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Apple & l'Irlande : quand Washington menace (très ?) virtuellement Bruxelles d'une réduction des investissements américains en Europe
©REUTERS / Dado Ruvic

Qui veut gagner 13 milliards ?

Washington s'est récemment insurgé de la décision de Bruxelles de réclamer à l'Irlande de récupérer ses arriérés fiscaux auprès d'Apple, à hauteur de 13 milliards d'euros. Une décision qui s'ancre dans la suite des précédentes mesures de Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la Concurrence.

Michel Fouquin

Michel Fouquin

Michel Fouquin est conseiller au Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) et professeur d'économie du développement à la faculté de sciences sociales et économiques (FASSE).

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Atlantico : Représentés par Margrethe Vestager, les autorités anti-trust européennes ont pu demander à l'Irlande de collecter quelques 13 milliards d'euros d'arriérés fiscaux auprès de la société Apple, accusant le pays de pratiques fiscales illégales. Une décision qui a attiré les critiques du Trésor américain, indiquant que les autorités européennes outrepassaient ses pouvoirs. Existe t il un risque réel que les relations commerciales des deux zones partenaires soient affectées par une telle décision ? La rétroactivité fiscale de tels accords est elle acceptable ? Quels sont les risques ?

Michel Fouquin : Il y a longtemps que l'on attend - notamment les Allemands et les Français - une action vigoureuse des autorités européennes en matière de concurrence fiscale entre les pays européens. C'est maintenant fait, et c'est une victoire de l'Europe, précieuse en cette période de doute; du moins si la Commission tient bon face aux menaces diverses de rétorsion. Dans le cas irlandais, qui a déjà avec un taux d'imposition sur les sociétés à 12.5%, un des taux plus faibles d'Europe, Apple avait réussi à négocier un accord lui permettant de ne payer que 2% sur des bénéfices fictifs faits en Irlande. Les impôts payés par Apple en Irlande en 2014 ne représentent que 0.005% du total des bénéfices du groupe réalisés en Europe. 

Il a fallu de longues années d'enquêtes pour obtenir cette rectification et sans doute vaincre pas mal d'obstacles mis par certain pays membres à franchir pour aboutir à ce résultat. La rétroactivité fiscale est ici de droit commun. Cela dit l'harmonisation fiscale européenne reste encore à faire.

La réaction du Trésor américain, accusant la Commission d'outrepasser ses pouvoirs, pourrait prêter à sourire un pays qui n'a pas hésité à faire lourdement condamner BNP Paribas pour ses relations financières, qui ne passaient pas par les  États-Unis, avec l'Iran, objet d’embargo de leur part. On peut supposer qu'il s'agit simplement d'une pétition de principe qui n'ira pas plus loin, tant les relations entre les deux zones sont cruciales pour les deux partenaires. On peut aussi penser que le fisc américain ne sera pas mécontent de voir des multinationales qui cherchaient en se délocalisant à minimiser les impôts  qu'ils payaient aux États-Unis leur revenir. Les grands États de ce monde sont tous endettés et cherchent de nouvelles ressources fiscales, ils sont aujourd’hui aussi moins indulgents à l'égard des paradis fiscaux qui choquent leur opinion publique.

Plus sérieuse est la question des conséquences ; on peut penser qu'il s'agit d'une affaire qui fera jurisprudence et que d'autres accords fiscaux ou d'autres pratiques fiscales du passé pourraient être contestés, dans ce cas il est de toutes façons trop tard. Quand à l'avenir il est clair que l'Irlande - qui va tout de même bénéficier cette somme - sera un peu moins attractive et que ce sont les autres pays d'Europe qui pourront en bénéficier. En revanche il est peu probable que cela touche durablement la stratégie des multinationales américaines qui veulent accéder au marché européen qui reste le marché le plus important du monde. 

Pour se justifier, Margrethe Vestager a pu indiquer "il ne s'agit pas de savoir combien Apple paye d'impôts, il s'agit de savoir comment les gouvernements collectent l'argent". Ce renversement de la question est il pertinent ? Les intentions européennes sont-elles légitimes, alors que d'autres précédents ont déjà eu lieu, comme Starbucks aux Pays-Bas, Amazon au Luxembourg, ou Anheuser Bush Inbev en Belgique ?

Il est clair que les États sont les responsables de la collecte fiscale des droits perçus sur leur territoire, cela fait partie de leurs droits régaliens majeurs. Et on sait qu'il y a une résistance farouche des petits États à défendre ces droits. En revanche, s'ils adoptent des procédures fiscales secrètes et illégales pour attirer chez elles des capitaux étrangers, alors on doit faire en sorte que le droit du pays, droit qu'il a choisi en toute liberté et souveraineté, soit appliqué. Ainsi la Commission à la suite des révélations de wilkileaks a entrepris de poursuivre Amazon au Luxembourg et Starbucks aux Pay-Bas pour usage de prix de transfert permettant de faire apparaitre des profits réalisés en Europe dans des filiales résidents au Luxembourg  ou aux Pays Bas : le principe est simple la filiale luxembourgeoise ou néerlandaise surfacture aux autres filiales européennes du groupe des services que soit-disant elle leur vend. Margrethe Vestager, dans le cas d'Apple, affirme que “The so-called head office had no employees, no premises, no real activities" (la soit disant filiale n'a pas d'employés, pas de siège social, pas de locaux (!!), pas de réelles activités) . Ce sont bien les États qui sont responsables d'appliquer leurs régulations, ce qui est étrange c'est qu'ils ne soient pas condamnés à leur tour lorsqu'ils contournent délibérément celles-ci.   

Finalement, au delà d'Apple, la principale "victime" de cette décision n'est elle pas l'Irlande ?

Le premier gain sera pour le remboursement de la dette publique irlandaise, pour le reste on peut penser que les sites de production d'Apple qui ne sont pas concernés par cette décision vont continuer leur activité,de même que celles des autres multinationales qui ont des activités réelles en Irlande. Pour l'avenir, le site industriel irlandais garde les mêmes avantages fiscaux légaux, même si on peut regretter que l'harmonisation fiscale ne progresse que lentement en Europe.

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