Après l’effondrement des barrages en Libye, quelle infrastructure vieillissante sera la prochaine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les inondations en Libye ont fait plus de 11 000 morts.
Les inondations en Libye ont fait plus de 11 000 morts.
©Mahmud Turkia / AFP

Contrôle des risques

Les événements en Libye relancent le débat sur la sécurité des infrastructures. Qu'en est-il des nôtres ?

François Giannoccaro

François Giannoccaro

François Giannoccaro est directeur chez Institut des Risques Majeurs (IRMa). Membre du Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs (COPRNM) depuis 2020.

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Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico : Les événements en Libye relancent le débat sur la sécurité des infrastructures. Pourrait-on voir les mêmes images en France ? Un barrage pourrait-il céder et inonder toute une région ?

François Giannoccaro : Les barrages constituent certainement le type d'ouvrage existant au monde depuis les temps les plus anciens. Leur utilisation est des plus diverses : retenu d'eau, irrigation, régulation de cours d'eau et principalement de nos jours, source d'énergie renouvelable et non polluante. En France, près de 11 % de notre électricité est d'origine hydraulique pour faire court. Mais comme toute installation « industrielle », ce genre d'équipement n'est pas exempt de risque pour son environnement.

Le phénomène pouvant conduire à une rupture de barrage correspond à une destruction partielle ou totale de l’ouvrage, à même de se traduire, en situation extrême, par la vidange rapide de la retenue d’eau et donc de provoquer à l’aval une onde de submersion majeure.

La probabilité de rupture ou de submersion de tels ouvrages est certes très faible, comme le montre l'historique d'événements de ce type survenus dans le monde. Cependant cette probabilité n'est pas nulle et comme pour tout risque majeur, il faut donc que les exploitants des barrages et les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour prévenir ces risques sur les territoires concernés.

Alain Bonnafous : La catastrophe libyenne a probablement provoqué plus de 4 à 5 fois plus de morts que le séisme au Maroc. Il est clair que cela donne à réfléchir sur de tels risques majeurs liés à la solidité de grands ouvrages. Il faut cependant souligner que ce type de tragédie ne se transpose pas sans précaution dans des sociétés qui ont des pratiques différentes. Sur les deux barrages concernés, des fissures avaient été repérées en 1998. Les travaux de consolidation n’ont été entamés qu’en 2010. Interrompus par l’intervention militaire de 2011, ils n’ont pas été repris depuis. On imagine mal un tel scénario en Europe.

Encore que dans le cas du pont autoroutier de Gènes, le pont Morandi, qui s’est effondré en août 2018, son concepteur, l’ingénieur Riccardo Morandi avait signalé dès 1981 des dégradations plus rapides que prévu. D’autres dégradations ont été officiellement signalées en 1992. Ce qui a été fait pour traiter ces problèmes s’est révélé très insuffisant que ce soit lorsque ce pont dépendait du secteur public ou après la privatisation de la société Autostrade en 1999. Le parquet a bouclé il y a deux ans une enquête accablante pour le concessionnaire. Mais on peut aussi s’interroger sur l’efficacité du contrôle d’Etat en Italie.

Je soupçonne que le système français contrôle mieux les risques dans la vieille tradition du corps des Ingénieurs des Ponts et chaussées (héritier du corps des commissaires pour les ponts et chaussées créé par Colbert en 1669). Le pouvoir régalien n’a pas disparu en ce domaine. Il a même été nécessaire de l’adapter aux évolutions institutionnelles et notamment au mille-feuille territorial. De ce point de vue, la Loi Didier de 2014, du nom de la sénatrice Evelyne Didier qui l’a initiée, clarifie les rôles selon les compétences territoriales, les opérateurs comme SNCF Réseau ou Voies Navigables de France et les concessionnaires concernés.

Ces ouvrages sont utilisés un peu partout dans le pays. Combien sont-ils ? Sont-ils en bon état ? 

