Anomalie française : pourquoi il y aurait tout à gagner à diminuer massivement les charges sociales des entreprises <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Anomalie française : pourquoi il y aurait tout à gagner à diminuer massivement les charges sociales des entreprises
©

Bonnes feuilles

Contrairement à d’autres pays, la France a trop longtemps différé les réformes et n’a pas encore consenti les efforts indispensables à son redressement. Pour le mener à bien, il s’agit maintenant de dissiper la confusion des diagnostics et de mettre de l’ordre dans les mesures à envisager. Extrait de "La France doit agir" (2/2).

Jean-Louis Beffa

Jean-Louis Beffa

Jean-Louis Beffa est président d’honneur de la Compagnie de Saint-Gobain et coprésident du Centre Cournot pour la recherche en économie. Il est notamment l’auteur de La France doit choisir (Seuil, 2012)

Voir la bio »

La compétitivité coût est importante ; et il y aurait tout à gagner à supprimer une anomalie française, à savoir les prélèvements massifs qui pèsent sur le secteur privé et, plus particulièrement, la part excessive des charges sociales pesant sur les salaires dans les entreprises. Les prélèvements qu’ont à honorer les entreprises – supérieurs de 6 points de PIB en France par rapport à l’Allemagne – sont la première cause de la dégradation alarmante de leurs marges. Or, la restauration des marges des entreprises est une priorité, car la capacité d’investissement en dépend. L’écart de rentabilité entre les sociétés françaises et allemandes dépasse 100 milliards d’euros, évidemment en faveur de ces dernières. Pourquoi ? Parce qu’une société installée de l’autre côté du Rhin paie deux fois moins de charges.

Pour alléger la charge des entreprises, le gouvernement a instauré le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). C’est un signal positif, car il indique que les pouvoirs publics ont pris conscience de l’enjeu que représentent les coûts de production. Mais les conséquences de cette mesure sur la compétitivité mondiale des entreprises françaises resteront limitées. Le Cice allège le coût du travail sur les salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Il se traduit, pour les entreprises, par une réduction de 20 milliards de prélèvements à l’horizon 2015. Les entreprises pouvant d’ores et déjà inscrire dans leurs comptes les créances, l’Insee a pu calculer les effets de ce crédit d’impôt sur l’indice du coût du travail. La conclusion est que, entre début 2012 et début 2013, cet indice est resté stable. L’impact pour le secteur privé semble positif, dans la mesure où, sans le Cice, l’indice aurait poursuivi sa hausse. Il permet aussi à l’écart entre la France et l’Allemagne de se réduire, bien que ce phénomène soit surtout le fait de la hausse des salaires allemands. Mais malgré l’intention louable et ces résultats à première vue de bon augure, le Cice demeure un outil de compétitivité mal adapté, et ce pour deux raisons.

D’abord, il manque de simplicité. Les PME, par exemple, trouvent les mesures d’exercice et les conditions d’éligibilité trop complexes. Beaucoup risquent de passer à côté sans le savoir. Il est ensuite davantage un geste de confiance que de compétitivité. Trop général, il ne concentre pas les efforts sur les secteurs nécessaires. Il est ainsi facile de constater que le Cice favorise les secteurs économiques les moins exposés à la concurrence internationale. Le coût du travail diminue certes de 0,9 % en un an pour les métiers de la restauration ou de l’hébergement, de 0,8 % pour la construction, de 0,6 % pour le commerce… En revanche, pour l’industrie, la baisse n’atteint que 0,3 %.

La vérité est que cet instrument n’est pas bien adapté à la structure des coûts de l’industrie française. En posant le seuil relativement bas par rapport au SMIC, il privilégie les secteurs abrités de la concurrence mondiale où les salaires sont peu élevés et les besoins de main-d’œuvre importants. La Poste est par exemple l’entreprise française qui bénéficie le plus de ce crédit d’impôt, alors même qu’elle évolue dans un secteur protégé et centré sur le territoire français. Or, les secteurs de ce type sont précisément ceux qui bénéficient déjà des allégements de charges sur les bas salaires. Il est difficile de comprendre pourquoi une mesure en faveur de la compétitivité française laisse de côté les sociétés les plus exportatrices, c’est-à-dire celles qui se confrontent à la compétition mondiale.

