Armes, insurrection et réseaux criminels : derrière les émeutes, la vertigineuse perte du monopole effectif de la violence par l’Etat <!-- --> | Atlantico.fr
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Des armes saisies par les forces de l'ordre sont présentées aux journalistes à la préfecture de gendarmerie de Perpignan.
Des armes saisies par les forces de l'ordre sont présentées aux journalistes à la préfecture de gendarmerie de Perpignan.
©RAYMOND ROIG / AFP

Climat explosif

Selon les constats des policiers et gendarmes, très peu d’armes ont été sorties pendant les émeutes. Mais que se passerait-il si elles l’étaient un jour ?

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier

Bertrand Cavallier est général de division (2S) de gendarmerie. Spécialiste du maintien de l’ordre et expert international en sécurité des Etats, il est notamment régulièrement engagé en Afrique. Le général Bertrand Cavallier est l'ancien commandant du Centre national d’entraînement des Forces de gendarmerie de Saint-Astier. 

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Que sait-on de la nature et du nombre des armes présentes en France ? Qui les détient et où ? Quid des armes de guerre ?

Bertrand Cavallier : Depuis plus d'une décennie, on assiste à une prolifération d'armes dans certaines zones, celles que l'on qualifie de quartiers sensibles. Parmi ces armes, le fusil automatique de type Kalachnikov (calibre 7,62 x 39 mm) est devenu larme de référence. Il y a une banalisation de ces armes de guerre et leur utilisation croissante dans des règlements de comptes entre bandes.

Ce phénomène est devenu structurel dans les Bouches-du-Rhône (31 morts en 2021, soixante fusillades en 2022 ayant causé la mort de 29 hommes, et l’année 2023 s’annonce plus meurtrière). Malheureusement, il tend à se propager dans toute les régions caractérisées par l’essor de zones urbaines en difficultés, où se concentrent les trafics de stupéfiants. L’exemple de l’agglomération nantaise, autrefois si préservée, en est un exemple très parlant. La mutation de ces territoires correspond factuellement à une concentration d’immigration extra-européenne.

Gérald Pandelon : Selon le ministère de l'Intérieur, ce sont 5,4 millions d'armes qui seraient soumises à autorisation ou déclaration en France (Fichier Agrippa), il y en a en réalité près de 10 millions (La Croix, novembre 2022). En France, le taux d'armement est de 14,96 %, loin derrière les États-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde. En France, dans les cités, la plupart des armes saisies (en moyenne 8000 par an) proviennent des cambriolages même si les armes lourdes de type Kalachnikov sont issues des Balkans. La plupart des saisies de ces armes sont effectivement réalisées au sein des quartiers difficiles, expression euphémisée pour ne pas dire "coupe-gorge". Il existe une véritable économie parallèle dans ce domaine qui se fait essentiellement autour des armes déjà vendues à des particuliers. Selon une étude réalisée au début de l'année 2000 à la demande du ministère de l'Intérieur, 22,6 % des foyers français détiennent une arme à feu et 80 % des crimes et délits avec armes sont commis avec des fusils de chasse qui sont longtemps restés en vente libre. C'est ainsi qu'une grande partie de la délinquance s'exerce avec des armes telles que des pistolets à grenaille, des gommes-cogne (NDLR : armes qui envoient des projectiles en caoutchouc), des carabines et des pistolets 22 LR ou des fusils de chasse. Ce sont des armes faciles à acquérir et qui circulent beaucoup dans les cités. Dans certaines bandes, on observe d'ailleurs de plus en plus un phénomène qui consiste à laisser ces armes en libre-service dans un local ou une cave de la cité. Enfin, il faut savoir que les braquages ou les casses d'armureries ne sont pas très courants. Ce sont plus souvent des particuliers, amateurs ou collectionneurs d'armes, qui sont pris pour cible par les délinquants. Quant aux gros calibres ou aux armes de guerre, ils sont essentiellement utilisés par le milieu du grand banditisme qui, lui, s'approvisionne par exemple par des réseaux de l'Europe de l'Est. Des millions d'armes échappent donc aux décomptes officiels des autorités. Et, face à cette recrudescence de la violence, les mesures défendues par M. Jean-Luc Mélenchon en matière de sécurité publique visant à la suppression des brigades anti-criminalité (BAC) apparaissent purement et simplement surréalistes. J'observe que ce député de LFI propose davantage un désarmement policier qu'un désarmement des voyous, ce qui nous donne une idée de l'état d'esprit de ce personnage manifestement privé d'esprit.

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Les armes en question n’ont que peu été sorties pendant les émeutes ou très peu selon les constats des policiers. Pourquoi ? Que se serait-il passé si elles avaient été déployées ?

