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Aquarius, Budget 2019 et affaire Benalla : ces causes politiques qui expliquent le décrochage des sympathisants LR d’Emmanuel Macron et qui fragilisent sérieusement l’idée d’un accord entre modérés en vue des européennes
©PHILIPPE WOJAZER / AFP / POOL

Décrochage

Fin juillet, la côte de popularité du président de la République chutait de 8 points, passant de 47 à 39 points en un mois.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Selon les derniers sondages datant de la fin du mois de juillet, la côte de popularité d'Emmanuel Macron auprès de l'électorat LR chutait de 8 points sur un mois, passant de 47 à 39 points, soit un seuil proche des 37% enregistré au mois d'août 2017 par le président auprès de cet électorat. Cette baisse de popularité chez les LR ne s'est pas accompagnée d'une baisse comparable auprès des électeurs de plus de 65 ans, pourtant souvent considérés comme le noyau dur des sympathisants LR. (+ 3 points , de 38 à 41%). Parallèlement, Emmanuel Macron chute fortement auprès des artisans, commerçants et chefs d'entreprises. Que peut-on en conclure sur les causes de la baisse d'Emmanuel Macron chez les sympathisants LR ?

Jérôme Fourquet : Lorsque l'on met en regard les évolutions parmi la population des sympathisants LR d'une part et d'autres catégories - elles sociologiques - qui sont réputées proches de la droite; on voit effectivement des résultats divergents. On a donc bien des causes politiques au décrochage observé dans l'électorat LR. Ces causes, ils faut en trouver l'origine et pour ce faire, il est possible de travailler chronologiquement puisque le baromètre IFOP est réalisé sur une plage de deux semaines. Ainsi, nous avons pu créer le distinguo entre les résultats de la première semaine, avant l'affaire Benalla, et ceux de la 2e semaine, pendant l'affaire elle-même.

Cette analyse nous indique que l'essentiel de la baisse était déjà perceptible avant le déclenchement de l'affaire Benalla, auprès des sympathisants LR. La baisse est donc sans doute liée à ce qu'il s'est passé avant, d'une part autour de la gestion de la crise migratoire dans le cadre de l'affaire de l'Aquarius – qui a donné lieu à une prise de parole assez alambiquée de la part du président de la République (entre un refus ferme d'accueillir le bateau dans un port français et "en même temps"  l'accueil d'une partie des rescapés en France). Cette attitude contrastée s'est également accompagnée d'une charge virulente à l'encontre de nos partenaires européens qui sont les plus opposés à l'accueil des migrants.

Dans le même mouvement, on critique l'égoïsme et l'attitude inacceptable du gouvernement italien qui refusait l'accueil de l'Aquarius alors que la France d'Emmanuel Macron faisait exactement de même en déroutant le navire en Espagne, avant de dire que nous accueillerons une partie de ces migrants. Sur ce sujet qui est éminemment sensible pour l'électeur de droite, la position illisible d'Emmanuel Macron a provoqué un certain trouble qui est sans doute à l'origine du décrochage que l'on a observé. On peut ajouter un autre effet sur un autre terrain, qui est économique et social. Au mois de juin, nous sortions de la séquence SNCF, pendant laquelle l'électorat de droite apportait un soutien sans faille à Emmanuel Macron dans son opposition à la CGT cheminots. La fin de cette séquence a fait perdre de la vigueur au soutien à Emmanuel Macron chez les LR.

Cependant, l'affaire Benalla a quand même laissé des traces dans l'électorat de droite dans la mesure ou elle met à mal à la fois le discours sur la république exemplaire et sur la distinction entre le nouveau monde politique qui serait incarné par Emmanuel Macron et un ancien monde fait des forces politiques traditionnelles. Par contre, l'indignation relative à ce qui a été apparenté à des violences policières n'a sans doute pas – ou très peu – fonctionné à droite. (notamment suite à la publication de vidéos montrant le couple de manifestants jeter des cendriers ou des bouteilles sur les forces de l'ordre). Le fait que des militants insoumis, ou de la gauche de la gauche, en marge des manifestations du 1er mai, s'en étant pris aux forces de police, soient rudoyés ou molestés n'émeut pas, sans doute, outre mesure l'électeur de droite bon teint. L'essentiel de la baisse est donc bien à rechercher ailleurs.

Peut-on d'ores déjà parler d'une fin de lune de miel entre les sympathisants LR et Emmanuel Macron ? Du silence estival constaté sur la nouvelle affaire de l'Aquarius, aux faibles réactions quant aux résultats décevants de ces dernières semaines sur les questions économiques, quelles sont les "erreurs" à ne pas commettre par le gouvernement pour ne pas rompre une fois pour toute avec cet électorat ? 

Il faut être prudent avec les termes. On était déjà plus depuis un moment dans la lune de miel, cela étant, au lendemain de l'affaire Benalla, on a encore près de 4 sympathisants LR sur 10 qui se disent satisfaits d'Emmanuel Macron. On peut voir la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide, mais cela est quand même un socle qui n'est pas négligeable. En ce sens, on a là l'illustration de la persistance du big bang politique provoqué par l'élection d'Emmanuel Macron.

À ce stade du quinquennat, pour les deux précédents, on était sur un schéma très binaire qui voulait que les électeurs de l'opposition étaient ultra majoritairement -à plus de 90% - dans le camp des insatisfaits du président en place. Le matelas de 40% est donc loin d'être négligeable. Macron maintient ainsi un niveau de soutien très élevé dans son électorat de premier tour mais aussi un niveau de soutien de l'ordre de 30-40% dans l'électorat PS et chez les LR. L'objectif des stratèges d'Emmanuel Macron était de braconner sur les terres de la droite, avec 37-40% l'opération n'est pas un échec mais elle est plus compliquée qu'elle ne l'était il y a quelques mois, notamment dans la perspective des européennes et des municipales.

Pour maintenir ou accroître cette audience de 40%, il y a des sujets à aborder de manière attentive. D'abord la question migratoire puisque le même navire, l'Aquarius, est de nouveau en errance en méditerranée et que lui ou d'autres viendront dans les semaines à venir reposer la question lancinante de l'accueil des migrants. Emmanuel Macron devra se positionner de façon plus lisible sur ce sujet pour l'électeur de droite. L'autre échéance est celle du vote du Budget avec une conjoncture économique qui est moins favorable qu'elle ne l'a été, et qui rend plus compliquée l'action de réduction des dépenses. Or, cette question des déficits publics est tout à fait importante pour ces électeurs. Emmanuel Macron était parvenu à occuper l'actualité en 2017 sur les thèmes de l'ISF et de la réforme du code du travail, mais sans réaliser d'efforts sur cette question des dépenses publiques. Mais cela était suffisant pour que l'électeur de droite considère qu'il en avait pour son argent.

Mais avec la pression de nos partenaires européens et des gens comme Eric Woerth qui sont déjà en train de monter au créneau et qui attendent Emmanuel Macron au tournant sur cette question du budget et des dépenses publiques - en disant qu'il faut débusquer le faux réformiste - il faudra se positionner. De ce point de vue-là, dans la rhétorique des leaders de droite, Emmanuel Macron s'inscrit dans la digne succession de son mentor François Hollande. Cette thématique était jusqu'à présent inaudible et invendable à l'électeur de droite. Maintenant, la météo a changé et ce discours là peut-être audible et entendu par une partie des électeurs de droite à partir de la rentrée.

Quels sont les risques d'une telle rupture, si celle-ci venait à se confirmer, pour le président ?

Encore une fois, on ne peut pas réellement parler de rupture, parce que 4 électeurs LR sur 10 sont encore satisfaits. C'est la capacité à stabiliser ou à faire croître ce soutien qui pose question. On voyait - avant l'affaire Benalla – se dessiner le schéma d'un rapprochement de la frange centre droit  UDI et juppéiste avec le bloc macroniste à l'occasion des européennes. C'était le scénario envisageable et souhaité par Emmanuel Macron.

Mais à partir du moment ou l'affaire Benalla a éclaté, ce scénario a pris pas mal de plombs dans l'aile. Et même auprès d'un électorat de droite pro-européen, il devient plus compliqué pour les leaders de l'UDI ou de l'aile modérée des LR, de vendre à leurs troupes un ralliement en bonne et due forme à Macron. L'affaire Benalla cadre mal avec l'ADN idéologique de cette droite modérée, cela est plus compliqué d'aller se marier aujourd'hui avec Macron qu'il y a encore quelques semaines. C'est une difficulté que l'on retrouvera sans doute aussi avec les municipales. C'est le grain de sable qui vient gripper une mécanique qui semblait implacable et inexorable.

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