Merkel veut un nouveau traité européen... Mais l’Union a-t-elle encore seulement un avenir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel souhaiterait ratifier un nouveau traité européen qui renforcerait le contrôle des finances publiques des États.
Angela Merkel souhaiterait ratifier un nouveau traité européen qui renforcerait le contrôle des finances publiques des États.
©Reuters

Cautère sur jambe de bois

Alors qu'Angela Merkel a proposé lundi la signature d'un nouveau traité européen pour garantir la rigueur budgétaire, Jean-Claude Guillebaud revient, dans son livre "Une autre vie est possible" sur les raisons qui ont brisé le rêve européen.

Jean-Claude Guillebaud

Jean-Claude Guillebaud

Jean-Claude Guillebaud est un écrivain, essayiste, conférencier et journaliste français. Il publie "Une autre vie est possible" en septembre 2012.

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Atlantico : Selon un article publié lundi dans le Spiegel, Angela Merkel entendrait ratifier un nouveau traité européen qui renforcerait le contrôle des finances publiques des États. Les changements institutionnels peuvent-ils être une réponse à la désuétude du « rêve européen » ?

Jean-Claude Guillebaud : Difficile de se prononcer sur cette nouvelle proposition de traité sans savoir ce qu’il contiendrait exactement.

Mais s’il s’agit de renforcer la surveillance des politiques économiques des États, le problème est le même qu’avec le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire (ndlr : qui entrera en vigueur en janvier 2013 s’il est ratifié par 12 États parmi les 25, République Tchèque et Royaume-Uni exclus. Il prévoit la "règle d’or" budgétaire et des sanctions possibles de la part de la Cour de justice).

Le Conseil Constitutionnel a jugé, à mon avis à tort, que la ratification de ce traité ne nécessitait pas une réforme de la constitution, donc qu’il n’y avait pas besoin d’une majorité des deux tiers. Ce traité est consternant. Et l’idée que l’on puisse voter un traité pareil, en catimini, sans véritable débat – parce qu’à part la gauche du PS, pas grand monde ne soulèvera la question – est extravagante. Je constate que, pour la première fois sans doute, on a vu, y compris en Allemagne, des grandes voix pro-européennes s’élever pour juger que ce traité était absurde car confiscatoire de la volonté populaire. Je pense au philosophe Jürgen Habermas, qui avait largement soutenu le traité en 2005 mais qui est très hostile, voire catastrophé, par ce traité-là, qui impose la "règle d’or" ainsi qu’une logique disciplinaire sans véritablement passer par les élus, ni par le parlement européen.

Je constate qu’en France, l’opposition et l’hostilité à ce traité ne correspondent plus au clivage droite/gauche. A gauche, il n’y a guère que la gauche du Parti socialiste qui y est très hostile, et des personnalités éminentes comme Marie-France Garaud qui vient de publier un article dans Libération. Voter ce traité tel qu’il est, ce qui sera malheureusement le cas, est une catastrophe pour le PS, qui va à nouveau se trouver brisé comme en 2005 ; une catastrophe pour l’Europe, car il continue la même logique qui a conduit l’Europe dans le mur, soit une Europe sans les peuples qui donne la préférence aux mécanismes financiers et aux banques plutôt qu’aux peuples.

Voilà quelques jours, M. Monti disait qu’il était catastrophique de désespérer les marchés ou d’être prisonnier de la pression d’un parlement. Un ministre allemand lui a répondu qu’il valait mieux désespérer les marchés plutôt que les citoyens.

Dans un contexte de crise et de récession économique, alors que les pays ne sont pas parvenus à s’accorder sur le Traité budgétaire européen, l’Europe a-t-elle même seulement un avenir ?

Les choses sont claires aujourd’hui. Y compris pour les artisans de l’Europe – et je pense notamment à Michel Rocard avec qui j’ai longuement discuté – qui reconnaissent qu’il y a eu des vices de forme dans la construction européenne. A vouloir continuer sur la même logique, on entraîne l’Europe à la catastrophe. Et parmi ces vices de forme, il y a cette vieille croyance qui date de Jean Monnet : il n’y a qu’à faire l’économie et le reste suivra. C'est-à-dire que l’Europe politique devrait naturellement découler de l’Europe économique. Or on s’aperçoit que cela n’est pas vrai. L’Europe a été construite pratiquement en cachette des peuples. On ne peut pas construire un tel projet historique, qui devrait exister pour des générations, en dehors des mécanismes de démocratie.

Et lorsque je vois les fervents fondateurs de l’Europe reconnaître que ces vices de forme ne peuvent pas continuer, je crois qu’il faut faire l’Europe avec une perception de la nation, en associant les parlements nationaux. Il faut faire l’Europe en défendant un modèle économique européen, et non pas ce qu’on appelle l’« ordolibéralisme », c'est-à-dire la version allemande de l’ultralibéralisme. Je pense que si le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union est voté, on va malheureusement dans ce sens.

Vous parlez de déficit démocratique. Angela Merkel a proposé d'élire un président de l'Union au suffrage universel. Est-ce un moyen de répondre à cet écueil ?

Au point où on en est, ce serait un gadget. L’éditorialiste américain Paul Krugman, à propos du petit pacte de croissance de 120 milliards que François Hollande a arraché aux Allemands, dit que c’est l’équivalent d’un pistolet à eau pour arrêter la charge d’un rhinocéros. L’idée est la même pour l’élection d’un président de l’Europe. Cela aurait une portée symbolique certainement positive, mais on n’en n’est plus là. Quand le Titanic coule, on ne va pas discuter de la façon dont on va repeindre le pont supérieur.

Au contraire, François Hollande pense que le moment n’est pas le bon pour une révision institutionnelle, car l’euroscepticisme est à son apogée : « Cela n'aurait pas de sens de s'embarquer dans un tel projet si l'on est sûr d'échouer. Il faut d'abord recréer de la croissance (…) et de l'optimisme dans les opinions publiques vis-à-vis de l'Europe. »

François Hollande a raison. L’euroscepticisme est à son apogée, y compris en Allemagne. Sur ce même traité, des recours constitutionnels ont été introduits ainsi qu’un débat, qui n’a pas vraiment lieu en France. Il est assez paradoxal de voir qu’un traité d’inspiration allemande suscite plus le débat en Allemagne qu’en France.

En se refusant à consulter les peuples dans les moments de crise, renforce-t-on le déficit démocratique dont souffre l’Europe ?

Bien sûr. Mais à ce compte-là, ce n’est jamais le moment de consulter les peuples. En 2005, on les a consultés, ils ont dit non. Pour dire la vérité, ce traité de 2005, peu de personnes l’ont lu, beaucoup se sont enflammés. Il était illisible, impossible à accepter. D’une certaine façon, en 2005, les citoyens ont été plus sages que leurs élites. Et aujourd’hui, dire que ce n’est pas le moment de consulter les citoyens n’a pas de sens. Il faudrait, à propos de ce traité, un référendum.

Mais si ces derniers étaient consultés, l’Union n’éclaterait-elle pas ?

Ne doit-on consulter les peuples que quand on est sûr qu’ils vont dire oui ? Cela revient à dire : on ne va pas faire d’élection parce qu’on prévoit que la gauche, ou la droite, va gagner ! La démocratie ne fonctionne pas ainsi. Consulter les peuples, c’est faire l’effort de les associer à la décision et donc de leur expliquer clairement de quoi il s’agit. 

L’Union est en train d’éclater ! Dire « si l’on consulte les peuples, l’Union va éclater », c’est donner aux peuples la responsabilité de l’éclatement. Or c’est le contraire : l’Union éclate parce qu’on y a pas associé les peuples et qu’on a du mal à faire comprendre aux gens qu’on va leur imposer l’austérité pendant une ou deux générations pour payer, en grande partie, les folies des banques et des spéculateurs boursiers. On leur demande de voter un traité disciplinaire qui va discipliner les peuples en passant par-dessus la démocratie. En même temps, on n’investit pas beaucoup d’énergie pour réprimer les paradis fiscaux, la spéculation illégale, tenir tête aux marchés financiers et aux banques. Il y a deux poids, deux mesures.

L’Europe éclate parce qu’on ne consulte pas les peuples. Et ce depuis 40 ans.

Ce jeudi, la chancelière a regretté la non transposition de la règle d’or dans la constitution. Vous dénoncez le There Is No Alternative de Thatcher. Existe-t-il une alternative à l’austérité de Merkel ?

Bien sûr que oui. Tous les économistes le disent depuis deux ans. Ils ne disent pas qu’il ne faut pas rembourser les dettes, ils ne disent pas que l’endettement n’est pas important. Ils disent que si vous imposez l’austérité à tout le monde, par définition la croissance qui est déjà considérablement ralentie le sera d’autant plus. Et si vous ralentissez la croissance, même si vous faites beaucoup de sacrifices, vous creusez la dette parce qu’il y a moins de recettes fiscales.

Le paradoxe est qu’aujourd’hui les marchés s’inquiètent de l’austérité. Cette idée d’austérité, idée allemande, moralisatrice, répressive, a des effets désastreux : en Grèce les déficits ne cessent de s’aggraver, en Italie de même, l’Espagne est entrée en récession, … Lorsqu’on constate qu’une politique provoque des résultats aussi catastrophiques, on ne s’entête pas ! Et maintenant, je pense que le débat va s’intensifier en Allemagne. Comment voulez-vous que l’Allemagne, qui vend une grande partie de ses exportations à ses partenaires européens, s’en sorte ?

Votre essai, Une autre vie est possible, se veut positif. Y a-t-il une note positive pour cette Europe ?

J’essaie de passer en revue toutes les raisons qui au cours du XXe siècle ont ruiné l’optimisme de l’Europe de la fin du XIXème siècle : les deux Guerres mondiales, les grands totalitarismes, … On est sorti du XXe siècle avec la gueule de bois, sans projet crédible. Au moment du traité de Rome, en 1957, le projet européen représentait la dernière utopie mobilisatrice et enthousiasmante dans ce vieux continent perclus de violence et de guerre. Le projet de la paix et du rassemblement, de la défense du modèle économique européen qui n’avait rien à voir avec celui du monde anglo-saxon, était formidable. Ce projet a été trahi. Mais il reste valable. Et je pense que, tôt ou tard, le projet européen sera fondé sur de nouvelles bases. Et ça, c’est une bonne nouvelle.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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