Bertrand Cavallier : Il y a eu - fait très nouveau par rapport aux émeutes de 2005 - une utilisation massive de ce qu'on appelle des mortiers d'artifices faisant partie de la 4ème catégorie des feux d’artifice. Ces engins pyrotechniques, utilisés en tir tendu, sont très dangereux et peuvent avoir un effet létal. Sont d’ailleurs à déplorer des dizaines de gendarmes et policiers blessés par ces armes par destination.

Il y a eu également quelques recours à des armes à feu, probablement des fusils de chasse, puisque notamment à Paris mais aussi à Vaulx-en-Velin, et à Lyon (en l’occurence, le tireur était équipé d’un fusil à pompe), des policiers ont été blessés par des projectiles de type plomb. A Nîmes, fait particulièrement grave, un policier ayant essuyé un tir à balle réelle (a priori du 9mm), a dû sa survie à son gilet pare-balles. Cependant, il est vrai que, d'après les rapports et les témoignages des gendarmes et policiers, il n'y a pas eu de présence visible généralisée de ces armes durant les émeutes.

Les raisons à ce recours très marginal des armes à feu mériteraient d’être bien cernées. Sans doute, une première explication tiendrait à une certaine conscience - mais jusqu’à quand ? - du risque à en user en de telles circonstances, notamment du fait du déploiement d’unités d’intervention (GIGN, Raid.)… Mais encore, assez probable, serait l’action « régulatrice » des tenants des trafics en tout genre, et notamment de drogue, lesquels craignant l’intervention d’une puissance publique perçue encore comme pouvant intervenir massivement, et en profiter pour démanteler leurs systèmes économiques.

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Si les émeutiers avaient été dotés d’armes de guerre, la situation aurait été évidemment d’une toute autre complexité, alors même que la récente crise a révélé des limites d’action des forces de l’ordre. En effet, s’agissant de l’engagement des forces de sécurité intérieure, des choix ont dû être faits, pour concentrer les gendarmes et policiers sur des sites, des bâtiments… jugés prioritaires. Ils n’ont donc pas pu intervenir, du moins rapidement, dans certaines zones. Ainsi nombre de commerces ont été pillés et saccagés. Mais également, comme le rapportent des élus, des mairies ont été laissées sans protection, ou défendues par les seuls policiers municipaux. C’est un contexte dont il faut rappeler qu’il a été marqué par des dizaines d’attaques contre des commissariats, des casernes de gendarmerie, et même par une tentative d’infiltration dans un établissement pénitentiaire. Par ailleurs, a été constatée - fait très significatif -, l’émergence de groupes d’auto-défense. Face à des émeutiers armés, dont les capacités d’action seraient ainsi d’une toute autre dimension, des individus pourraient se structurer pour protéger leurs familles et leurs biens.

Votre question soulève donc une préoccupation majeure. En effet, que se passera-t-il si la situation continue à se dégrader dans des zones dites de non droit, marquées par une sécession culturelle de plus en plus rude, au sein desquelles l’usage des armes de guerre se banalise ? Que se passera-t-il alors même qu’une partie de la jeunesse qui y vit est imprégnée d’un syndrome de violence à la « sud-américaine », mais d’autant plus dangereux qu’il est dopé par des ressorts « idéologiques » de plus en plus toniques ? Que se passera-t-il alors que, selon le phénomène d’ « archipélisation » mis en avant par Jérôme Fourquet, ces foyers de déstabilisation sociale et sociétale se multiplient, y compris dans le cœur des territoires, dans des cités comme à Cholet, commune dans laquelle, pourtant, tout avait été fait pour faciliter une bonne intégration, et la préservation de la concorde.

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 Ce serait un scénario extrêmement critique. 

Gérald Pandelon : Au quotidien, les policiers craignent de faire usage de leurs armes, même en état de légitime défense. Ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment soutenus par leur hiérarchie qui systématiquement saisi l'IGPN de faits pouvant donner lieu à des explications. Il existe donc un hiatus entre l'explosion des violences et des incivilités et le contrôle très strict dont font l'objet les forces de l'ordre pour garantir la sécurité des citoyens et l'ordre public. Autrement dit, il existe une inégalité de traitement dans ces situations. En clair, un voyou qui tire sur un policier s'en sort judiciairement mieux, toutes choses égales par ailleurs, qu'un fonctionnaire de police qui aura fait usage de son arme pour protéger une population et éviter un bain de sang. En pareilles circonstances, cet agent sera quasi systématiquement poursuivi pour homicide volontaire et suspendu, avant même de connaître le sort judiciaire qui lui sera ultérieurement réservé. C'est sans ironie ce que l'on appelle la présomption d'innocence ! Placé dans des situations identiques, c'est peu dire que de constater une relative clémence au bénéfice des délinquants et une absence d'indulgence au préjudice des policiers.

Est-ce un scénario qui est envisagé et réfléchi par les autorités ?

Bertrand Cavallier : Sans doute, ce terme « d’autorités » correspond aux personnes qui détiennent le pouvoir d’orienter, d’influencer, de préparer et de décider, à différents niveaux l’avenir de la collectivité, en l’occurence nationale. Ce sont au premier chef, donc les acteurs politiques, mais il faudrait y associer leur environnement technocratique, soit la haute administration. La dernière interview de Georges Bensoussan dans le Figaro[1], en date 4 juillet dernier, est très éclairante sur l’état du déni, et les raisons de celui-ci s’agissant de la réalité explosive de notre pays.

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Nous étions pourtant, à des niveaux certes moins élevés, en charge de commandements opérationnels, quelques-uns à agir comme lanceurs d’alerte sur une réalité qui sautait aux yeux, s’agissant de facteurs lourds d’affrontements. Ainsi, commandant d’un groupement de gendarmerie mobile, j’adressai, le 15 novembre 1995, une fiche au directeur général de la gendarmerie nationale (et donc à son environnement immédiat) dont je vous livre un extrait : «… premièrement et à titre principal, la maintien de l’ordre en métropole, dans son concept le plus extensif (politique de la ville, sécurisation…) et dans ses mutations profondes : les manifestions se concrétisent de façon croissante par leur dérégulation, l’usage grandissant de la violence physique, la sur-mobilité des adversaires; dans cette perspective, les révoltes des banlieues constituent évidemment le phénomène peut-être le plus préoccupant compte tenu de leur ampleur (géographique, démographique…) et de la complexité du dysfonctionnement social et culturel qu’elles révèlent… ».

En 2006, dans un article co-écrit avec l’universitaire Anne Mandeville paru dans la revue Inflexions de l’armée de terre[2], et alors que je commandais le CNEFG (Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie, à Saint-Astier), nous écrivions : «  Le contexte socio-politique peut être caractérisé par une augmentation considérable de la conflictualité interne aux États, dont l'ancienneté des origines et du développement ne doit pas cacher la spécificité des manifestations contemporaines. Ces tensions témoignent du développement dun processus de fragmentation continu et profond, pudiquement recouvert par le voile de l'expression volontariste de « société multiculturelle »il s'agit dune division en groupes qui peuvent se révéler profondément et violemment antagonistes (…). En termes de sécurité et de respect de l’égalité des droits, lunification si chèrement acquise risque de se déliter en autant de mouvances, fiefs ou autres zones de non-droit. Cette montée en puissance en Europe de la légitimité du communautarisme nest pas sans lien avec la multiplication des flux transnationaux de toutes sortes, dont l'impact sur laction de police est fondamental ». 

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Quels scénarios pourraient mener à une mobilisation coordonnée de ces armes ? Qui pourrait être à la manœuvre ? Criminels ? Cartels ? Pour quels motifs ? Une révolte ? Des revendications politiques ?

Bertrand Cavallier : Il suffit d'une étincelle pour qu'une crise éclate. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un contexte très complexe qui cumule frustrations et logiques de refus de notre société. Il existe des dynamiques de contre-société. Il faut reprendre les facteurs qui expliquent ce qui s'est passé : une combinaison encore plus complexe et potentiellement plus dure pourrait conduire à des situations plus radicales. La situation actuelle est marquée par des zones de moins en moins contrôlées, où l’on observe la présence de groupes équipés d'armes de guerre, la présence de gangs et de micro-cartels qui pourraient prendre de l'ampleur. Heureusement, ces groupes sont encore limités. De plus, il existe des tensions idéologiques qui pourraient soutenir des modes d'actions armées. Les conditions pré-requises sont réunies.

Gérald Pandelon : J'avais rédigé au mois de juin 2020 un ouvrage intitulé : "La France des caïds" (Editions Max Milo). Il s'agissait davantage d'une enquête sociologique que d'une vision d'un avocat pénaliste. La plupart des délinquants que j'avais pu sonder m'ont unanimement indiqués que non seulement ils ne craignaient pas un affrontement armé avec les forces de l'ordre mais l'appelait même de leurs voeux. Et ils rajoutaient que sans aucun doute possible, ils sortiraient vainqueurs de cet affrontement. Quand je pense que certains criminologues, peu connaisseurs du terrain, continuent à nous expliquer qu'aucun risque de guerre civile n'est à prévoir, je crains que ces spécialistes n'entendent rien à la gravité de la situation. Je crois qu'on se rapproche davantage de la vérité lorsqu'on se confronte au réel que lorsque l'on se cantonne à l'expliquer en sirotant un café à la Brasserie Lipp ou des "2 Magots"... 

Les dealers auraient contribué à limiter l’embrasement cette fois, en refusant de fournir des armes notamment. Cela pourrait-il changer à l’avenir ?

Bertrand Cavallier : Il faut se pencher sur cette économie parallèle. Pendant de nombreuses années on a considéré cela, de manière plus ou moins consciente, mais pouvant participer d’un certain cynisme, comme une fatalité qui avait le mérite de stabiliser des banlieues. C'était évidemment un mauvais calcul. Certes, les trafics n'ont aucun intérêt aux troubles. Sauf qu'ils n'ont pas de consistance idéologique. Et de plus, on le voit bien à Marseille, personne n'a pu réguler les actions très violentes qui ont eu lieu ces derniers jours. L'idée selon laquelle les trafiquants peuvent maintenir l’équilibre dans ces quartiers me semble de moins en moins crédible.

En ce qui concerne les gangs et le trafic de drogue, cela pose plusieurs problèmes et a plusieurs conséquences. Une partie de la jeunesse française est très affectée. Qui n’a pas parmi ses proches l’exemple d’un adolescent, d’une adolescente frappée durement par l’addiction ? L’addition de ces drames individuels constitue un péril collectif pour notre nation qui neutralise une partie de sa vitalité. En comparaison de ce qui a été démontré contre la Covid, nous n'avons pas vraiment déclaré la guerre contre le trafic de drogue ! De plus, ces cartels sont en plein développement et disposent de capacités financières considérables, capables de déstabiliser des États. Il est nécessaire d'adopter une approche plus globale pour faire face cette nouvelle menace en pleine mutation.

« Je ne crois pas à l’insurrection, car personne ne dirige ni ne coordonne ce mouvement. Si tel était le cas, la République s’effondrerait car nous n’aurions pas les forces suffisantes pour nous opposer à quelques centaines de milliers d’individus déterminés. » a déclaré le préfet Michel Aubouin. Partagez-vous ce constat ?

Bertrand Cavallier : Ce qui s'est passé procède déjà dun phénomène insurrectionnel. Si l'on pose la question aux centaines de commerçants, aux personnes qui se sont retrouvées isolées et menacées, dont les biens ont été pillés, aux maires qui ont été confrontés à une situation difficile, etc… ils vous le diront. Par ailleurs, des attaques sont de plus en plus fréquentes contre les policiers, même lors de leurs trajets de travail ou près de leur domicile. C'est un signal d'alerte qui ne peut être pris à la légère.

Il est important de souligner que cette crise ne peut être dissociée des idées évoquées par Michel Onfray, notamment celle d'une guerre civile larvée, donc en gestation. Constat très parlant, il devient extrêmement difficile d'évoquer certains sujets sans craindre des réactions hostiles. Les exemples des obstacles rencontrés et de la tétanisation de certaines élites dans la capacité à assumer le devoir de mémoire de martyrs de la République, tels que Samuel Paty et Arnaud Beltrame, sont des indicateurs objectifs d’une potentielle confrontation d’envergure.

L’histoire est tragique, rappelait Raymond Aron. Et notre histoire est prodigue d’individualités dont les parcours brillants ne les ont pas prédisposés à une grande lucidité. Sans évoquer « la légèreté de l’être » que l’on peut constater chez des sujets de tout niveau, l’observation sociologique des élites par un Marc Bloch, si bien analysée dans « L’étrange défaite » est d’une frappante actualité.

Et en évoquant Marc Bloch, j’ajouterai que parmi les composantes de notre chère nation, l’une d’elles de par les souffrances endurées est d’une plus grande vigilance. Or, elle doit quitter certains territoires. Or, elle s’interroge à moyen terme sur sa présence durable en France.

Sauf à agir vite, fortement et de façon globale, comme je l’ai maintes fois expliqué dans les colonnes de ce média, le scénario d’une insurrection armée de grande ampleur n’est pas à exclure. Nous n'avons plus que quelques années pour redresser la situation. Et tout est encore possible car, au-delà des origines, la majorité de la population attend cela.

Si des émeutiers décidaient d’agir dans une perspective d’insurrection. Que serions-nous capables de faire pour y répondre ? Que nous permet le droit ? Avons-nous les ressources pour répondre ?

Bertrand Cavallier : Les préalables sont la lucidité, la volonté, et la combativité adossée à une densité idéologique, soit une certaine idée de la France, soit les ressources morales, voire spirituelles. A tout niveau.Les régimes juridiques existants ne constituent pas une entrave à l’action de force si elle devait s’imposer. En revanche, ceux qui entravent le redressement encore possible, doivent être évidemment modifiés en conséquence.

Les capacités opérationnelles existent et ont pour partie évolué pour s’adapter au nouveau contexte sécuritaire. Je pense notamment à la gendarmerie (montée en puissance de la gendarmerie mobile et de la réserve, qu’il convient toutefois de plus fidéliser), développement du GIGN, dotations en véhicules d’intervention polyvalents de la gendarmerie (les centaures récemment déployés), professionnalisation des PSIG (pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie)… mais également à la police (développement du RAID, créations des CRS 8….). Les armées peuvent avoir un rôle - tout à fait cadré d’un point de vue légal et qui doit être planifié - dans un tel scénario, mais elles constituent l’ultima ratio.

Mais ce qui fera la différence, ce sera la robustesse du maillage territorial, avec ses brigades immergées dans la population, soit la capacité d’agir très vite en tout lieu, en lien étroit avec l’ensemble des acteurs. Dans un contexte de grand désordre, ce sera dans un cadre déconcentré, au niveau maximum des départements, soit pour la gendarmerie le niveau des groupements, et des points d’appuis tactiques que constituent les compagnies de gendarmerie départementales, que la manoeuvre sera conduite. Là, plus que jamais, ce seront les chefs qui feront la différence.

Mais restons optimistes. C’est ce même maillage territorial, au-delà de sa composante sécuritaire, car comprenant l’ensemble des composantes de la société civile - élus, magistrats, professeurs, éducateurs, chefs d’entreprises, membres d’association…-, qui peut encore permettre d’éviter un scénario tragique. Les forces vives sont là. Le local, la proximité sont déterminés pour cela. Des maires récemment éprouvés comme celui de L’Hay-les-Roses, Vincent Jeanbrun, en témoignent. Encore faudrait-il que le niveau politique central ose, enfin, prendre les mesures fortes et structurelles que le bon sens premier appelle. 

Gérald Pandelon : Comme indiqué dans votre précédente question, nous serions effectivement dépassés. En effet, d'un côté, vous avez affaire à des fonctionnaires de police qui doivent respecter scrupuleusement les textes lorsqu'ils font usage de leurs armes, de l'autre, à des criminels aux cahiers judiciaires surchargés qui leur font face armés de 357 Magnum, Kalachnikov et 9 mm. Autrement dit, le droit face à la force, les droits de l’homme face aux seuls droits de Dieu, le respect de la légitime défense face à ceux qui estiment l'agression armée comme légitime. Il existe donc un découplage entre deux visions, deux perceptions. En réalité, seule l'intervention de l'armée pourrait aider les policiers dans cet affrontement qui s'annonce, mais nos gouvernants, bien entendu, répètent comme des perroquets écervelés qu'il ne s'agit pas des missions dévolues à une armée. En d'autres termes, ils demeurent dans l'idéologie alors que la République brûle... 

L’Etat a-t-il dangereusement perdu le monopole effectif de la violence en France ? 

Gérald Pandelon : Il va définitivement le perdre s'il ne modifie pas en profondeur son modèle ou paradigme concernant la sécurité. Il faudrait permettre à un policier de pouvoir être soutenu systématiquement par sa hiérarchie lors d'affrontements armés avec des délinquants professionnels qui veulent tuer. Or, à l'épreuve des faits, ce n'est pas le cas, ou très rarement. Autrement dit, les policiers ont aujourd'hui deux craintes, la première, celle de se faire agresser par des voyous qui ne sont limités par aucune morale, la seconde, de faire un usage même proportionné de leurs armes car ils savent qu'à tout moment ils risquent la révocation après saisine de l’IGPN. Au fond, les policiers n'ont qu'un seul droit qui leur est légitime, se faire assassiner dans le silence de nos censeurs et gouvernants. D'ailleurs, a-t-on déjà constaté des émeutes lorsque des policiers se faisaient sauvagement agresser ? Non. A-t-on assisté à des manifestations contre les violences lorsque des personnes comme Samuel Paty se sont faites décapiter ? Non, jamais. Seuls les fonctionnaires de police ont le droit en définitive de s'exposer dans le silence.


[1] Georges Bensoussan: «Le déni nourri par le gauchisme culturel” est largement responsable de la situation» ParAlexandre DevecchioPublié le 02/07/2023 mis à jour le 04/07/2023

[2]La renaissance du système militaire comme acteur essentiel de la fonction de police globale contemporaine

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