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Assemblée mondiale de la santé : les défis sanitaires d'un monde post-Zika ou Ebola
©REUTERS/Thomas Peter

Ce qui nous attend

A peine un an après l'échéance fixée pour les Objectifs du millénaire pour le développement, l'ONU a adopté en septembre dernier les Objectifs du développement durable qui visent à améliorer les conditions de vie de la population mondiale, et dont la réalisation dépend de la bonne gouvernance.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Ce lundi s'ouvre la 69ème Assemblée générale de la santé qui abordera essentiellement la question des ODD (Objectifs du développement durable). Quels sont-ils ? Dans quelle mesure répondent-ils aux nouveaux défis sanitaires auxquels doit faire face la population mondiale ? 

Gérard-François Dumont : Les dix-sept Objectifs du développement durable (ODD), adoptés au sommet du développement durable le 25 septembre 2015 par les États membres de l’ONU, ont chacun un contenu souhaitable : "pas de pauvreté", "faim zéro", "bonne santé et bien-être", "éducation de qualité", "égalité entre les sexes", "eau propre et assainissement", "énergie propre et d’un coût abordable"... Il est bien évidemment souhaitable que ces objectifs soient atteints. On pourrait même envisager que ces objectifs soient atteints avant l’échéance fixée à 2030 si les pays bénéficient d’une meilleure gouvernance et prennent les bonnes décisions. Par exemple, l’égalité entre les sexes pourrait se réaliser plus vite si les pays qui comprennent des textes constitutionnels ou législatifs anti-égalitaires[1] les révisaient. Les précédents objectifs, intitulés "Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)", au nombre de huit, avaient été fixés en 2000 pour une échéance en 2015. C'est la raison pour laquelle une révision des objectifs était nécessaire en 2015. Cette révision réside surtout dans la dénomination, avec l’adjonction de l’adjectif  "durable", dans le nombre accru d’objectifs, dix-sept au lieu de huit, et donc dans l’énoncé de thèmes nouveaux. Par exemple, apparaît un objectif 13 intitulé "mesures relatives à la lutte contre le changement climatique" et un autre, numéroté 16, formulé "paix, justice et institutions efficaces".

Toutefois, y a-t-il un changement notable entre les ODD et les OMD ? Non puisque les ODD déclinent souvent des objectifs semblables à ceux précédemment fixés pour la période 2000-2015. Il s’agit toujours d’améliorer les conditions de vie, doncde faire en sorte que l'espérance de vie continue à augmenter, et ce à tous les âges, et tout particulièrement dans les pays du Sud qui sont en retard en la matière.

Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas affirmer que le monde ne se soit pas rapproché des objectifs pendant la période 2000-2015. Certes, l’éducation primaire pour tous est loin d’être assurée en Afrique subsaharienne, et l’égalité des sexes loin d’être reconnue et appliquée dans de nombreuses régions. Il y a donc des disparités considérables en termes de résultats des OMD selon les pays.  Mais il y a eu d'indéniables progrès, tout particulièrement dans les pays émergents, à chaque fois que la gouvernance s'est améliorée : diminution du nombre de personnes souffrant de malnutrition, quasi-doublement du nombre de personnes bénéficiant d’eau potable, réduction du nombre de personnes décédant du paludisme, réduction de la mortalité des enfants de moins de cinq ans, diminution du nombre d’enfants non scolarisés en âge d’aller à l’école primaire... Des pays ont enregistré une forte avancée vers certains des objectifs comme la Chine, l’Inde, le Vietnam ou certains pays d’Amérique latine. En revanche, les résultats sont à la traîne dans les pays qui connaissant des troubles géopolitiques comme la Somalie, qui ont traversé une crise politique et un conflit civil, comme la Côte d’Ivoire des années 2000, ou dont la politique des dirigeants n’est guère fondée sur le souci du bien commun. La capacité des pays à avancer vers ces objectifs est très liée à l'efficacité de leur gouvernance interne, c'est-à-dire à la volonté des pays de développer des politiques qui améliorent les réseaux sanitaires, les pratiques hygiéniques, et bien évidemment l'économie en général. L’objectif sanitaire fixé (objectif 3 : "bonne santé et bien-être") ne peut être atteint qu'à condition que la gouvernance soit efficiente. C'est là où réside l'une des difficultés de l’énoncé de dix-sept ODD : il ne précise guère l'interdépendance entre les différentes politiques permettant d’y parvenir. Prenons un exemple : la "bonne santé" suppose de meilleures conditions d'hygiène. Ces dernières reposent sur des politiques publiques plus efficaces en vue de développer les réseaux sanitaires (centres de protection maternelle et infantile, hôpitaux, etc.), mais aussi sur une réduction de la corruption, d’abord au sein des pouvoirs publics, afin que les financements possibles pour la politique sanitaire soient bien utilisés dans ce dessein au lieu d'être en partie détournés par des pratiques de corruption. L'amélioration sanitaire repose aussi surune meilleure scolarisation. L'école est absolument essentielle pour enseigner aux enfants des règles sanitaires élémentaires, et notamment pour l'enseigner aux filles. Il convient donc d'améliorer l'éducation en général, et notamment la scolarisation des filles aujourd’hui encore inégale dans de nombreux pays. Par exemple, l’école est le lieu où l’on peut enseigner aux futurs parents, et donc aux futures mères, qu'il faut donner à boire à son bébé lorsque celui-ci a la diarrhée. Si la scolarisation est insuffisante, cela contribue à un taux de mortalité infantile plus élevé, par méconnaissance des logiques de soins face à une maladie, a priori, bénigne.


[1] Cf. par exemple Dumont, Gérard-François, “Les femmes et les « Droits de l’homme » en Arabie saoudite”, dans : Les droits de l’homme en Arabie saoudite, Paris, Académie de Géopolitique de Paris, 2012.

Ces derniers mois, le monde a dû/doit faire face à certaines menaces sanitaires, notamment les virus Ebola et Zika qui ont, semble-t-il, remis sur le devant de la scène l'Organisation (points également abordés lors de cette Assemblée générale). Quel est son véritable pouvoir ? Dans quelle mesure influe-t-elle sur les politiques sanitaires mises en œuvre au niveau national ?

On peut considérer que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a connu une certaine efficacité sur ces deux dossiers dans la mesure où les pays ont compris que les microbes ne respectent pas les frontières politiques. Ainsi, lorsqu'il y a une épidémie dans une région, il est absolument nécessaire qu'il y ait un lieu où les pays puissent se réunir pour discuter et décider d’actions en vue de l’enrayer. Afin de montrer l’utilité de l'OMS, rappelons le cas du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), maladie[1] apparue en novembre 2002 à Canton et due à un virus alors inconnu qui a engendré la première grande crise sanitaire imprévue du XXIème siècle.

Alors que l'épidémie progressait et qu’il fallait trouver l’agent causal, l'organisation piétinait parce que Taïwan n’est pas membre de l'OMS, faute d’être membre de l’ONU en raison du refus de la Chine. Or les virus ne tiennent pas compte des réalités politiques alors que la présence de médecins et de professionnels de la santé de Taïwan pouvait contribuer à la lutte contre le SRAS. La Chine elle-même a fini par se rendre compte qu'il était indispensable que Taïwan soit autour de la table afin de mener une politique commune en vue d'enrayer la grippe aviaire. Il a donc été accepté que Taïwan dispose d'un strapontin pour participer aux discussions contre l'extension de cette épidémie. Le directeur général de l’OMS s’est d’ailleurs félicité, lors de son allocution à la cinquante-septième Assemblée mondiale de la Santé à Genève, le 17 mai 2004, "des mesures annoncées par le Gouvernement de la République populaire de Chine, qui visent à assurer la participation de Taïwan et de la Chine, à l’action de santé dans le monde".

Selon cet exemple, l’efficacité de l'OMS face aux épidémies nécessite que les Etats acceptent de comprendre que l’éradication d'une épidémie impose une coopération internationale pour identifier sa cause[2] et prendre des mesures communes.


[1] Elle est dite émergente dans la mesure où il s’agit d’une nouvelle pathologie, même si l’adjectif émergent s’applique aussi à des maladies dont l’incidence augmente en un lieu donné ; cf. Wackermann, Gabriel (direction), Environnement et société, Paris, Ellipses, septembre 2011.

[2] Concernant le SRAS, les recherches ont révélé un coronavirus totalement inconnu comme agent causal. 

Afin de mettre en œuvre la réforme de l'Organisation, il est demandé aux Etats membres 160 millions de dollars supplémentaires pour la période 2016-2017. Cette somme est-elle à la hauteur des enjeux sanitaires à l'échelle planétaire ? Quelles sont les modalités de financement de l'organisation ? 

