Aucun résultat sur l’immigration pour Giorgia Meloni… vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les difficultés rencontrées par l'Italie dans le contrôle des flux migratoires ne peuvent pas être entièrement imputées au gouvernement Meloni
Les difficultés rencontrées par l'Italie dans le contrôle des flux migratoires ne peuvent pas être entièrement imputées au gouvernement Meloni
©Ludovic MARIN / AFP

Politiques migratoires

Le gouvernement de Giorgia Meloni oblige les navires d'ONG à se rendre dans des ports du nord de l'Italie - bien souvent dans des villes ou régions administrées par la gauche - pour y débarquer les migrants secourus en mer Méditerranée.

Piero Ignazi

Piero Ignazi

Piero Ignazi est professeur de sciences politiques à l’université de Bologne. Il est éditorialiste au quotidien Domani, et a été directeur de la revue de culture et politique Il Mulino. Auteur d’une oeuvre abondante sur les partis politiques, il présente, avec Parti et Démocratie, la synthèse de ses travaux depuis plusieurs décennies.

Voir la bio »
Catherine Wihtol de Wenden

Catherine Wihtol de Wenden

Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche au CNRS (CERI) et docteur en science politique (Institut d'études politiques de Paris). Elle a notamment publié La question migratoire au XXIe siècle : Migrants, réfugiés et relations internationales (Les Presses de Sciences Po - 2010).

 

Voir la bio »

Atlantico : Comment évalueriez-vous l'efficacité des politiques migratoires de Giorgia Meloni depuis son accession au pouvoir ? Quels indicateurs sont les plus pertinents pour mesurer leur impact ?

Piero Ignazi : D'abord, il est important de noter que les politiques mises en œuvre par Giorgia Meloni sont très différentes de celles qu'elle avait promises. Pendant des années, elle a soutenu des mesures strictes comme le blocage des frontières et le renvoi des immigrants, des positions typiques de son parti de droite. Cependant, dès son arrivée au gouvernement, son approche a changé.

Meloni a maintenu une attitude agressive envers les ONG qui sauvent les migrants risquant de se noyer, poursuivant ainsi ses attaques contre ces organisations. Cependant, après les naufrages tragiques de fin 2022, qui ont suscité beaucoup d'émotion et de critiques concernant l'activité de la garde côtière, son attitude a légèrement évolué. L'attention publique sur la question a conduit à une approche moins agressive vis-à-vis de l'immigration.

Elle a tenté de négocier des accords avec des pays riverains, comme la Tunisie, avec des résultats mitigés. Meloni a également essayé de convaincre l'Union européenne, notamment la commissaire Von der Leyen, de soutenir son projet de partenariat avec la Tunisie. En outre, elle a établi des accords avec l'Albanie pour déplacer les demandeurs d'asile et effectuer les contrôles sur les demandes d'asile.

Il est également important de mentionner ses appels répétés aux autres pays européens pour qu'ils partagent la responsabilité de la gestion des migrants, bien que ces appels aient eu des succès limités.

Catherine Wihtol de Wenden : L'efficacité des politiques migratoires menées par G. Meloni est difficile à mesurer, faute de recul, mais pour l'instant elle n'est pas manifeste. L'application du décret Piantelosi du 2/1/2023 a eu pour conséquence de compliquer les opérations d'accostage des navires de secours en Méditerranée en augmentant le coût et la durée du voyage en mer pour ces bateaux, ce dont SOS Méditerranée s'est beaucoup plaint. De plus, ces bateaux n'ont le droit faire qu'un sauvetage à la fois, d'après le décret, ce qui met en péril la vie de ceux qui risquent de ne pas être secourus. La situation frise même le ridicule et l'enfantillage, puisque ce sont les ports des villes de gauche vers lesquels ont été envoyés les migrants, sous le prétexte de les répartir sur tout le territoire, même loin des zones d'arrivée.

Jordan Bardella a critiqué l'absence de résultats tangibles en matière d'immigration sous le gouvernement Meloni. Pensez-vous que ces critiques sont justifiées, ou est-il trop tôt pour évaluer l'impact des mesures mises en place ?

Piero Ignazi : Jordan Bardella critique vivement l'absence de résultats tangibles en matière d'immigration sous le gouvernement de Giorgia Meloni, soulignant la nécessité de mesures plus efficaces et plus strictes.

En effet, l'année passée a été marquée par un nombre record de débarquements d'immigrés, ce qui met en évidence l'inefficacité des politiques actuelles du gouvernement. Il est vrai que si l'on évalue les politiques anti-immigration à l'aune de ces chiffres, on peut percevoir une certaine inefficacité du gouvernement.

