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Assemblée générale de l'ONU : quelle influence réelle la diplomatie française a-t-elle regagné depuis le succès d'image de l'élection d'Emmanuel Macron ?
©AFP

Baptême du feu

Ce mardi 19 septembre, Emmanuel Macron prononcera son premier discours devant l'assemblée générale de l'ONU.

Fabien Laurençon

Fabien Laurençon

Fabien Laurencon est agrégé d'allemand, diplômé de Sciences Po Paris. Il a enseigné l'histoire et la civilisation allemandes à l'université Sorbonne nouvelle Paris III et à Paris X. 

 

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Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Ce mardi 19 septembre, Emmanuel Macron prononcera son premier discours devant l'assemblée générale de l'ONU, avec nombre de dossiers en toile de fond; climat, Iran, Sahel, Syrie, Turquie etc.. Alors que l'élection d'Emmanuel Macron avait été perçue favorablement par la "communauté internationale", cette "bienveillance" à priori a t elle pu se traduire, dans les faits, par un regain d'influence diplomatique pour la France ?

Fabien Laurençon : Il est à la fois prématuré de se prononcer à ce stade sur un regain d’influence diplomatique pour la France, six mois à peine après l’élection d’Emmanuel Macron, et malaisé tant les effets d’une politique étrangère s’apprécient avec une autre métrique et une autre temporalité que les succès de politique intérieure. Cependant la bienveillance diplomatique, au-delà de l’effet de nouveauté ou de curiosité, dont il bénéficie au-delà du cadre national semble réelle. Dans le cadre franco-allemand par exemple, la dynamique de confiance est incontestable.

Il est clair que le volontarisme de la présidence Macron qui s’incarne dans les nombreuses initiatives prise sur le champ diplomatique – qu’il s’agisse de la reprise du dialogue avec la Russie d’une part, et les Etats-Unis de l’autre,théâtralisé par sa fameuse poignée de main avec D. Trump, le reset de la relation franco-allemande, la volonté de donner une impulsion nouvelle au G-5 Sahel dans un format élargi - témoignent d’une volonté claire d’imposer la stature internationale du président et de signer le retour du pays sur la scène internationale.

Le déplacement à New York s’inscrit dans la continuité des cinq premiers mois d’initiatives diplomatiques de la présidence d’Emmanuel Macron. A ce titre, l’objectif de réinvestir les instances multilatérales, au premier rang desquelles figure l’ONU, est un des axes forts, originel de son mandat, réaffirmé dans son discours du 29 août dernier à Paris à l’occasion de la Conférence des Ambassadeurs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le secrétaire général des Nations Unies a été son premier visiteur international à Paris.

Michael Lambert : L’élection d’Emmanuel Macron s’impose comme un renouveau de la politique française en matière de soft power, c’est à dire de la puissance d’influence de la France à l’international. 

À ce jour, on assiste à une prise de position ferme du Président français en faveur du climat et du respect de la COP21, avec un désaccord majeur avec les États-Unis, ce qui pousse au rapprochement avec des partenaires comme la Chine et l’Allemagne. Ce re-positionnement vers une politique respectueuse de l’environment amène à accroitre la visibilité et le rayonnement de la France en Union européenne et à travers le monde. Cela se traduit par de nouvelles alliances à l’ONU. 

Ce basculement ne se limite pas à l’environment, avec un souhait d’accroitre la présence française en Afrique et au Moyen-Orient. La France prend désormais des positions fermes en matière de sécurité dans le Sahel ou on peut constater un souhait de prendre en charge les migrants et réfugiés avec des partenaires comme l’Italie.  La Turquie, actuellement en froid avec l’Allemagne en raison des tensions relatives à la prise en charge des réfugiés Syriens, constitue une opportunité pour Emmanuel Macron d'accroître son importance au sein de l’OTAN. Turquie vient de conclure un deal commercial avec la Russie pour l’acquisition des S-400, ce que la France désapprouve fortement. 

Le classement des pays en terne de “soft power” atteste d'une progression de la France en terme d’influence qui dépasse désormais les États-Unis et même l’Allemagne (Revue Monocle 2017). 

Les actions concrètes sont cependant à l’état embryonnaires, avec un dialogue à l’échelle européenne mais sans prise en charge des réfugiés. La Russie respecte davantage la France, mais le groupe de Minsk peine toujours à solutionner la question du Karabakh et celle de la Crimée. Emmanuel Macron parle également de renforcer les initiatives franco-allemandes en matière de défense avec un avion commun, on est cependant loin d’un résultat palpable à ce jour.

La France rayonne donc dans ses paroles et on observe un intérêt à l’international pour le nouveau Président. Les actions concrètes sont encore absentes. Le discours à l’ONU sera l’occasion d’exprimer la ligne diplomatique d’Emmanuel Macron, mais sans pour autant proposer d’initiatives, notamment en Europe de l’Est où l’Allemagne et la Pologne restent les deux principaux acteurs. 

Quels sont les dossiers les plus délicats à gérer pour Emmanuel Macron ? Quels seraient les moyens de mesurer l'action diplomatique du chef de l'Etat ? Quels sont les dossiers ou le Président est le plus attendu ?

Fabien Laurençon : Emmanuel Macron est confronté plus qu’aucun de ses prédécesseurs sans doute depuis vingt-cinq ans à une conjonction de dossier internationaux sensibles.

Réussir à retisser les fils d’un système multilatéral efficace, « refonder un ordre collectif, stable et juste » comme il l’a souligné dans son discours d’ouverture de la Conférence des ambassadeurs,  sera l’un des dossiers majeurs, où la marge de manœuvre est la plus limitée également.

Donner une nouvelle impulsion à l’Europe, avec bien entendu Angela Merkel, dans ce qui pourrait devenir l’un des grands « couples franco-allemands » à venir, tant les complémentarités / complicités entre ces deux personnalités au départ improbables, et dissemblables, semblent prometteuses pour résoudre en particulier les deux dossiers clés de la politique européenne : la relance de la zone euro, et la gestion de la crise migratoire qui constitue un des grands défis du couple franco-allemand dont l’enjeu est rien moins que lacohésion de l’Union européenne, même si le flux des réfugiés s’est considérablement ralenti depuis le début de l’année.

L’accord sur le climat pourra-t-il être sauvé, à la faveur d’un infléchissement de la position américaine est-il-possible ? Ce sera l’autre sujet clé.

Sur le dossier ukrainien, Emmanuel Macron saura-il ramener la Russie dans le concert des nations, et insuffler une nouvelle « Ostpolitik », en réinventant ce « WandeldurchAnnäherung », ce changement par le rapprochement cher aux pères de l’Ostpolitik, Egon Bahr et Willy Brandt ?

Concernant le dossier iranien, il sera intéressant de suivre l’évolution de la diplomatie française après l’entretien d’Emmanuel Macron avec le président iranien. « Il n’y a pas d’alternative au régime de non-prolifération nucléaire, et nous serons, à ce titre, d’une fermeté implacable sur son application » déclarait Emmanuel Maron lors de discours aux ambassadeurs. L’échange avec la diplomatie iranienne sera-t-il la première étape d’une inflexion de la position française ou confortera-t-il le président français dans son choix d’une ligne intransigeante alignée sur celle des Etats-Unis ?

Michael Lambert : Les principaux dossiers sont : le climat, la montée en puissance de la Chine avec le projet de la Nouvelle route de la soie, le retour de la Russie avec les pressions en Europe de l’Est (Zapad 2017, influence grandissante en Moldavie et en Ukraine), et les relations franco-allemandes. Sur ces questions, la France va continuer son engagement pour l’émergence des énergies renouvelables, sans nul doute avec un certain succès, en raison d’une tendance mondiale qui vise à accroitre leur production. Pour ce qui concerne la Chine, on peut s’attendre à un renforcement des relations académiques et économiques entre les deux pays, et de nombreuses coopérations notamment en Afrique. La France est un acteur historique et la Chine une puissance émergente en demande de matières premières. 

Pour ce qui concerne la Russie, elle est et restera le point faible de la France. La principale raison est l'éloignement géographique du pays et un certain manque d’expertise pour les États du Partenariat oriental (EaP). On constate un manque d’experts français qui maîtrisent les réalités du terrain tant au Ministère des Armées que dans les principaux Think-Tanks (un cercle d’académiques qui se limite à une dizaine de personnes, souvent à Paris, ce qui est peu pour un membre permanent de l’ONU et de l’OTAN). Cela pousse le Ministère des Affaires étrangères à adopter une attitude “hybride" qui regroupe les analyses françaises avec celles des centres de recherche aux États-Unis et en Grande Bretagne (où travaillent d’ailleurs de nombreux francophones). Un paradoxe qui s’explique en partie par le déséquilibre français entre expertise sur le Moyen-Orient et sur l’Europe de l’Est (de nombreux experts de la Russie, mais peu pour les États de facto ou les petits pays comme la Moldavie). Cette situation est problématique car elle amène à une fracture nationale entre pro-Russes et anti-Russes en France. Cela se traduit par un groupe de Minsk sans initiatives concrètes et une sur-représentation de l’Allemagne et la Pologne à l'Est, sans pour autant que ces derniers soient meilleurs en matière d’analyse, contrairement à ce que l’on pourrait penser. 