Nous sommes dans la logique financière habituelle des programmes ou des agences de l'ONU, généralement caractérisée par la combinaison de contributions fixées et de contributions volontaires. Ces programmes et ces agences concluent presque toujours leurs rapports financiers annuels en demandant des moyens supplémentaires. Pourtant, aller vers les ODD est une question autant organisationnelle que financière. Considérons la situation sanitaire globalement insatisfaisante de l'Afrique : elle n'est pas due qu'à des problèmes financiers, mais également à deux autres facteurs dépendants, le premier, des pays africains eux-mêmes et, le second, des pays tiers. D’une part, des Africains ou des Asiatiques ayant une formation médicale peuvent trouver répulsif leur pays de naissance en raison de son caractère liberticide ou de sa mauvaise gouvernance. D’autre part, des pays du Nord n’hésitent pas à attirer du personnel médical issu des pays du Sud. Par exemple, de très nombreux médecins ou infirmiers nés dans des pays du Sud officient dans des pays du Nord. Le cas de la France est tout à fait illustratif : depuis plusieurs décennies, précisément depuis 1971, ce pays a décidé de limiter le nombre de médecins formés en France, par un numerus clausus, dans l'admission aux études médicales françaises. Résultat, la France ne dispose plus d'un nombre de médecins suffisant, ce qui l'incite à recruter des médecins à l'étranger, dans des pays qui, pourtant, manquent eux-mêmes de médecins. Ce n’est pas l’augmentation du budget des organisations internationales qui peut permettre de provoquer une décision française qui consisterait à avoir un numerus clausus moins verrouillé que celui existant encore aujourd'hui. 

Y-a-t-il des enjeux importants omis par cette 69ème Assemblée et qui mériteraient pourtant de figurer à l'ordre du jour ? Pour quelles raisons sont-ils écartés de l'agenda ?

On remarque effectivement l'absence de certains enjeux pour la simple et bonne raison que l’attitude consistant à ne pas dénoncer des pays qui sont responsables du malheur sanitaire de leur propre population est constante. Prenons le cas du Zimbabwe : la raison fondamentale pour laquelle on constate dans ce pays aux ressources considérables une mauvaise santé réside dans le régime liberticide et prévaricateur imposé par son chef d'Etat, Robert Mugabe, au pouvoir depuis 1980, bien qu’engendrant de mauvaises conditions sanitaires.  Ce régime continue à être soutenu internationalement alors qu'il est responsable des insuffisances de développement du Zimbabwe et de périodes absolument dramatiques dans la santé du pays. Par exemple, lorsqu'il y a eu une épidémie de choléra au Zimbabwe en 2008, Robert Mugabe a interdit aux organisations internationales de se rendre dans son pays pour y soigner l'épidémie.  Il ne voulait pas de témoin aux méthodes violentes qu’il utilisait pour se faire réélire président. Il est en effet parvenu à contraindre Monsieur Morgan Tsvangirai, qui avait gagné le premier tour de la présidentielle, à se retirer du second tour. Mugabe laissait (ou encourageait) ses partisans chasser ceux de Tsvangirai de leurs foyers (environ 200 000) et même à en tuer (au moins 86 personnes). Et le gouvernement interdisait les rassemblements et manifestations en faveur du parti politique de Tsvangira, le MDC, arrêtait ou harcelait les dirigeants du parti, et refusait de faire parvenir de l'aide alimentaire aux régions où Tsvangirai avait obtenu ses meilleurs résultats au premier tour. Aussi, le 22 juin 2008, cinq jours avant le second tour, Tsvangirai a annoncé qu'il se retirait de l'élection, cédant ainsi par avance la victoire à Mugabe. Il s’expliquait ainsi : "Nous, le MDC, nous ne pouvons pas demander à nos partisans de voter le 27 juin en sachant que voter pourrait leur coûter leur vie. Nous avons décidé que nous ne participerons plus à cette simulation de processus électoral, violente et illégitime".

Après le second tour et dès que Monsieur Mugabe a été reconnu, à tort, comme légitime par la communauté internationale, celui-ci a de nouveau ouvert la porte aux organisations internationales. Celles-ci ont alors pu enrayer très rapidement l’épidémie de choléra. Mais, entre temps, plisieurs milliers de Zimbabwéens en sont morts. Une tel épisode permet d’illustrer le fait qu’au Zimbabwe, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 60 ans et celle des femmes de 62 ans[1], largement inférieure à la moyenne mondiale.

La réussite des objectifs du développement durable passe donc d’abord par la qualité des politiques nationales des différents pays de la planète.


[1] Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays », Population & Avenir, n° 725, novembre-décembre 2015, www.population-demographie.org/revue03.html

Propos recueillis par Thomas Sila

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