Après le Conseil économique social et environnemental, la Manif pour tous fera-t-elle du Sénat sa deuxième victime ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation contre le projet de loi du mariage pour tous.
Manifestation contre le projet de loi du mariage pour tous.
©Reuters

Nouvelle cible

Le projet de loi sur le mariage pour tous sera examiné au Sénat à partir du 4 avril.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Il n’est pas sûr que le Conseil économique, social et environnemental (Cese) se remette de son refus de prendre en considération la pétition de 700.000 signatures lui demandant de se pencher sur le projet de loi instituant le mariage entre personnes du même sexe. Même si la démarche des pétitionnaires était juridiquement incertaine, le moins qu’on puisse dire est que le Jean-Paul Delevoye, président du Conseil, n’a pas eu la manière, à la fois par la sécheresse de son refus et parce qu’il donné l’impression fâcheuse qu’il était aux ordres du Premier ministre.

Le Sénat, autre institution contestée dans un pays où l’antiparlementarisme, malheureusement, progresse, pourrait subir sur le même sujet un coup analogue.

Le sénateur Patrice Gélard a fait il y a quelques jours dans Le Monde une déclaration d’autant plus étrange qu’il est le porte-parole désigné par le groupe UMP dans le débat sur le "mariage pour tous" qui doit débuter le 4 avril.

Alors que ce débat n’a pas encore eu lieu, l’intéressé annonce déjà que "le texte va passer dans les deux assemblées". Reprenant complaisamment les arguments du gouvernement - entièrement fallacieux puisque ces sujets ne sont absolument pas séparables - tendant à disjoindre mariage, adoption et PMA, renvoyant celles-ci à un texte sur la famille et ne se privant pas d’une pique contre Christine Boutin, il semble même tout fier de rappeler que "le projet de loi a été adopté en commission avec des voix des sénateurs UMP, Christian Cointat et Christophe-André Frassa". Quelle combativité !

Il est vrai que pour lui, la manifestation du 24 mars, peut-être la plus nombreuse de l’histoire de la République, "ne change rien". En tous les cas pour le Sénat. Car elle pourrait par contre influencer, dit-il, le Conseil constitutionnel : "C'est une institution qui se prononce sur des questions juridiques, mais qui prend en compte aussi les situations politiques."

Professeur agrégé de droit, Monsieur Gélard fait du Sénat un lieu de discussion technique et renvoie au Conseil constitutionnel la prise de responsabilité politique ! N’est-ce pas le monde à l’envers ?

Quand nos élus nationaux comprendront-ils que ce que l’opinion leur reproche d’abord, c’est de ne pas prendre leurs responsabilités - et donc de ne paraître servir à rien ? Entre les directives européennes, les proliférantes "autorités administratives indépendante" et maintenant le Conseil constitutionnel, les alibis ne leur manquent jamais ! Freud distingue la cause réelle d’une frustration, parfois inconsciente, et la revendication manifeste, qui ne lui correspond pas forcément : gageons que les émoluments ou le cumul des mandats des parlementaires ne seraient pas tant critiqués s’ils prenaient un peu plus leurs responsabilités.

Les assemblées sont le lieu par excellence de la théâtralisation des affrontements politiques. Et, selon M.Gélard, il ne se serait rien passé le 24 mars qui mérite d’y trouver un écho !

Il y a plus grave : comment le pronostic péremptoire du porte-parole de l’UMP sur l’issue du vote , avant tout débat, n’ouvrirait-il pas la porte au soupçon que, entre la droite et la gauche, les choses seraient déjà arrangés en coulisse, que les rôles auraient été distribués ? Les défections à droite viendraient compenser à point celles des gens de gauche qui, courageusement, comptent faire prévaloir des convictions sincères sur les logiques de parti.

Si l’homme qui doit être le principal porte-parole de l’opposition au Sénat prend les choses aussi froidement, par qui se sentiront représentés les millions d’opposants au projet ? Et pour qui voteront-ils aux prochaines élections ?

Si l’opinion a le sentiment que droite et gauche se sont arrangées pour laisser passer le texte, un coup fatal serait porté à l’image de la Haute assemblée et peut-être de la République. Que le texte voté soit différent, ouvrant la voie à une navette à l’issue incertaine, ne serait pas non plus satisfaisant dans le contexte actuel.

Une situation exceptionnelle que le Sénat doit prendre en compte

Le Sénat a, il est vrai, des habitudes. Il évite généralement de désavouer l‘Assemble nationale sur des questions emblématiques. Mais, dans le cas d’espèce, depuis le vote de l’Assemblée nationale, près de deux millions de personnes ont défilé !

Et les risques de fracture ne s’arrêtent pas là : les sénateurs ne sauraient oublier la quasi-unanimité qui règne outremer à l’encontre de ce projet de loi, dont l’adoption en l’état ferait planer une menace sérieuse sur l’unité de la République. Un argument que pourrait aussi considérer M. Gélard, même si, comme président de la Cocoe (instance interne à l’UMP charge d’arbitrer l’élection de son président en novembre 2012), il n’a pas paru très familier de l’outre-mer français !

Le Sénat n’a pas seulement le souci de ménager le gouvernement. L’image qu’il a : celle d’une assemblée tempérée, inspirée par de bon sens, passe mal aujourd’hui pour les mêmes raisons qu’une idée aussi folle que de marier les homosexuels a pu acquérir de la crédibilité. Dans un monde pénétré jusqu’à la moelle par l‘idéologie, à commencer par les médias qui en sont le principal et tout-puissant vecteur, le bons sens est politiquement incorrect : il est l’ennemi numéro 1 de l’idéologue !

Aggraver son cas auprès des médias sur un sujet aussi sensible que le prétendu "mariage pour tous" peut, certes, faire aussi hésiter le Sénat. Mais il y a fort à parier que quelque position qu’il prenne, les idéologues ne changeront pas d’avis à son sujet.

Le Sénat n’a donc pas le choix : les millions d’opposants au projet de loi Taubira, ceux qui ont manifesté et les autres, ne lui pardonneraient pas un vote qui ne serait que l’écho amorti de celui de l’Assemblée nationale, de manquer cette occasion d’exprimer ce que ressent en profondeur la population, spécialement sa partie la plus lucide que sont les élus locaux. N’est-ce d’ailleurs pas sa fonction ?

Si le Sénat votait le texte, surtout s’il le votait grâce à des absentions ou des voix de droite laissant supposer des connivences douteuses, son crédit s’en trouverait singulièrement affaibli.

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