Catherine Wihtol de Wenden : En l'absence de résultats tangibles de la politique de G. Meloni, oui pour l'instant car elle avait promis durant sa campagne que tous les ports seraient fermés pour l'accueil des migrants. L'immigration est une dimension structurelle d'un marché du travail très segmenté (travaux de M; Ambrosini) et répond aux contextes démographiques du pays (vieillissement et faible croissance démographique).

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par l'Italie dans le contrôle des flux migratoires, et dans quelle mesure ces défis échappent-ils au contrôle des politiques nationales ?

Piero Ignazi : Il est important de noter que les difficultés rencontrées par l'Italie dans le contrôle des flux migratoires ne peuvent pas être entièrement imputées au gouvernement Meloni, car ces problèmes existent depuis longtemps. L'une des principales difficultés réside dans les structures bureaucratiques et étatiques chargées de prendre en charge les migrants à leur arrivée. Ces structures ont du mal à diriger les migrants vers des centres d'accueil bien établis et organisés, dotés de personnel formé pour cette tâche.

L'Italie a fait preuve d'une grande efficacité dans les opérations de secours en mer, réussissant à sauver de nombreuses vies. Cependant, une fois les migrants arrivés sur la terre ferme, la situation devient plus complexe. Les infrastructures d'accueil ne sont pas à la hauteur, et le personnel est souvent insuffisant et mal formé. En conséquence, de nombreux migrants échappent au contrôle des structures de l'État. Ils se déplacent souvent ailleurs en Italie ou tentent de rejoindre d'autres pays européens, intégrant ainsi des réseaux d'immigrés existants.

Cela crée des frictions, notamment à la frontière de Menton, entre l'Italie et la France, où de nombreux migrants tentent de passer en France bien qu'ils soient censés rester en Italie, conformément aux règles de l'UE qui stipulent que le pays d'arrivée doit prendre en charge les migrants. 

Catherine Wihtol de Wenden : Les principales difficultés pour l'Italie sont sa situation démographique particulièrement critique, le fait que ce soit un grand pays touristique qui nécessite beaucoup de main d'oeuvre dans les services et l'agriculture et surtout sa position géographique en Europe, face à la méditerranée centrale et les arrivées de Libye et de Tunisie.

Des rapports récents suggèrent que certaines politiques de Meloni commencent à montrer des résultats positifs. Quels sont ces résultats, et comment pourraient-ils influencer les futures politiques migratoires de l'Italie ?

Piero Ignazi : Les promesses de Meloni étaient essentiellement centrées sur des mesures strictes contre l'immigration. À part les actions contre les ONG évoquées précédemment, il n'y a pas eu de développements qui rappellent la rhétorique populiste qu'elle avait utilisée dans le passé. Cependant, elle a beaucoup changé une fois au pouvoir, notamment après les naufrages tragiques dont nous avons parlé.

En réalité, il n'y a pas d'éléments concrets qui suggèrent qu'elle suit la ligne dure qu'elle avait promise.

Catherine Wihtol de Wenden : Il n'y a aucun résultat positif. On frise même parfois avec le ridicule : je pense notamment à l'envoi des bateaux dans les municipalités ou les régions de gauche. Il y a toujouts beaucoup de sans papiers, très peu de politique d'intégration, le droit du sang est peu inclusif pour les nouveaux venus ... Pour le moment, les politiques de Meloni ne semblent pas porter leurs fruits. 

Comment l'Italie peut-elle équilibrer le besoin de contrôler l'immigration avec les obligations humanitaires et les droits des migrants ? Quelles stratégies, comme le "décret Piantedosi" du 2 janvier 2023, pourraient améliorer cet équilibre ?

Piero Ignazi : L'Italie pourrait équilibrer le besoin de contrôler l'immigration avec ses obligations humanitaires et les droits des migrants en investissant massivement dans les structures d'accueil et le personnel. Aucun gouvernement n'a encore voulu réaliser cet investissement crucial. Actuellement, l'immigration est contrôlée sur le sol italien plutôt qu'aux frontières, mais sans programmes d'intégration valables.

Les migrants ne sont pas véritablement intégrés, et cette tâche est souvent laissée aux ONG et aux grandes organisations religieuses comme la Caritas, qui jouent un rôle crucial en fournissant des soins, de l'hébergement et des efforts d'intégration.

Il existe un réseau important de bénévoles qui réalisent un travail indispensable, mais il manque encore un soutien substantiel de la part de l'État.

Catherine Wihtol de Wenden : Le contrôle des migrants devrait se faire dans le respect des obligations humanitaires et des droits des migrants (je pense notamment au droit d'asile ou encore à la protection des mineurs isolés), et du pacte mondial de Marrakech de 2018 que l'Italie est l'un des rares pays européens à ne pas avoir signé !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !