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Arabie saoudite : ce que révèle la réapparition du prince héritier MBS aux côtés de Poutine pour l’ouverture de la Coupe du monde 2018
©Bryan R. Smith / AFP

Duo de choc

La présence remarquée de Mohammed ben Salman aux côtés du président russe vient confirmer une inflexion géopolitique et permet également de transmettre plusieurs messages.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Le coup d’envoi de la coupe du monde en Russie a été l’occasion, pour Mohammed ben Salman, de faire sa première apparition publique depuis près de deux mois, et ce malgré les inquiétudes qui entouraient son état de santé. Comment interpréter cette apparition publique aux côtés de Vladimir Poutine?

Roland Lombardi : Comme les Jeux Olympiques, la Coupe du Monde de football a toujours été un évènement politique. Hier soir, en l’occurrence, le lancement de celle-ci à Moscou, avec le match d’ouverture, où la Sbornaya (l’équipe nationale russe) affrontait les Faucons (l’équipe saoudienne), peut en être, une nouvelle fois, l’illustration.

Les relations entre la Russie et le royaume saoudien ont toujours été compliquées. Adversaires géostratégiques au Moyen-Orient depuis des décennies, Riyad a toutefois dû revoir son antagonisme historique avec Moscou. Affaiblis économiquement et politiquement, puis face à leurs fiascos dans la région et surtout, au rôle de plus en plus incontournable de la Russie (notamment en Syrie), les Saoudiens ont été forcés d’aller à Canossa. J’avais même prédit ce processus dès décembre 2015[1]. Depuis lors, les relations entre les deux pays se sont grandement réchauffées. Le roi Salmane, le père de Mohammed ben Salmane (MBS), s’est rendu en Russie (visite historique) à l’automne 2017. Moscou et Riyad se sont également mis d’accord sur les cours du pétrole pour les faire remonter et enfin, en Syrie, les Saoudiens aident dorénavant les Russes à trouver une solution politique, tout en ayant accepté le maintien d’Assad au pouvoir.

Ainsi, la présence remarquée de MBS aux côtés de Poutine hier soir, dans la tribune présidentielle, vient confirmer cette inflexion géopolitique. Mais elle permet également de transmettre des messages. Pour MBS, les messages sont multiples. D’abord, il assure à la planète qu’il est toujours vivant et en bonne santé (suite à la rumeur que nous évoquerons plus loin). A ses opposants internes comme externes, en s’affichant avec le Tsar russe, il signifie qu’il n’est pas exclusivement le « jouet » de Washington et qu’en cas de besoin (comme Assad, qui sait ?), il pourrait éventuellement compter (comme le régime de Damas) sur le soutien, la fidélité et surtout la puissance russe.

Pour Poutine, outre déjà le fait qu’il a réussi à accueillir l’organisation d’un des plus grands évènements sportifs et médiatiques de la planète, il démontre encore une fois que, lui, parle à tout le monde et qu’il n’est pas aussi isolé que certains l’affirment. Mais le maître du Kremlin adresse peut-être aussi un message à ses « alliés » iraniens (dont la trop grande influence au Moyen-orient et en Asie centrale le gêne plus qu’on ne le pense). Ceci, peut donc, en définitive, corroborer le réajustement récent de son partenariat avec l’Iran, que j’évoquais récemment dans vos colonnes[2].

Faut-il cependant considérer que cette apparition à Moscou plutôt qu’à Riyad sème le doute quant à la sécurité du prince dans son propre pays? Quelles sont les menaces qui peuvent exister ?

Oui et non. Comme vous le dites, cette première grande réapparition publique, à Moscou plutôt qu’à Riyad, peut effectivement soulever des doutes sur la sécurité du prince sur son propre sol. Mais, au contraire, et je pense que c’est le cas ici, cela peut aussi signifier que la situation est revenue à la normale et que MBS peut à présent se déplacer à l’étranger sans craindre un quelconque coup de palais en son absence. L’histoire nous apprend que nombre de coups d’Etat se sont souvent produits lorsque le chef était justement à l’étranger.

D’ailleurs, durant l’automne 2017, lorsque courrait déjà une autre rumeur de coup de force en Arabie saoudite, le prince héritier n’avait plus quitté le territoire pendant plusieurs semaines…

Quoi qu’il en soit, nous ne savons toujours pas encore précisément ce qui s’est vraiment passé (l’attaque du palais royal à Riyad) dans la nuit du 5 Shaban 1439, soit le 21-22 avril 2018, et pourquoi le prince s’est fait très discret durant près de deux mois. On a beaucoup spéculé sur ces évènements. Et même pour les plus initiés d’entre nous, il a été très difficile de connaître le fin mot de l’histoire. En attendant, comme je l’expliquais déjà dans un article en juin 2016, où j’annonçais des risques de coups de force en Arabie saoudite (et en Turquie d’ailleurs, ce qui se produisit quelques semaines plus tard en juillet 2016), j’écrivais ceci : « (…) on peut faire confiance à la fermeté et à la férocité du roi, de son fils, Mohammed ben Salman (…). Certes, comme Erdogan d’ailleurs, ils ne sont pas le genre d’hommes à vaciller à la première émeute ou face à une quelconque tentative de coup d’Etat »[3]. Ainsi, il faut bien comprendre, qu’on ne bouscule pas la famille royale impunément. A ses risques et périls, chose inédite dans l’histoire du royaume, MBS s’est attaqué violemment (mais avec un certain courage) aux princes les plus puissants et les plus riches (parfois même appartenant à son propre clan) de l’establishment saoudien. Même si le jeune prince est protégé par les Etats-Unis (et donc la CIA), depuis le renouvellement de la protection américaine avec la nouvelle administration Trump (en échange de l’arrêt du soutien saoudien au salafisme djihadiste), les risques pour sa vie restent grands. Sa garde prétorienne serait composée de mercenaires géorgiens et colombiens (peut-être même d’origine israélienne lorsqu’on connaît la forte présence d’anciens officiers de Tsahal dans les forces spéciales sud-américaines…). Quoi qu'il en soit, comme César, le prince Mohammed reste cerné d'ennemis[4]. Alors, face à ce risque quotidien et après l’expérience du 21 avril dernier, comment peut réagir le futur roi-dictateur ? Soit, il mettra un bémol quant à ses réformes sur le plan religieux (ce qui est peu probable avec la pression américaine et russe). Soit, les purges sanglantes vont s’éterniser. Scénario beaucoup plus envisageable à mon sens…    

Quelles ont pu être les conséquences des différentes rumeurs sur l’état de santé de Mohammed ben Salman sur le Royaume et la région?

Une grande inquiétude. Car si le président égyptien Sissi connaissait le même sort que Sadate et que MBS finissait comme le roi Fayçal, assassiné par un neveu en 1975, tous ceux qui veulent réellement combattre l’islam politique (Trump, les généraux du Pentagone et les Russes), perdraient deux cartes maîtresses. Enfin, s’il arrivait malheur au prince héritier (ce qui est toujours possible), et même si les Américains sortaient alors en urgence de son exil intérieur, le prince Mohammed ben Nayef Al Saoud (57 ans et propre cousin du jeune prince), l’ancien homme fort du régime, il est plus que certain que le royaume exploserait et que nous assisterions alors à la première « Guerre d’Arabie ». Je vous laisse imaginer les conséquences géopolitiques catastrophiques pour la région… 

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