Sur les relations franco-allemandes, il faut attendre les élections pour avoir plus de visibilité.

On attend surtout le Président sur les questions diplomatiques avec l’avenir de l’Union européenne. Sur ce plan, on notera la vision “Old school” de Macron qui pense l’Europe comme franco-allemande. Une attitude fortement critiquée par les nouveaux Européens car l’avenir de l’Union européenne semble désormais être à l’Est. À titre d’exemple, l’Estonie est un leader en matière de cyber-securité avec une dette d’à peine 4% du PIB, la Pologne plus de 3% de croissance et un chômage d’à peine 9% (25% en 2004 au moment de son intégration en U.E) et la République Tchèque moins de 2.9% de chômage. Emmanuel Macron peine à comprendre cette nouvelle dynamique et la faiblesse de la France pour relancer l'économie ne joue par en sa faveur, comme en témoigne les attaques du Gouvernement polonais après sa visite. 

Entre la fin de la Présidence Hollande et les débuts de la Présidence d'Emmanuel Macron, quels sont les revirements, les changements de stratégie, les alliances nouvelles, qui peuvent se démarquer ? En quoi la diplomatie Française a-t-elle évolué au cours de ces derniers mois ?

Fabien Laurençon : A la lecture du discours du 29 août, et rétrospectivement, depuis quatre mois, sur le fond, à savoir sur les grandes orientations de la politique étrangère et de sécurité, la continuité entre la présidence Hollande et la présidence Macron s’impose sur la plupart des sujets, que ce soit la lutte contre le terrorisme, l’approche régionale de a crise migratoire en Méditerranée, la volonté de repenser et de relancer l’architecture européenne post-Brexit, l’affirmation du multilatéralisme comme pierre angulaire de l’action internationale de la France, et bien sûr le climat. Depuis ces derniers mois cependant, la diplomatie française a connu un revirement sur la crise syrienne, avec la déclaration d’Emmanuel Macron ne fait plus du départ de Bachar el-Assad du pouvoir une condition préalable à un règlement politique en Syrie.

Cependant, le discours du 29.8 qui mérite d’être relu attentivement pour sa dimension autant programmatique que ce qu’il dit sur l’auto-perception du chef de la diplomatie française, et les initiatives à venir sur le climat (signature du Pacte mondial pour le Climat, discours en décembre à l’ONU…) et qui constituera selon toute vraisemblance un des charpentes de son discours à l’ONU, recèle des inflexions significatives. Plus que son prédécesseur, Emmanuel Macron est bien décidé à faire de la lutte contre le réchauffement climatique un axe central de sa politique étrangère ; et au-delà, l’accent singulier porté sur les biens communs de l’humanité (planète, paix, justice & libertés) constitue un espace de manœuvre nouveau pour sa politique étrangère.

Michael Lambert : Les évolutions sont le fruit de l’élection de Trump aux États-Unis, ce qui amène la France à chercher de nouveaux partenaires, faute de pouvoir se tourner vers les États-Unis. 

L’Allemagne est encore sceptique sur l’avenir des relations franco-allemandes, la Chancelière ayant vu passer plus de quatre présidents français (Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron) sans aucun résultat concrets en matière de relance de l’économie et pour la prise en charge des réfugiés.

Il est évident qu’un rapprochement est à envisager avec la Chine, sans surprise car cette dernière est en pleine montée avec ses projets en Asie centrale et en Europe de l’Est (Nouvelle route de la Soie). 

Dans la mesure ou Emmanuel Macron concentre son attention sur l’Allemagne, il y a peu à attendre d’une “initiative latine” en Europe du Sud. Malheureusement, le manque d’intérêt pour l’Europe centrale (Visegrad) s’avère problématique. La France parviendra-t-elle à attirer l’attention de l’Allemagne avec des projets comme un avion en commun ? La véritable question semble être “l’Allemagne serait-elle prête à quitter Eurofighter et ses partenaires et la France à renoncer au Rafale malgré l’omniprésence de Dassault ?”. Emmanuel Macron pourrait-il redonner confiance en l’avenir des relations franco-allemandes alors même que l’Allemagne s’oriente vers l’Est de l’Europe? Ces questions dépendent naturellement d’actions concrètes sur le plan économique.

Le principal changement est celui de la realpolitik de Macron, qui n’hésite pas à mettre en avant les défauts de la France plutôt qu’à les nier. Une étape indispensable pour faire avancer le pays. C’est donc avec optimisme qu’on note un souhait d’internationalisation du pays avec des partenariats universitaires, une critique positive et constructive, et une image (soft power) qui s’impose à l’international, même si l’on attend comme toujours beaucoup d’un président qui vient d’être élu.  

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