Alain Bonnafous : Précisément, le premier mérite de la Loi Didier a été de prescrire un recensement des ouvrages concernés. Ce recensement publié en 2019 identifie 9480 ponts : 4168 surplombent une voie du réseau ferré national, 2895 surplombent une voie navigable du domaine public fluvial et 2417 surplombent une voie du réseau routier national non concédé. Les ouvrages des autoroutes concédées ne sont pas pris en compte ici. 

Qualifier l’Etat de ces ponts n’est pas un exercice facile. Que signifie un mauvais état ? Plusieurs rapports parlementaires ont alerté sur ce « mauvais état », notamment un rapport du Sénat de 2019. Les pouvoirs publics ont donné suite : en décembre 2020 les ministres concernés ont annoncé un « programme national ponts », qui s'inscrit dans le dispositif « France Relance ». Le dernier rapport du Sénat sur ce thème enregistre les premiers résultats en termes de financement public mais pointe aussi que 11 % des ouvrages « présentent des problèmes de sécurité nécessitant une action immédiate ». C’est pourquoi ces investissements de maintenance sont parfois évoqués comme « le chantier du siècle ».

Séïsme, tornade, tsunami... Le risque 0 n'existe pas. Quels sont les scénarios catastrophe envisagés par les autorités ?

François Giannoccaro : Les phénomènes tels que vous les évoquez font partie en France de la catégories des risques dit « majeurs » Il se caractérise par de nombreuses victimes, un coût important de dégâts matériels, des impacts forts sur l’environnement. De l’incident à la catastrophe majeure, de multiples événements d’origine naturelle ou humaine peuvent frapper la population française et nos territoires. En France, 2 communes sur 3 sont exposées à au moins un risque naturel. Le principal risque sur le territoire national est l’inondation. Il en existe bien d’autres : feu de forêt, tempête, cyclone, mouvement de terrain, avalanche, mais aussi séisme et volcanisme. Notre pays est aussi concerné par les risques dits technologiques : rupture de barrage, accident sur une installation industrielle ou nucléaire, ou lors du transport de matières dangereuses. Nous avons tous à l’esprit l’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium dans l'usine AZF de Toulouse qui avait causé en 2001 la mort de 31 personnes et fit environ 3000 blessés. Ces risques sont considérés de manière à part entière en France dans le cadre d’une politique de prévention des risques majeurs. Pour faire court cette politique passe par : la connaissance des risques, la maitrise de l’urbanisation et protection du bâti existant, l’information préventive des populations relevant quant à elle des maires in fine dont la mise en œuvre de dispositions de mise en vigilance (comme Météo France) et d’alerte en cas d’événement (FR – Alert : https://www.fr-alert.gouv.fr/ ), la planification des secours et de la sauvegarde, la régulation des dommages et des réparations par le système assurantiel.

Alain Bonnafous : Il y a eu dans le passé des catastrophes qui n’ont pas été seulement imaginées et, par nature, elles ne se prêtaient pas facilement à une méthodologie de scénario tel le tsunami consécutif à un tremblement de terre de 2011. Je soupçonne que les exercices qui sont conduits sur des scénarios catastrophe soient plutôt orientés vers des risques terroristes. Bien entendu ils ne sont pas publics.

Les budgets pour entretenir ces ouvrages et assurer la sécurité sont-ils suffisants ? 

François Giannoccaro : Les mesures prises pour rendre la probabilité de l'aléa la plus faible possible sont nombreuses, études préalables à l'implantation d’un barrage, qualité de la réalisation, surveillance et maintenance des ouvrages, études de dangers … ainsi que l'organisation existant au niveau de l'Etat pour contrôler la sûreté des ouvrages à tous les stades de leur exploitation. La sécurité de ces installations relève de la pleine responsabilité des propriétaires ou/et des exploitants des ouvrages et tout est mis en œuvre au niveau des moyens comme je le disais pour prévenir les risques associés aux barrages jusqu’à la préparation des secours en cas d’accident.

Alain Bonnafous : Les questions de sécurité sont évidemment surplombées par les accidents qui alimentent les statistiques de décès. Or les défaillances d’infrastructure ont fait peu de morts en France en regard des accidents de la route, ou même des accidents ferroviaires consécutifs à des imprudences ou à des infractions aux règles de sécurité. La politique de sécurité qui en découle est ainsi pensée en termes de contrôle des comportements

Concernant la sécurité des infrastructures, telle la prévention des effondrements, chaque pays a son dispositif, en général basé sur des contrôles systématiques, tels que prévus dans le « programme national ponts ». 

En France, la notion de budget insuffisant un pléonasme. Il faut cependant reconnaitre que sur ce type de dépenses, des retards ont été accumulés. Les dispositifs d’information mis en place par la loi Didier confirment, je l’ai signalé, des besoins d’urgence pour plus de 10 % des ouvrages recensés et diagnostiqués. Le dernier rapport d’information du Sénat, qui a clairement fait de ce thème une cause majeure, reconnait des augmentations significatives des budgets depuis 2020 mais souligne qu’il conviendrait de les multiplier pour éviter d’accumuler des retards. Et, par conséquent des risques.

En France, il y a des obligations d'information préventive. Qui en est responsable ? La population est-elle suffisamment informée ?

François Giannoccaro : Les enquêtes d'opinion révèlent régulièrement que de nombreux Français estiment ne pas être suffisamment informés des risques majeurs, qu'ils soient d'origine naturelle ou technologique. En effet, un tiers des Français ignorent s'ils résident à proximité d'un site industriel classé Seveso, et trois quarts des personnes interrogées ne sont pas familières avec les mesures de protection à prendre en cas d'accident. Malheureusement, lors de catastrophes, un nombre significatif de décès surviennent, certains aurait pu être évités si des consignes de sécurité appropriées avaient été connues et suivies.

Il est paradoxal de constater que, même lorsque les autorités publiques mettent en œuvre des initiatives de sensibilisation conformément au droit à l'information (article L 125-2 du code de l'environnement), au niveau des préfets et des maires, celles-ci ne suscitent que rarement un engouement massif de la population.

Dans un contexte marqué par les effets du changement climatique, qui accentuent notre vulnérabilité aux risques, comme l'ont récemment démontré les événements extrêmes survenus en Grèce, en Lybie ou encore au Maroc avec le récent séisme, le Gouvernement a instauré en 2022 la journée "Tous résilients face aux risques". Cette journée, qui se déroule annuellement avec un point culminant le 13 octobre, en cohérence avec la journée internationale pour la réduction des risques de catastrophes de l'Organisation des Nations unies, vise à promouvoir la culture de la gestion des risques, à préparer les populations et les responsables locaux à faire face à ces dangers, et à renforcer la résilience collective face aux catastrophes. L'objectif est que chaque individu soit conscient des risques présents sur son territoire, connaisse les mesures à prendre en cas de catastrophe, et devienne ainsi un acteur de sa propre sécurité. La première édition, lancée en 2022, a mobilisé près de 2000 événements à travers le pays, coordonnés par 350 opérateurs, et une nouvelle édition est prévue pour cette année en octobre.

Dans ce cadre, notre organisme, l’Institut des Risques majeurs (IRMa a vocation à informer les populations sur les risques majeurs en France) a initié le Résilience Tour en 2022 qui est reconduit en 2023 en étant co-organisé pour sa deuxième édition avec l’AFPCNT. Nous sommes heureux de compter sur le soutien du Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires pour cette initiative.

A l’image du célèbre Tour de France, le Résilience Tour se mettra une nouvelle fois en itinérance en sillonnant les territoires, du 1er octobre au 15 novembre 2023, sur 22 étapes comprenant plus d’une centaine d’événements. Il proposera des actions de sensibilisation, d’information et de formation qui convergent vers les objectifs suivants : préparer les populations et les responsables locaux à faire face aux risques, renforcer leur pouvoir d’agir face aux situations de crise, développer leurs capacités d’adaptation et leur permettre d’être acteurs de la résilience dans leur territoire.

Parmi nos activités itinérantes, les publics découvriront de nombreux ateliers, conférences, jeux de simulation de crise, visites de sites naturels et industriels, ainsi que des représentations théâtrales. Plus d’informations sur le Résilience Tour.

Alors participez à une des nombreuses opérations initiées en France dans le cadre la journée "Tous résilients face aux risques".

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