"Attaquer l’égalitarisme par les différences plutôt que par la liberté" : Sarkozy/Fillon ou la répétition d’une des éternelles guerres de la droite française<!-- --> | Atlantico.fr
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François Fillon et Nicolas Sarkozy : deux visions différentes des notions d'égalité et de liberté.
François Fillon et Nicolas Sarkozy : deux visions différentes des notions d'égalité et de liberté.
©Reuters

Un sentiment de déjà vu

Jeudi 7 août, Valeurs Actuelles a publié une interview de Nicolas Sarkozy dans laquelle il fait état de sa vision de l'égalité et de la liberté, jugeant qu'il est important de cesser de combattre l'un par l'autre tout en réfutant l'approche que peut en avoir la gauche. Aux yeux de l'ancien président, ce sont là des valeurs qui s'associent plutôt qu'elles ne s'opposent.

Yves  Thréard

Yves Thréard

Directeur adjoint de la rédaction du Figaro, éditorialiste, Yves Thréard participe régulièrement à des émissions sur France 5 (C dans l'air), LCI, LCP et Public Sénat.

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Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans une interview donnée à l'hebdomadaire Valeurs Actuelles à paraître ce jeudi 7 août, Nicolas Sarkozy évoque l'idée de son retour mais revient également sur la différence d'approche de l'égalité entre la gauche et la droite estimant que  "Jusqu’à présent, la droite attaquait l’égalité par la liberté", jugeant qu'il s'agissait d'une "erreur d’analyse". Puis de poursuivre "Car c’est toujours perçu comme la liberté du fort sur le faible. Il faut au contraire attaquer l’égalitarisme par les différences". Faut-il voir dans cette déclaration quelque chose de nouveau en termes d'idées ? 

Christophe Bouillaud : Non, il me semble que N. Sarkozy se situe dans une ligne classique de la droite française depuis les années 1960. En effet, au-delà des apparences gaullistes d’un étatisme impérial, les idées libérales en matière économique sont toujours présentes à droite au moins depuis 1958 et encore plus après 1969,  il existe toutefois la conscience qu’il ne faut pas inquiéter les électeurs en leur promettant un "grand soir" libéral. Le dernier homme politique qui a essayé de proposer aux électeurs un programme de  libéralisme radical en matière économique, c’est Alain Madelin, or cela l’a mené à un score électoral fort limité, et il a dû quitter la vie politique active. En somme, N. Sarkozy a bien compris que les Français veulent bien être libéraux tant que cela ne les touche pas directement dans leur propre confort de vie. Il me semble avoir entendu Xavier Bertrand sur France-Inter il y a quelques jours tenir un discours assez similaire en insistant sur le fait que les électeurs avaient aussi besoin de protections et qu’il ne fallait pas les désorienter avec des réformes qui ne tiennent pas compte des réalités du terrain. Ce choix parait d’autant plus important aujourd’hui que le Front national lui se présente comme le grand protecteur des acquis des Français contre la mondialisation, les immigrés, l’Europe. Il faudrait éviter que le candidat de l’UMP  par un positionnement trop "thatchérien", ou "à la manière de la Troïka" (BCE, FMI, Commission européenne) pour être plus contemporain, les  jette dans les bras d’une Marine Le Pen. 

La préférence pour l'égalité, en France, est réelle, mais surjouée. D'autant qu'elle est tronquée et hypocrite. Ce sont là les restes d'un héritage révolutionnaire marqué en France. Cela étant chaque peuple, chaque nation et chaque individu aspirent à un tant soit peu de justice sociale (l'anthropologie démontre aujourd'hui que le sens de justice est inhérent à l'Homme). Ce phénomène est grossi et rendu mythique en France en raison de son histoire, et notamment de la devise "Liberté, Egalité, Fraternité" qui nous singularise aux yeux du monde et à nos propres yeux.

C'est néanmoins une égalité tronquée, puisqu'elle n'est acceptée que lorsqu'elle ne nous est pas défavorable (et pourtant le sentiment que le voisin a toujours plus est bien présent…). Dans le fond, il est fait la demande d'une égalité sans refuser les éventuels privilèges et régimes spéciaux qui nous sont proposés : la France reste le pays qui a inventé la Légion d'honneur ! En réalité, dans ce pays de l'égalité, personne ou presque ne refuse d'être en première classe si on lui propose, les gens du marketing ne cessent d'ailleurs de jouer sur ce sentiment.

Yves Thréard : L'égalité et liberté sont deux principes qui vont ensemble. C'est un principe fort qui consiste à distinguer l'idéal républicain de la droite de la doctrine égalitariste. 

Ces thèmes étaient déjà ceux développés lors de la capagne présidentielle de Nicolas sarkozy de 2007. Aujroud'hui, il met l'accent dessus. Et je ne vois pas dans ces déclartion un rejet du libéralisme. Quand il dit qu'il faut lutter contre l'égalitarisme, il s'agit de lutter contre une volonté planificatrice de la gauche. 

Yves-Marie Cann : A travers la nouvelle carte postale adressée par Nicolas Sarkozy aux Français dans la perspective de son retour sur le devant de la scène politique, il n'y a pas tant de nouveauté en termes de posture vis-à-vis de l'égalité et de la liberté. Je crois au contraire que cette nouveauté réside plutôt dans l'affirmation, ou la revendication, de pouvoir concilier ces deux valeurs auxquelles les Français restent particulièrement attachés. Je pense également qu'au travers ces notions de libertés et d'égalités que Nicolas Sarkozy associe dans son propos, c'est revendiquer une certaine forme d'équilibre. Un équilibre qui pourra lui permettre par la suite, notamment dans l'hypothèse de son retour et de sa campagne pour la présidence de l'UMP, de décliner tout ceci d'une façon programmatique. Par exemple on pourrait envisager, autour de la notion de liberté, un renvoi à la liberté pour un pays, un peuple et ses dirigeants politiques, de choisir l'immigration et donc de défendre la posture de l'immigration choisie. Tout en jouant sur la notion d'équilibre : l'immigration choisie permet d'assurer une égalité de traitement comme de condition entre le français "de souche" déjà installé sur le territoire et l'immigrant fraichement arrivé.

A la différence de Nicolas Sarkozy, François Fillon avait jugé au mois de juin à Londres que le peuple était "en train de devenir libéral". Dans quelle mesure les déclarations de l'ancien chef de l'Etat peuvent-elles relever d'une stratégie de démarcation ?  

Christophe Bouillaud : Effectivement dans la mesure où François Fillon, pourtant venu du "gaullisme social" et proche de Philippe Séguin, se positionne de plus en plus clairement sur une ligne libérale, il permettrait à N. Sarkozy  s’il redevenait officiellement un homme politique actif de reprendre par contraste un discours plus protecteur vis-à-vis des électeurs. Cela donnerait aussi à N. Sarkozy l’occasion de revaloriser son action entre 2007 et 2012 comme Président de la République lorsqu’il a "protégé" les Français contre la crise économique, en refusant des recettes trop libérales de son "collaborateur" de Matignon. 

Yves Thréard : Je pense que Nicolas Sarkozy se met en rupture avec une tendance profonde et ancienne de la gauche qui confond l'égalitarisme et l'égalité, principe qui date de la révolution. Il s'agit d'un beau principe qui dit que tout le monde à ses chances. Mais cette chance il faut la saisir. La gauche par démagogie a commencé à confondre les deux en voulant tout raboter par le bas. On ne demande plus d'efforts, plus de volonté aux Français, on leur donne des droits et des avantages. Mais ces avantages il faut les conquérir. Et nous sommes tous différents. Le problème de la gauche est qu'ils veulent aplanir toutes les différences. 

Yves-Marie Cann : Je crois que la stratégie de démarcation peut résider dans le fait qu'à l'idée de liberté déjà mentionnée par François Fillon, Nicolas Sarkozy y ajoute l'égalité. François Fillon n'a pas tout à fait tort en disant que la société Française est aujourd'hui plus libérale qu'elle pouvait l'être par le passé, et qu'en ce sens les Français sont "gagnés" par le libéralisme. On voit effectivement qu'en matière économique, les Français valorisent d'avantage le rôle de l'entreprise qu'ils ne le faisaient il y a trente ou quarante ans quand ils élisaient François Mitterrand à la Présidence de la République et souhaitaient que l'Etat procède à des privatisations, alourdisse le secteur public et donc son propre poids. En ce sens, François Fillon n'a pas tort. Néanmoins, ce qui est plutôt judicieux – de mon point de vue – de la part de Nicolas Sarkozy, c'est de garder à l'esprit que l'égalité et la liberté ne sont pas deux valeurs antinomiques, tout du moins pas dans l'esprit des Français.

Si la société Française est certes plus libérales aujourd'hui que jadis, on remarque également que l'attachement à l'égalité reste particulièrement fort au sein de notre population. Lorsque sont réalisées des études autour des notions de liberté ou d'égalité, on remarque que les Français sont parmi les peuples européens qui attachent le plus d'importance à l'égalité. Pas l'égalité de condition, mais une égalité des chances, d'accès à l'ascension sociale, de droit. Libre à chacun, ensuite, de saisir ou non les opportunités qui lui sont offertes. Tant par la vie que par son travail, son entourage professionnel ou personnel, pour tracer sa propre trajectoire.

Auprès de quelles catégories de populations les idées libérales trouvent-elles un écho aujourd'hui en France ? Et au contraire auprès desquelles suscitent-elles le plus de rejet ? 

Christophe Bouillaud : Autant qu’on le sache, si l’on parle de libéralisme économique, du rôle respectif souhaité du marché et de l’Etat dans la vie économique, la grande opposition historiquement constituée entre les "indépendants" et les (petits) "salariés" demeure. Les indépendants (agriculteurs, artisans, professions libérales, chefs d’entreprise, etc.) restent fortement animés d’un sentiment anti-étatiste, libéral en ce sens-là. Inversement, les couches populaires salariées restent en demande de protections contre les effets de ce libre marché, et ces protections ne peuvent être assurées en France que par l’Etat. Même si, parmi les salariés, les cadres d’entreprise privée sont les plus sensibles aux attraits du libéralisme économique, ils sont, selon les recherches de notre collègue Vincent Tiberj, moins favorables au libéralisme économique qu’il y a trente ans. On ne sera pas étonné non plus d’apprendre que les électeurs se déclarant proches d’un parti de droite se sentent plus enclins au libéralisme économique, que les électeurs de gauche, en particulier que ceux de la gauche de la gauche. 

Yves-Marie Cann : Les idées libérales, en France, ont traditionnellement un écho plus favorable auprès des sympathisants de droite que des sympathisants de gauche. A la condition de préciser que l'on parle d'un libéralisme d'ordre économique et non culturel. Les sympathisants de droite ont toujours très fortement valorisé le rôle de l'entreprise comme outil de promotion sociale et comme outil de rayonnement tant pour le pays que pour son dynamisme. Tout ce qui est susceptible d'être de nature à entraver le rôle ou les marges de manœuvres des entreprises sont autant d'éléments qui ne sont pas  appréciés et mal perçus des sympathisants de droite qui auront tendance à privilégier la solution du libéralisme économique. Ceci étant dit, il est important de préciser qu'aujourd'hui, le libéralisme économique n'est plus quelque chose d'exclusif aux seuls sympathisants de droite : les sympathisants de gauche et la population Française dans son ensemble se sont progressivement rangés au cours des dernières décennies – à des degrés divers certes – à un libéralisme économique relativement mâtiné. Les catégories de population les plus attachées au libéralisme économique restent cependant les plus aisées. Cadres, professions libérales… qui ont de tout temps été plus attachées au libéralisme économique que les catégories populaires qui attendent d'avantage de l'Etat et moins de l'entreprise. On constate cependant que le libéralisme économique est plus valorisé par les jeunes générations que par celles plus âgées. Les moins de 35-45 ans sont plus attachés au libéralisme économique que les générations précédentes qui ont d'avantage côtoyé et été formées à d'autres idéologies.

Pour autant, il faut bien différencier le libéralisme économique du libéralisme culturel, qui se caractérisera plutôt par la valorisation du multiculturalisme, la valorisation des droits des homosexuels (le mariage, par exemple), la légalisation des drogues douces où l'égalité homme-femme… Autant de sujets qui sont restés longtemps l'apanage de la gauche. Et même s'il existe toujours de véritables différences entre la droite et la gauche sur ces aspects-là, on constate qu'une forme de convergence s'opère. Bien entendu, les sympathisants sont plus libéraux que ceux de droite mais force est de constater que le temps passant, les sympathisants de droite manifestent également un libéralisme culturel qui est plus important qu'il ne l'était autrefois. Le libéralisme, culturel ou économique, tend à gagner du terrain au sein de la population. Le libéralisme et, in fine, les valeurs liées à la liberté sont extrêmement valorisées, à la condition toutefois qu'un minimum d'égalité (des chances, de droits, etc) soit assurée par l'Etat et les pouvoirs publics pour l'ensemble des citoyens.

Inversement, il existe également des catégories de population beaucoup plus méfiantes vis-à-vis du libéralisme. Le poids des idéologies s'étant estompé, le rejet du libéralisme (essentiellement économique) s'est marginalisé. On constate plutôt, aujourd'hui, que certaines catégories de population, traditionnellement de gauche, sont plus en attente d'une intervention du politique, du pouvoir public ou de l'Etat (du pouvoir politique en général), pour une valorisation du secteur publique et de l'administration. Aujourd'hui, les catégories de populations les plus dubitatives vis-à-vis du libéralisme sont celles qui sont le plus dans l'espérance ou le besoin de protection. Des exclus ou des fragilisés économiquement, notamment les classes populaires et ouvrières qui travaillent en usine et subissent de plein fouet le mauvais état de santé du secteur industriel Français.

Outre une stratégie de démarcation, faut-il ainsi y voir une volonté de s'adresser à des potentiels électeurs de l'UMP, au rang desquels figureraient les abstentionnistes et une partie de l'électorat de Marine Le Pen, oubliés de la mondialisation ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, de tous les sondages disponibles, il ressort une forte demande de protections de la part des classes populaires et moyennes.  Même s’il a tendance à beaucoup s’abstenir, cet électorat populaire reste  majoritaire en France, il faut le conquérir ou le reconquérir : Marine Le Pen tient un discours qui annonce vouloir protéger les Français contre les effets des vents mauvais de la mondialisation, le PS aussi dans une large mesure, pourquoi l’UMP serait-il le seul grand parti à proposer aux électeurs de se passer de protections ? On observera d’ailleurs que, sur l’immigration, les dernières déclarations de certains responsables de l’UMP (P. Estrosi, H. Mariton) montrent un net durcissement, or c’est bien là un choix protecteur, parfaitement anti-libéral du point de vue économique. En effet, l’immigration pour un libéral économique cohérent avec son libéralisme constitue une très bonne chose, justement au nom de la concurrence et au nom de l’allocation optimale des ressources humaines disponibles sur la planète. Evidemment, il n’y a sans doute pas 5% d’électeurs vraiment prêts à approuver l’entrée libre, massive, et sans restriction aucune, de main d’œuvre sur le territoire français, ce qui constitue pourtant la seule approche libérale cohérente de l’immigration. 

Yves-Marie Cann : Ce qui est certain au travers des propos rapportés dans Valeurs Actuelles c'est qu'il y a une véritable stratégie. D'abord d'occupation de l'espace : il s'agit de faire parler de soi et ne pas se faire doubler par d'autres prétendants à la présidence de l'UMP. Cependant il faut réaliser que c'est aussi et surtout à travers le choix de l'interlocuteur – et donc du support qu'est Valeurs Actuelles – que Nicolas Sarkozy traduit son désir bien précis de s'exprimer et toucher son noyau dur. Un électorat de droite, UMP, qui lui reste très favorable en plus d'être très nostalgique à son égard alors que le parti connait une crise de leadership sans précédent. Cependant, la résonnance dont bénéficie l'interview lui permet également de toucher d'autres catégories de la population. Ceux qui avaient voté pour lui en 2007 mais qui, déçus, se sont tournés vers l'abstention ou d'autres formations (comme le FN) en 2012. Cette prise de parole, autour des idées de liberté et de son association avec l'égalité – prouvant que ces valeurs ne s'opposent pas nécessairement – cherche sans doute à amorcer une stratégie de réconciliation avec tout une partie de cet électorat qui lui a fait défaut à la précédente élection présidentielle. Bien entendu, une simple prise de parole ne suffira pas à ramener les "brebis égarées" dans le giron de Nicolas Sarkozy, mais cela peut représenter une tentative d'élargissement de son socle de soutien au-delà des simples sympathisants UMP.

Les Français sont-ils réellement allergiques à des solutions libérales en tant que telles ou sont-ils plutôt résignés quant au pouvoir d'action de la politique et à la persistance de l'Etat providence français ? 

Christophe Bouillaud : Je ne crois pas qu’on puisse parler d’allergie des Français au libéralisme. Ils acceptent massivement l’économie de marché, à la fois dans leurs déclarations et dans leurs pratiques quotidiennes. Ont-ils protesté massivement contre la concurrence dans les Télécom ? Contre la multiplication des chaines privées de télévision ? Contre l’ouverture de nouveaux supermarchés près de chez eux ? Contre la disponibilité de produits électroniques importés ? Ont-ils refusé d’avoir le choix ? Des vrais communistes au sens étatiste et autarcique du terme, il  n’en reste pas beaucoup. Par contre, les Français ne sont sans doute aucunement prêts à abandonner leur Etat providence, et d’ailleurs, aucun homme politique de droite ne propose que leurs électeurs se passent dorénavant des éléments essentiels de ce dernier (soins de santé, retraites, allocations familiales, etc.).

On propose que cela coûte moins cher, on veut lutter contre les gaspillages, on propose parfois  de priver les "étrangers" de ces avantages, on ne veut pas d’assistanat, etc., mais personne ne propose de "laisser les petits vieux mourir de froid, de faim et de maladie pour faire des économies", or c’est l’un des coûts majeurs du modèle social français que d’avoir de plus en plus de personnes âgées, souvent dépendantes, souvent malades chroniques, à soutenir. Dans l’Europe de l’Est, après 1989, quand l’Etat social des Etats sortis du communisme soviétique a littéralement fermé du jour au lendemain, ce sont les personnes âgées qui ont subi le plus grand coût de ce bouleversement. Des retraites insignifiantes, des soins devenus payants, aucune aide sociale. Elles en sont mortes plus vite d’ailleurs, ce qui a réglé le problème social ainsi posé par des cimetières bien remplis. Personne ne propose cela en France, surtout  parmi des élites politiques de droite qui savent bien qu’il s’agit du cœur de leur électorat, les plus de 65 ans qui auraient tout à perdre à la fin de l’Etat providence actuel. 

Concernant une "peur" du libéralisme, il faut réaliser que, sur la longue période, les Français ne souhaitent pas être transformés en prolétaires, ils veulent conserver leur indépendance et craignent toujours d'être sous la dépendance directe d'autrui (le métier de domestique a d'ailleurs complètement disparu après la fin de la Première guerre mondiale, et aujourd'hui, les services à la personne végêtent). Par conséquent, ils auront tendance à rechercher des régimes politiques et des hommes politiques capables de les protéger de cette dépendance économique et sociale vis-à-vis d'autrui. 

Pour autant, parler de peur, c'est exagérer et grossir le ressenti des Français vis-à-vis du libéralisme : aujourd'hui, les gens profitent du libre-marché, pour s'enrichir, ou surtout pour consommer, plutôt qu'ils ne le craignent.

Yves-Marie Cann : Les Français ne sont pas opposés au libéralisme en tant que tel. Ce dont ils se gardent et contre quoi ils s'opposent, c'est le libéralisme débridé, qui n'est ni contrôlé, ni régulé. La tendance qu'on observe à l'échelle de la société Française traduit au contraire qu'il faut laisser des marges de manœuvre importantes aux entreprises pour qu'elles puissent se développer, conquérir de nouveaux marchés et par là même créer de la croissance, de la richesse et de l'emploi. Et pourtant, on constate également un besoin et une attente très forte d'un pouvoir politique capable de poser un certain nombre de garde-fous pour éviter les excès qu'on a pu connaitre durant la dernière crise financière. Face à cela, je crois qu'il existe un malentendu entre le peuple et ses politiques : aujourd'hui il est de bon ton de dire que quoique décidera le pouvoir politique, il ne disposera que d'une marge serrée. On ne parle plus de changer le monde mais tout au plus d'influer dessus. C'est quelque chose que les Français comme les politiques ont intégré. Nous sommes bien conscients que les politiques sont, comme tous les acteurs, sont soumis à des contraintes qui réduisent leur marge de manœuvre. Pour autant le peuple reste convaincu qu'ils gardent la capacité et le pouvoir d'influer sur le cours des choses. Il est important qu'ils le restent si le pouvoir politique souhaite pouvoir mobiliser son électorat.

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