Argentine, Turquie, Grèce, Italie : quand la souveraineté politique dépend de la souveraineté budgétaire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Argentine, Turquie, Grèce, Italie : quand la souveraineté politique dépend de la souveraineté budgétaire
©LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Atlantico Business

Les exemples se multiplient dans le monde des pays qui perdent leur indépendance politique parce qu‘ils n’ont pas protégé leur souveraineté budgétaire. C’est une leçon pour tous les partenaires de l’Union européenne.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

C’est du bon sens tellement basic qu’on ne comprend pas que des responsables politiques puissent continuer de nier cette réalité : un Etat comme une commune, une entreprise ou une famille ne peut pas vivre très longtemps en dépensant plus qu’elle ne gagne. Ça va un temps, on emprunte aux amis, aux voisins ou à la famille, on emprunte aux banques, aux Etats, aux peuples, mais dans chaque cas de figure, pour emprunter à qui que ce soit il faut présenter des garanties de solvabilité et des engagements de revenir à l’équilibre. Accessoirement, on peut trouver des garants qui cautionnent les opérations mais il arrive un moment où l’emprunteur qui ne rembourse pas a rendez vous avec la réalité. Ce jour là, il perd le contrôle de son destin. Les exemples récents sont nombreux :

1er exemple le plus récent, l’Argentine. L’Argentine vient de rejoindre le club des pays en état de cessation de paiement. Parce que les gouvernements ont trop dépensé et parce que le peuple argentin ne veut pas payer l’addition,  donc les capitaux privés fuient à l’étranger. Donc la monnaie s’effondre, le prix des actifs aussi et les entreprises s’arrêtent faute de trésorerie et de commande. Comme toujours, les riches s’en sortent et les pauvres se révoltent ou s’éteignent. La banque centrale a décidé la semaine dernière de relever les taux d’intérêt de 45% à 60% pour rassurer les épargnants et le ministre des finances est parti à Washington pour demander l’accélération du versement d’un plan d’aide de 50 milliards de dollars auprès du FMI. Lequel FMI va imposer un plan d’austérité pour rassurer de son côté ses financiers. Le plan d’austérité impose, organise une réduction drastique des dépenses de l’Etat, une réduction des frais de gouvernement (moins de ministres ) et un certain nombre de réformes de structure pour donner au système économique plus de flexibilité et par conséquent attirer les investisseurs. Dans tous les cas de figure, le gouvernement argentin qui s’est lié les mains a dû renier une partie de ses promesses et de ses engagements. Le pouvoir politique a dû se coucher devant les nécessités de la vie quotidienne et la réalité des marchés. 
2e exemple, le plus explosif, la Turquie. La Turquie, qui, faute d’une gestion cohérente, faute d’un consensus social (et religieux ) s’est transformée en Etat autoritaire pour assurer l’ordre, s’est ruinée en dépenses militaires, en dépenses de prestations sociales de survie, et en ne faisant rien pour rassurer les investisseurs. L’économie principalement pétrolière est en voie d’extinction. La Turquie doit quémander l’aide des pays du Golfe (le Qatar) et surtout de l’Allemagne qui va autoriser des investissements dans la limite où l’opinion publique allemande, très énervée par la question des migrants, l’acceptera.  Le résultat de cette situation est que la Turquie, immense pays avec une démographie galopante, est en train de perdre sa souveraineté au profit de ses banquiers. 
3e exemple, le plus spectaculaire, la Grèce. En cinq ans, la Grèce est passée d’un bain parfumé à l’utopie à la cure d’austérité, contrainte et forcée. Inutile de revenir sur l’état de ce petit pays béni des dieux mais pillé par les riches pendant deux générations. Une classe politique au rabais a fait croire à sa population que tous les malheurs de la Grèce étaient le fait des européens, de Bruxelles et qu’il fallait sans doute sortir de ce piège géré par les pays de l’Europe du nord à leur seul profit. C’était le discours de Alexis Tsipras qui a été élu sur un programme radicalement identitaire mais qui s’est retrouvé sans l’argent nécessaire pour payer ses fonctionnaires et ses retraités. Les banques ont fui et les institutions financières internationales ont rappelé les conditions nécessaires au financement. Alexis Tsipras a eu le courage politique de conduire un virage à 180° par rapport à ce qu’il avait promis. Il a sans doute perdu quelques uns de ses amis, mais en respectant les marchés pour que son peuple ne finisse pas complètement asphyxié, il a réussi à remettre la Grèce qui chancelait sur pied ou presque. Rien ne va très bien en Grèce aujourd’hui, mais le pays est resté debout, il a réussi sa saison touristique, la première depuis 5 ans, il a regagné la confiance des institutions internationale et des investisseurs. Le champ de ruine qu‘était devenu la Grèce est en cours de reconstruction. 
4e exemple, la Grande Bretagne. Le Brexit est sans doute la plus grave décision politique prise par les Anglais depuis la fin de la guerre. Même Churchill n’aurait jamais osé couper les ponts. Personne ne sait comment la Grande Bretagne va évoluer. C’est un peu le chaos aujourd’hui entre ceux qui défendent l’idée d’un Brexit dur et pur et ceux qui ne voudraient qu’un Brexit soft ou pas de Brexit du tout.  
La Grande Bretagne n’est ni l’Argentine, ni la Turquie, elle peut s’en sortir seule. Elle est riche et puissante mais il lui faudra remplacer la richesse crée par les échanges européens par d’autres flux qu‘elle ne trouvera pas facilement. Sauf à devenir un paradis fiscal pour grandes entreprises ou institutions financières, un paradis fiscal pas trop regardant sur l’origine des fonds. Un peu comme les Bahamas pour les Etats-Unis ou alors Singapour pour l’Asie. 
La Grande Bretagne peut céder à cette tentation parce qu’elle a beaucoup de bouches à nourrir. Mais elle peut s’engager dans cette voie tant que les autres pays n’en souffriront pas trop. Elle peut aussi accepter massivement de recycler des capitaux du Golfe, ce qu‘elle fait déjà.  
Mais dans tous les cas de figure à cause des quelques liens qu’elle va devoir tisser, elle sera soumise à des pouvoirs politiques de ceux qui lui apporteront de l’argent. Les partisans du Brexit, Johnson en tête, auront promis à leurs électeurs de s’affranchir du vieux continent, mais ils seront obligés d’en référer à leurs créanciers. On n’échappe pas à ceux qui apportent l’argent dont on a besoin. 
5ème exemple, le plus dangereux pour l’Europe : l’Italie, gouvernée par un curieux attelage formé de l’extrême droite et de l’extrême gauche, se retrouve embarquée dans une galère dangereuse avec des baisses d’impôts massives d’un côté, des hausses de dépenses publiques gigantesques, dépenses sociales de fonctionnement et dépenses d’investissements pour renouveler et accroitre les équipements publics et les infrastructures. Pour promettre de construire et de distribuer, les responsables politique n’ont manqué d’aucune imagination mais pour financer le tout, ils comptent sur l’épargne des italiens, les crédits européens, les fonds institutionnels et les fonds d’investissements privés. Besoins de financement : plus de 400 milliards d’euros. Deux fois les besoins de la France.  Pour l’Europe, l’euro, les banques, cette perspective est intenable. Pour les épargnants italiens qui détiennent déjà 60% de la dette, c’est également inacceptable. La grande idée des gouvernants italiens est de demander des financements extérieurs à la Chine qui a fait des offres de service et aux Etats Unis où Donald Trump s’est proposé de mettre la main à la poche. Enfin, il a fait un tweet dans ce sens.  
Ce qui est affligeant dans une telle aventure, c’est que le peuple italien a voté pour des gens qui leur ont promis de récupérer la souveraineté politique ratée par Bruxelles selon eux. Ok, mais faute de respecter les contraintes d’équilibre financiers et d’avoir restauré la souveraineté budgétaire, ils prennent le risque de s’inféoder aux Etat-Unis ou à la Chine. Peut-être même aux deux. Le cas italien est évidemment le plus dangereux parce que l’Italie est membre fondateur de l’Union européenne et troisième puissance de l’Europe. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !