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Atrocement libéral pour les uns, pas assez voire pas du tout pour les autres, libéral et progressiste selon Edouard Philippe : quel visage du libéralisme incarne donc le quinquennat Macron ?
©Reuters

La question à 1 million d'euros

Rarement le mot "libéralisme" aura été autant utilisé en France, mais sa définition est différente de celle caractéristique des pays anglo-saxons. Selon l'expression de Friedrich Hayek, le "libéralisme à la française" apparaît comme étant un libéralisme de connivence, entre les conseils d'administration des grands groupes et la haute fonction publique d'Etat.

Pascal Salin

Pascal Salin

Pascal Salin est Professeur émérite à l'Université Paris - Dauphine. Il est docteur et agrégé de sciences économiques, licencié de sociologie et lauréat de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

Ses ouvrages les plus récents sont  La tyrannie fiscale (2014), Concurrence et liberté des échanges (2014), Competition, Coordination and Diversity – From the Firm to Economic Integration (Edward Elgar, 2015).

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Daniel Tourre

Daniel Tourre

Daniel Tourre est notamment l'auteur de Pulp Libéralisme, la tradition libérale pour les débutants (Tulys, 2012) et porte-parole du "Collectif Antigone". 

 

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Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Atlantico : Entre ceux qui voient du libéralisme partout dans le programme et l'équipe gouvernementale du nouveau président et ceux qui n'en voient pas suffisamment, comment peut-on définir ce qu'est le libéralisme ? De quel mot est-il devenu le synonyme en France ? 

Pascal SalinLe libéralisme est malheureusement victime en France de très graves confusions. Ainsi, on considère que toutes les décisions d'un président et d'un gouvernement de droite doivent être considérées comme inspirées par le libéralisme. Or, dans la mesure où les politiques qui ont été menées, par exemple par Chirac et Sarkozy, étaient en fait beaucoup plus proches de politiques socialistes que de politiques libérales, ces politiques ont évidemment échoué. Mais on en a facilement conclu que le libéralisme était incapable de résoudre les problèmes français. Marine le Pen est allée encore plus loin puisqu'elle a prétendu que les difficultés économiques de la France venaient des politiques ultra-libérales conduites depuis Mitterrand !

Le libéralisme consiste évidemment à défendre la liberté de tous les individus, quels qu'ils soient, de leur laisser la liberté de choix, de respecter leurs droits de propriété et, par conséquent, de leur permettre d'être des êtres responsables. Ceci implique de chercher à minimiser les contraintes étatiques. Nous en sommes loin dans une France qui est l'un des pays les plus fiscalisés et les plus règlementés du monde ! Si le libéralisme est mal considéré en France, c'est en grande partie à cause des confusions qui sont faites à son sujet, parfois volontairement. Ainsi, on le présente à tort comme une doctrine qui défend les riches contre les pauvres ou les employeurs contre les salariés, et l'on prétend souvent qu'il vise à assurer la suprématie des grandes entreprises (du CAC 40…). Or, il est un trait caractéristique de la situation française, à savoir qu'il existe une nomenklatura, souvent issue des mêmes grandes écoles, qui détient le pouvoir politique et qui occupe les postes dirigeants des grandes entreprises. Mais cela doit se décrire en fait comme un "capitalisme de connivence" et non comme une situation typique d'une économie libérale.

La libéralisation des échanges extérieurs est un autre aspect important du libéralisme, et elle est, pour sa part, bien reconnue comme telle. Des progrès importants ont été réalisés en ce sens au cours des décennies passées du fait de la libéralisation des échanges au sein de l'Union européenne et du fait de la mondialisation. On doit à cette évolution une amélioration considérable des niveaux de vie, mais nombreux sont ceux qui l'accusent au contraire d'être responsable des difficultés économiques. Il est, certes, facile pour les politiciens de trouver ainsi des alibis, mais les causes des problèmes français doivent être trouvées dans les mauvais choix de politique économique intérieure et non dans la concurrence étrangère.

En définitive, à cause de ces confusions et de ces erreurs d'analyse – et de bien d'autres que l'on pourrait évoquer – le libéralisme a mauvaise presse en France. Alors qu'il repose sur un fondement éthique incomparable – le respect des droits d'autrui - il est présenté comme étant un facteur de désordre que l'Etat doit encadrer et limiter. Dans la mesure où les politiciens, préoccupés de leurs élections, sont évidemment sensibles à l'opinion publique, ils adoptent ces confusions et ces erreurs et ils les accroissent même par leur déclarations et leurs décisions. C'est pourquoi il est malheureusement en grande partie utopique de croire que le libéralisme pourrait inspirer la politique française.

Daniel TourreLe libéralisme est une doctrine politique qui protège la liberté et la propriété individuelle de chacun. Elle permet à chaque individu de mener sa vie, de  s'associer pour une entreprise ou une association. L’État a, pour les libéraux, le rôle de protéger la sécurité de chacun mais il n'est pas là pour dire aux individus quoi faire, quoi penser. Le libéralisme s'oppose donc à un Etat qui prend l'argent des Français pour subventionner la culture, ou la presse, ou des entreprises. Les Français doivent garder leur argent pour financer directement la culture ou les associations de leur choix.

C'est d'abord juste, parce que chacun doit disposer de sa liberté mais c'est aussi plus efficace. 200 personnes à Paris ne peuvent pas savoir à la place de 60 millions d'individus ce qui est bien pour eux et comment y parvenir. Les connaissances, les innovations sont dispersées dans toute la société, pas dans trois arrondissements de Paris. Seule la liberté et la responsabilité permettent de mobiliser toutes les forces dispersées dans la société.

Nous sommes en France, à l'heure actuelle, à des années lumières de la philosophie libérale. La place de l'Etat est passé de 10% du PIB en dépenses publiques au début du XXe siècle (et il y avait déjà des écoles et des routes) à 30% sous de Gaulle, et à 60% aujourd'hui. L'Etat est de moins en moins notre serviteur et de plus en plus notre maître.

Gaspard Koenig Il convient de commencer par rappeler qu'Emmanuel Macron a lui-même utilisé le mot de "libéralisme", ce qui n'est pas très fréquent. Par ailleurs, le Premier ministre a affirmé ce matin qu'il était libéral économiquement, mais pas seulement, c'est-à-dire également sur le plan politique, institutionnel, sociétal, etc. Le fait que ce vocable soit utilisé à un tel niveau est suffisamment rare pour attirer ma curiosité et ma sympathie. Les valeurs contenues dans le programme du gouvernement sont compatibles avec une version minimum du libéralisme, libre-échangiste économiquement et progressiste socialement.

Toutefois, si l'on regarde le détail du programme et les ministres, il y a du souci à se faire. La réforme de la taxe d'habitation, pour ne prendre qu'elle, n'est pas du tout libérale. Ce qui serait libéral, ce serait de laisser la taxe d'habitation à la liberté des communes, qui pourraient fixer le taux et l'assiette, plutôt que de tout centraliser à Paris. Le programme reste ainsi déclinaire. Il a été fait rapidement ; de toute façon, il risque d'être amendé par un gouvernement et un Parlement assez nouveaux, avec des rapports de force inédits. On peut donc espérer, pour une fois, que toute l'impulsion ne vienne pas d'en haut et qu'une marge de manœuvre soit laissée à la société pour, dans l'esprit qui est le bon, essayer de porter des solutions plus fines et plus constructives. 

Ce jeudi matin sur France Inter, Edouard Philippe a qualifié le programme du gouvernement de "libéral". Selon vous, quel libéral est ou n'est pas Emmanuel Macron ?

Pascal SalinIl y a, me semble-t-il, une distinction importante à faire entre un libéralisme de conviction et un libéralisme pragmatique. Les adeptes du premier sont rares en politique car cela implique que les politiciens abandonnent leur fonds de commerce (à savoir la distribution de privilèges catégoriels). Il en existe pourtant des exemples remarquables, en particulier ceux de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, et il est important de souligner que tous deux s'étaient efforcés d'avoir une formation intellectuelle approfondie au sujet du libéralisme. Cela leur a donné des convictions fortes et des réflexes leur permettant de repérer instinctivement les solutions libérales aux problèmes de leurs pays. Edouard Philippe et Emmanuel Macron n'appartiennent évidemment pas à cette catégorie de libéraux. Au demeurant, si tel avait été le cas, Emmanuel Macron n'aurait pas été capable de servir un pouvoir socialiste. En tant que ministre de l'Economie, il a, certes, surpris en faisant adopter quelques mesures de libéralisation, par exemple en ce qui concerne l'instauration de la concurrence dans le transport par car ou l'ouverture des magasins le dimanche. Mais il s'agit là, de toute évidence, d'un libéralisme pragmatique consistant à reconnaître qu'on peut améliorer certaines situations spécifiques en faisant appel à plus de liberté.

Daniel Tourre : C'est une bonne nouvelle que le terme "libéral" sorte de son cachot - sous réserve qu'il ne s'agisse pas d'une OPA hostile comme elle a eu lieu aux Etats-Unis où le libéralisme est devenu synonyme de progressisme. Mais je situe plutôt Macron dans une sorte de social-démocratie réformiste assumé ; c'est une avancée spectaculaire par rapport à une gauche historique très étatiste de Martine Aubry ou Gérard Filoche. Et c'est sans doute ce que l'on peut attendre de mieux à gauche. Emmanuel Macron utilise, par exemple plus facilement, le terme "autonomie" - où l'Etat doit garantir aux individus leur subsistance, ou même les loisirs, avec le chèque culture- que le terme "liberté". Il s'agit alors plutôt d'un "autonomisme" que d'un libéralisme.

Concrètement, il est d'abord très difficile de savoir ce que va effectivement faire Emmanuel Macron. Sa campagne a été volontairement floue. Ses ralliements ne rassurent pas ; la droite chiraquienne est largement anti-libérale et s'est surtout illustrée par le statu quo ou la dégonflade depuis 20 ans. Mais il est aussi capable de sortir de l’ambiguïté sur certains points vers des propositions libérales, sans doute à la surprise de certains de ses soutiens. Il faudra juger, à l'aveugle, au cas par cas, selon une grille de lecture libérale.

Des éléments paraissent aller dans le bon sens, comme la nécessité de réforme du code du travail ou la nomination de Jean-Michel Blanquer à l'Education nationale avec ses réflexions sur davantage d'autonomie des établissements.

Mais il n'y a, à ma connaissance, pas de désengagement de l'Etat dans la culture, dans les subventions ; au contraire Macron veut davantage de relance par l'investissement, et d'une manière générale pas de changement de la place de l'Etat dans la société, plutôt un esprit technocrate pro-business centralisateur sans au final beaucoup plus de liberté ou de subsidiarité en plus. Il ne s'agit pas rendre la liberté aux Français mais plutôt de mieux gérer à leur place, par ceux qui savent mieux. Le système social a besoin d'être mis en concurrence pas d'être mieux géré par l'Etat. Les syndicats ont besoin de sortir des subventions, pas de disparaitre. Le risque est la tentation de ne pas réformer en profondeur l'Etat mais se contenter de faire ramer plus fort et mieux les salariés du privé pour tenir à flot, sans boucher les trous.

Dans l'antilibéralisme, on voit aussi un européisme centralisateur, sans beaucoup se soucier des problèmes démocratiques ou de la subsidiarité. On voit aussi un progressisme punitif et autoritaire  -comme la dénonciation bancale des discriminations à l'embauche ou la discrimination positive, à la fois inefficaces et ravageurs pour la société française.

Gaspard KoenigEmmanuel Macron n'est pas un libertarien, mais un jacobin. De ce point de vue, il rentre dans la conception de ce que l'on appelle le "libéralisme à la française", défini par Hayek, qui le rejetait d'ailleurs. C'est une version du libéralisme qui repose sur un rapport direct entre l'État et l'individu. Ceci explique notamment la détestation d'Emmanuel Macron pour les corps intermédiaires, que ce soient les corporations contre lesquelles il veut lutter en se positionnant contre les rentes, ou les partenaires sociaux dans le cadre de son projet de nationalisation de l'Unedic. Ce dernier cas illustre bien ce qu'est le libéralisme à la française : l'État reprend en mains un rapport direct avec l'individu ; on est alors sur un pied d'égalité. C'est également l'esprit de la retraite à points ou la réforme de la formation professionnelle. Peu importe les métiers exercés, la situation sur le territoire, chacun doit disposer des mêmes droits, ces derniers étant gérés par l'État. Cela constitue d'ailleurs l'esprit de la Révolution française, et notamment de la loi Le Chapelier de 1791 contre les corporations. Le libéralisme anglo-saxon, lui, est plus radical : il repose, au contraire, sur les corps intermédiaires, l'auto-organisation sociale, etc., ce qui n'est pas l'optique de ce gouvernement.

Quelles perspectives offre ce nouveau quinquennat quant à l'évolution de ce qu'est le libéralisme français ? 

Pascal SalinIl est évidemment trop tôt pour savoir quelles réformes seront éventuellement faites par le nouveau pouvoir et celles-ci dépendront d'ailleurs également du résultat des élections législatives. Certes, on trouve dans le programme d'Emmanuel Macron quelques mesures qui vont dans la bonne direction, par exemple une réforme du Droit du travail qui devrait permettre une plus grande flexibilité sur le marché du travail (mais on n'en connaît pas encore les traits caractéristiques), ou une diminution de l'impôt sur les sociétés. Mais d'autres projets sont caractéristiques du caractère ambigu des réformes proposées.

Ainsi, il est proposé de supprimer ou de diminuer la taxe d'habitation pour 80% des contribuables. C'est une mesure électoraliste, mais qui implique évidemment que les communes seront obligées d'augmenter d'autres impôts – par exemple la taxe foncière – pour compenser cette baisse d'impôts qui est injustement accordée à une partie des électeurs. De même, au lieu de supprimer cet impôt stupide et destructeur qu'est l'ISF, Emmanuel Macron propose seulement d'en exonérer les actifs dits "productifs", mais pas les actifs immobiliers. Or, un libéral sait bien qu'un actif immobilier est productif en ce sens qu'il produit des satisfactions (particulièrement importantes pour tout le monde). De la même manière, la baisse prévue de certaines cotisations sociales serait compensée par une augmentation de la CSG, ce qui revient en particulier à augmenter la taxation du capital, alors qu'on se trouve déjà dans une situation de sur-taxation du capital. Il y a donc un risque important pour que certaines mesures que l'on peut considérer comme des mesures "libérales" (d'un point de vue pragmatique) fassent naître l'illusion de l'existence d'une politique "libérale", alors qu'on se trouvera en fait dans la situation que nous avons connue dans le passé, c'est-à-dire la poursuite de politiques fondamentalement interventionnistes, mais caractérisées à tort comme étant libérales. Ce ne sont pas seulement les idées qui en pâtiront, mais le sort de tous les Français.

Gaspard KoenigCela nous donne un espace de parole et de débat beaucoup plus important qu'avant ; nous retrouvons une place légitime dans le débat. Le fait que l'on pose toutes ces questions sur le libéralisme me semble extrêmement profitable : nous allons retrouver un débat sur la nature du libéralisme, qui me paraît essentiel. Cela peut être l'occasion pour nous de redonner au libéralisme sa dimension intellectuelle, de sortir de la marginalité. 

Dans quelle mesure le libéralisme, associé au conservatisme, pourrait-il contribuer à la recomposition de la droite ?

Daniel Tourre : La droite est dans un état désastreux. Elle ne sait plus où elle habite. Elle n'est pas, bien sûr,  libérale, mais elle n'est pas non plus vraiment conservatrice ou patriote. La ligne François Fillon et sa tentative, encore bien timide, de la sortir de sa torpeur est un accident industriel dû à la primaire. Qui peut aujourd'hui définir la ligne LR des législatives, sa vision du monde ? A part ne pas augmenter la CSG ?

De surcroît, depuis 10 ans, des essayistes comme Zemmour, Polony, au logiciel jacobin vaguement marxisant, ou Michéa en favorisant un antilibéralisme violent, sont les fossoyeurs de la droite. Tout le monde ne peut pas être libéral à droite, mais la droite ne peut gagner une élection sans le libéralisme -et encore moins aider le pays. L'alliance entre les droites est menacée par cet antilibéralisme rageur. Une partie de la droite s'est donc enfermée dans une impasse, ne rien penser ou penser antilibéral. Cela peut être dramatique car il n'y aurait alors qu'un parti central, En Marche!, sans alternative crédible autre que le populisme étatiste du FN ou des insoumis.

La seule voie possible pour la droite est de se réarmer intellectuellement, de renouer un fil entre un conservatisme non-étatiste comme proposé par un Roger Scruton, le patriotisme et le libéralisme. Que Fillon ait pu faire 20% malgré le tapis de bombe  qu'il a reçu pendant trois mois montre qu'à droite aussi, on attend des idées, du renouveau et de l'audace.

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