l’autonomie par l’auto-médication. Ce raisonnement est le résultat d’une longue tradition médicale en France qui a voulu tout régenter dans le domaine de la santé. Je crois vraiment que maintenant, on peut déléguer la confiance.

Si vous me posez la question a qui délègue-t-on la responsabilité dans un système de l’automédication, je vous réponds sans ambages le pharmacien. C’est le pivot de l’information du patient, pas du diagnostic, car il faut qu’il soit connu du patient. Mais le dossier pharmaceutique est un appoint fantastique, et les pharmaciens sont inquiets de ce nouvel outil mais désireux de mieux le mettre en avant. On a les moyens pour que tout ce passe bien.

C'est vraiment par leur biais que l'on arrivera à détacher les Français de la Sécurité Sociale. En effet, en une quinzaine d’années, le marché n’a jamais décollé au dessus des 10%, tout simplement parce que pour les Français, un bon médicament est un médicament remboursé par la Sécurité Sociale. Quand on arrivera à délister tous les médicaments de la constipation ou de la douleur, avec un travail de nettoyage sur les classes médicamenteuses, on arrivera peut-être à convaincre, mais dans l’état actuel des choses, tout ce qu’on fait c’est un transfert du soin depuis la Sécurité Sociale vers  le patient.

Vous dites que les pharmaciens sont les pivots entre médecins et patients, pourtant il y a eu de nombreuses dérives, notamment sur les médicaments conseillés sans grande prudence.

Les pharmaciens ne sont pas suffisamment armés et l’une des façons de le justifier est la faiblesse de leur formation en pharmacie clinique au cours de leur cursus. Mais, je pense que ce sont des écueils que le délistage pourra régler. Il doit être astucieux avec de bons plans de gestions de risques, et cela a été le cas avec les derniers médicaments qui l'on subit. Il y a un désir de l’industriel de créer une sorte de réseau de formation avec les médecins. En ce sens l’exemple de l’Orlistat était tout à fait remarquable. Les industriels ont formés sur les 28 000 pharmaciens en France 12 000 d’entre eux avec des préparateurs. Ces plans de gestions des risques devraient permettre la mise en place de formations spécifiques pour la délivrance du médicament.

Une telle formation est-elle finalement nécessaire si l’automédication n’est pratiquée que pour des maladies bénignes ?

Je pense qu’il faut sortir du stéréotype qui consiste à cantonner l’automédication à la bobologie, c’est-à-dire bon pour les maladies bénignes et pas pour des pathologies plus sévères. Cette définition traîne depuis 20 ans et est complètement dépassée dans les pays anglosaxons. Vous avez en Grande-Bretagne des médicaments de la prévention comme les statines, vous avez des pathologies récidivantes qui sont de bonnes indications de l’automédication. Dans le chemin général, où vous avez un patient qui est désireux de prendre un médicament en automédication et le pharmacien on peut avoir une vision beaucoup plus large. Par exemple : on a bien délisté l’Orlistat, et on ne peut pas dire que l’obésité soit une maladie bénigne et de courte durée. De même pour les substituts nicotiniques qui ont bénéficié d’une politique volontariste menée par Bernard Kouchner - la seule d’ailleurs au cours des 20 dernières années – pourtant la dépendance tabagique n’est pas une affection bénigne. Cette idée a été imposée volontairement par l’ordre des médecins qui ont voulu réduire le champ de l’auto-médication.

Concrètement, à quoi correspond la pratique de l’auto-médication en France ?

L’auto-médication en France est très fréquente, si vous mesurez combien de Français ont pris de l’aspirine cette année, vous allez arriver à des chiffres de l’ordre de 80/90%. Les gens ne s’en rendent même plus compte, ils oublient que l’aspirine est un médicament et un médicament dangereux. Il faut une meilleure connaissance des possibilités de prise en charge personnelle, c’est particulièrement vrai pour les pathologies ORL, ou brûlures d’estomac, constipation, les problèmes allergiques et respiratoires.

Jusqu’où peut-on aller en matière d'auto-médication ?

La limite c’est le diagnostic, si vous avez déjà souffert d’une infection urinaire par exemple vous connaissez les symptômes, vous n’êtes pas obligé d’aller voir un médecin, il faudrait avoir sous la main un médicament délisté.

En Grande-Bretagne, vous avez pratiquement 40% du marché qui est dédié à l’automédication. Dire que nous avons du retard serait un jugement de valeur, mais nous avons des comportements fondamentalement différents des autres pays et nous ferions bien de nous rapprocher d’eux. Il faut arrêter de partir du postulat que les patients sont nuls et incapable de se prendre en charge.

Au-delà de l’enjeu économique c’est un enjeu de responsabilisation des patients. Pour les patients américains, l’automédiation est de "l’enpowerment", une capacité à se prendre en charge. En France ce n’est pas du tout vu comme ça : ce qui compte c’est la possibilité de pouvoir se faire rembourser. L’automédication contient donc les prémices d’une responsabilisation des patients.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !