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Angela Merkel prête à envisager des changements de traités européens : bluff allemand ou tournant pour l’Union ?
©Michael Kappeler / POOL / AFP

Poker menteur

Mercredi, devant le Bundestag (la chambre basse du Parlement allemand), Angela Merkel a clamé son attachement indéfectible à la monnaie unique européenne et a plaidé pour une plus grande «intégration» économique et politique de la zone euro.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Sommes-nous face à une manœuvre de diversion  politique de la part de la chancelière allemande, ou s'agit-il d'un vrai tournant pour l'Europe ?

Christophe Bouillaud : Il faut rappeler que cette déclaration vient après le jugement de la Cour constitutionnelle allemande qui somme la Banque centrale européenne (BCE) de donner de plus amples explications sur la légitimité de son programme dit de « QE » (Quantitative Easing) de 2015. Ce jugement, très dur à la fois pour la BCE et pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) accusée de ne pas faire correctement son travail de contrôle de la légalité de l’action de la BCE, peut en effet ouvrir une brèche dans l’édifice européen. En effet, à le suivre, si la BCE n’obtempère pas dans un délai de trois mois en s’expliquant, la Bundesbank devrait suspendre toute activité de type « QE ». La logique de fond de ce jugement, c’est que les épargnants allemands et les personnes qui entendent les représenter à la droite de l’échiquier politique se sentent profondément par la politique d’argent gratuit qu’a mené la BCE pour contrer la possibilité d’une déflation en Europe.

Donc Angela Merkel, comme leader du camp conservateur allemand, peut difficilement rejeter d’un revers de la main  ce jugement de la Cour de Karlsruhe, qui correspond au sentiment de bon nombre de ses propres électeurs, et en même temps, elle se rend bien compte que la zone Euro a besoin d’une BCE qui utilise tous les outils contemporains de la politique monétaire pour maîtriser la situation économique de l’Europe. Elle propose donc en quelque sorte de légaliser complètement ce que fait déjà la BCE par simple pragmatisme et intérêt de survie de l’ensemble européen. Or cette légalisation en peut passer que par une plus grande intégration. C’est d’ailleurs ce que disait la Cour de Karlsruhe en 2009 sur le Traité de Lisbonne.  Elle avait accepté ce Traité, parce qu’il n’allait pas trop loin dans l’intégration fédérale de l’Europe, et elle avait bien précisé que, si les autorités politiques allemandes souhaitaient aller plus loin, il leur faudrait faire très attention à bien exercer leur contrôle sur la délégation ainsi donnée, voire, en cas de passage au vrai fédéralisme européen, consulter directement le peuple allemand sur la question de la perte de sa souveraineté par l’Allemagne.

Je ne crois donc pas qu’A. Merkel tente une manœuvre de diversion, elle constate simplement que nous sommes désormais au pied du mur. Si les Européens veulent une BCE qui puisse gérer l’Euro comme la Fed gère le dollar ou la Banque d’Angleterre la livre sterling, il va falloir justifier légalement dans les traités cette évolution. Or, comme tout le monde – sauf les ordo-libéraux allemands – sait que cette évolution est devenue la condition sine qua non de l’existence même de l’Euro, il faut avancer vers une nouvelle discussion institutionnelle.

Pour évoluer les traités européens nécessitent l'approbation des 27 pays membres. Le souhait d'Angela Merkel est-il seulement réalisable à la vue des forces politiques contraires en présence ?

En fait, le hiatus reste entier entre des espaces politiques nationaux où s’expriment des voix de plus en plus hostiles à l’idée même de transferts de souveraineté vers l’Union européenne et une réalité économique et financière de la zone Euro qui pousse à l’invention d’instruments d’intégration de plus en plus poussés. De fait, si en 2012 Mario Draghi n’avait pas dirigé le changement de doctrine de la BCE, en poussant de fait les taux d’intérêt à la baisse, y compris ensuite pour les pays les plus endettés, la zone Euro n’existerait plus aujourd’hui. En effet, l’Italie aurait sans doute subi une crise de la dette qui l’aurait rendu insolvable, et aurait incité ses dirigeants à faire défaut sur cette dette, puis à sortir de la zone Euro pour reconstruire une économie sur la base d’une très forte dévaluation de la nouvelle lire, ce qui aurait bien sûr posé le problème de l’intégrité du marché unique, tant le choc économique aurait pu être violent pour d’autres pays compétiteurs restés dans l’Euro.

Ce hiatus, et la mauvaise expérience des années du Traité constitutionnel européen, peuvent inciter au pessimisme sur la possibilité de changer les traités. Mais, inversement, on a vu en 2011-2012, comment des traités à objet limité pouvaient émerger des seules nécessités économiques du moment. A l’époque, il s’agissait de réaffirmer le caractère « ordo-libéral » de l’architecture de l’Union européenne, alors même d’ailleurs que l’on commençait à s’en éloigner en pratique. De manière intéressante, le Royaume-Uni de David Cameron avait été le seul grand Etat à refuser ces nouveaux traités, justement au nom du droit de chaque pays de déterminer pragmatiquement sa politique économique et de ne pas s’en tenir à une application de règles automatiques. A l’inverse de ce renforcement du « paradigme maastrichtien », aujourd’hui, on pourrait imaginer une révision des traités qui réaffirme clairement que la BCE ne doit pas seulement lutter contre l’inflation, préserver à tout prix la valeur de la monnaie, mais qu’elle doit participer pleinement à la réalisation des autres buts de la politique économique, sociale et environnementale de l’Union, comme le plein emploi par exemple, le tout sous le contrôle de la Commission ou d’un cénacle de parlementaires du Parlement européen et des parlements nationaux.

A mon sens, il y a des formules institutionnelles et des formulations dans les traités à trouver qui permettraient d’avancer vers l’intégration sans changer radicalement la pratique actuelle, mais en la rendant plus contrôlée par un pouvoir politique issu des urnes et donc au final plus légitime.  On a pu dire que  Mario Draghi était « Empereur de l’Europe ». C’est assez vrai. On peut trouver cette situation inédite pour un banquier central un peu fort de café comme les juges constitutionnels de Karlsruhe. Mais rien n’empêche de se mettre d’accord entre pays européens pour légaliser et réguler cette situation, parce que, justement, la fin de l’Euro ne parait dans l’intérêt d’aucun pays. Le désordre financier et économique qu’une telle fin mettrait sur le continent serait sans doute le dernier clou dans le cercueil des ambitions européennes.

Quel avenir se dessine pour l'Union européenne après cette prise de position de la chancelière Allemande ?

Même si une telle réforme institutionnelle de l’Union européenne n’aboutit pas dans des délais courts, c’est déjà rassurant qu’Angela Merkel commence à évoquer cette idée pour contrer le trouble jeté dans les esprits et sur les marchés financiers par la décision de la Cour constitutionnelle allemande. Elle rejoint du coup le processus, déjà lancé, en particulier à l’initiative d’Emmanuel Macron, de discussion sur l’avenir de l’Union. Ces discussions qui restaient jusqu’ici dans l’ombre risquent de prendre un tour nouveau.

Par contre, dans le camp conservateur allemand, Angela Merkel risque d’être encore une fois la seule à disposer de cette capacité à concilier l’apaisement des craintes de ses électeurs et la disposition à préserver l’Union européenne et de la renforcer. En principe, c’est vraiment le dernier mandat d’Angela Merkel, et je ne suis pas sûr que son remplaçant ait l’autorité pour avancer vers ce qui apparait inévitable, cette intégration renforcée à laquelle oblige l’Euro.

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