Une autre base de calcul, plus utile, aurait pu être le montant des immobilisations et non la masse salariale. Cela aurait favorisé les firmes industrielles. Mais cette position n’a pas été le choix de la direction générale du Trésor et du ministère de l’Économie et des Finances. Bien qu’ils en appellent tous à un redressement industriel, force est de constater qu’aucun réflexe en faveur de l’industrie n’existe chez les responsables politiques français, tous partis confondus.

Quoi qu’il en soit, le Cice envoie aux entreprises un signal encourageant. Les producteurs n’ont pas été épargnés par la série de collectifs budgétaires, de lois de finances et de lois de financement de la Sécurité sociale. En trois ans, plus d’une cinquantaine de nouvelles mesures de prélèvement ont été instaurées. En amoindrir les effets est une bonne nouvelle. Mais les résultats du Cice demeureront limités. Sans aider le secteur industriel exportateur, premier garant de la compétitivité de la France, il ne permettra qu’à la marge des effets sur l’emploi, et ce pour deux raisons. D’une part, les services sont dépendants de la croissance française. Or celle-ci est à l’arrêt. D’autre part, les activités de services sont contraintes par le niveau trop élevé du salaire minimum français.

La véritable conséquence de la mesure sera un transfert de résultats et une montée des marges des entreprises de services, tout au plus. Il faut maintenant se pencher sur l’allégement des charges dans le monde de l’exportation mondialisée.

La loi sur la flexibilité et la sécurisation de l’emploi permet aux entreprises d’adapter leurs coûts salariaux aux fluctuations d’activité. Le but est de pouvoir comprimer les charges fixes. La diminution des charges patronales doit être financée par deux moyens : une hausse de la CSG et de la TVA. La hausse des taux de TVA proposée pour 2014 est un bon signe, mais elle ne suffit pas. Le taux intermédiaire passera de 7 à 10 % et le taux normal de 19,6 à 20 %, contre une baisse d’un demi-point du taux réduit à 5 %. Le taux normal était passé à 20,6 % en 1995 pour, déjà à l’époque, réduire le déficit, avant d’être revu à la baisse cinq ans plus tard. La TVA est la recette la plus importante en France, puisqu’elle totalise la moitié des prélèvements fiscaux. Mais ces hausses auront des effets limités : l’État escompte seulement 3 milliards d’euros supplémentaires.

Le moyen de massivement diminuer les charges sociales des entreprises passerait par la TVA sociale, qui revient à remplacer des coûts de production par des taxes sur la consommation. Le Danemark ou l’Allemagne l’ont instituée avec des effets significatifs sur la compétitivité des entreprises. En 2007, le gouvernement Merkel a fait voter une revalorisation de trois points du taux de TVA pour financer une partie de la protection sociale, sans modifier le taux sur les produits alimentaires. Dans le même temps, les cotisations sociales ont été réduites de l’équivalent d’un point de TVA. Cette mesure s’apparente ainsi à une TVA sociale. La TVA sociale a le mérite d’agir comme une dévaluation compétitive.

Mais la compétitivité coût ne suffira pas. D’autant plus que les Français restent largement rétifs à des mesures de modération salariale de l’ordre de celles que connaît l’Espagne depuis 2008, ou qu’a connues l’Allemagne entre 2001 et 2005. La forte réduction de la protection de l’emploi est aussi rejetée. Comment dès lors sortir du piège des marges bénéficiaires étriquées ?

Il convient d’accompagner les mesures de compétitivité coût, indispensables mais aux effets insuffisants, d’une compétitivité hors coût, qui repose sur la capacité d’innovation et l’amélioration constante des services associés et de la qualité. C’est là l’essentiel de la tâche. À charge aux entreprises de la mettre en œuvre. C’est une action de longue durée, dont les effets ne se feront voir que dans cinq ans. L’État ne peut s’y substituer. Mais la puissance publique a néanmoins un rôle primordial : celui de définir quel environnement économique et social elle compte créer pour ses entreprises.

Extrait de "La France doit agir", Jean-Louis Beffa (Editions du Seuil), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !