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Andrew Jackson, le président américain dont l'histoire indique comment pourrait finir la présidence Trump
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Dans son bureau de la Maison Blanche, Donald Trump s'est placé sous le regard d'Andrew Jackson, atypique président populiste dont il espère s'inspirer. Mais c'est peut être un héritage impossible pour le nouveau président des Etats-Unis...

En Histoire des idées politiques il convient de ne pas confondre l'héritage, la succession et la tradition avec ce qui s'avère trop souvent relever de la récupération opportuniste, de la référence obligée, voire de la reconstitution tantôt sincèrement paranoïaque, tantôt franchement déloyale. Mais il est aussi des filiations politiques qui savent s'imposer assez immédiatement à l'esprit, en particulier quand celles-ci sont explicitement revendiquées alors mêmes qu'elles seraient loin de participer d'un consensus mythologique national. Elles s'incarnent dans des gestes, des discours mais plus volontiers encore dans des images. Ici il est question d'une double image ou plutôt d'une mise en abîme d'une image : celle du Président Jackson et celle du Président Trump devant celle du président Jackson.

La décision de Donald Trump, nouvellement investi à la magistrature présidentielle, d'honorer le célèbre Bureau ovale de l'effigie d'Andrew Jackson, alors même que celle-ci disparaissait précisément des billets de vingt dollars l'année même de son élection au profit d'Harriet Tubman (surnommée la Moïse noire), héroïne de la cause anti-esclavagiste, ne pouvait que valider l'image que le candidat devenu président s'était efforcé de donner de lui même ces derniers mois : le champion de dérapages politiquement incorrects savamment exécutés en direction d'une Amérique blanche tout à la fois inquiète, humiliée et revancharde. Lors d'un discours tenu en l'honneur du Vice-président Pence, le président s’enorgueillit de ce que ses supporters lui confiaient : "there hasn't been anything like this since Andrew Jackson" ; il semblerait par ailleurs que le quarante-cinquième président des États-Unis ait plusieurs fois exprimé – dans des cercles plus ou moins larges – sa grande admiration pour son prédécesseur.
On attendra tout de même un peu, pour un homme qui fut essentiellement versé dans les affaires immobilières, la télé-réalité et l'utilisation intempestives des réseaux sociaux, l'expression d'une véritable doctrine politique et constitutionnelle, dût-elle demeurer à l'état de pratique ; mais sa volonté – ou la volonté de ceux qui le conseillent – d'inscrire son mandat sous le regard d'Andrew Jackson est évidente.

Andrew Jackson au Bureau ovale

Le septième président des États-Unis passe pour une figure essentielle – en tout cas fondatrice - du populisme américain ; une sensibilité politique, sinon un courant de pensée, assez marginale dans une culture politique et juridique profondément libérale qui vénère sa propre constitution, qui n'appréhende pas les inégalités sociales comme illégitimes a priori et dans laquelle l'essentiel du marché des idées est absorbé - et en quelque sorte digéré - par les deux grands partis, eux-mêmes contrôlés par une élite économique et culturelle formée dans les grandes universités de l'Ivy League. Le People's Party, issu des ligues agrariennes de la fin du XIXe siècle, et plus proche de nous le Tea Party, marquèrent sans doute la vie politique américaine ; mais enfin ils sont restés, en dépit de leurs succès, des mouvements de protestation. Andrew Jackson, lui, exerça le pouvoir, le temps de deux mandats, entre 1829 et 1837.

Le jacksonisme ne saurait se réduire à l'expérience présidentielle d'Andrew Jackson. S'il est une sensibilité politique, celle-ci s'est exprimée avant et après lui ; seulement elle s'est incarnée pour l'Histoire, comme d'autres et face à d'autres, dans l’œuvre et la pratique du président Jackson.

Ses origines modestes (il prétendait être né dans une cabane), sa dureté de caractère trempé dans une solide carrière militaire (ses soldats le surnommaient Old Hickory, car il passait pour être dur comme le vieux noyer), son autorité fondée sur le fait majoritaire (son premier message au Congrès en 1829 fut marqué par la formule "majority is to govern"), son mépris des droits des Indiens (il fut le responsable du "Trail of Tears" des Cherokees expulsés de Géorgie), en font à l'évidence – à l'exception hélas de la tragédie indienne qui fut une œuvre longue et collective – un président à part dans l'Histoire politique et constitutionnelle américaine ; seul Richard Nixon peut-être, qui entendait gouverner au nom de la "great silent majority", pouvait jusque-là prétendre incarner un peu de l'héritage jacksonien.

Mais le populisme jacksonien révèle une double singularité. Il se distingue d'abord très franchement du populisme autoritaire européen : si Andrew Jackson fut peut-être le premier président fort des États-Unis (notamment par son usage du veto présidentiel non plus fondé sur des motifs d'inconstitutionnalité mais d'opportunité politique, ainsi que par l'institution du spoils system dans l'administration), son legs demeure profondément américain et s'enracine dans une civilisation libérale où la remise en cause de la propriété et de la liberté individuelle, ainsi que des institutions qui les portent, ne relève pas du délibérable. Le jacksonisme se distingue ensuite subtilement des autres populismes américains (même si des liens existent évidemment) notamment du libertarianisme, tel qu'il peut être porté aujourd'hui par exemple par certaines voix du Tea Party : Jackson était certes un anti-fédéraliste, et en cela favorable à un gouvernement fédéral frugal, mais il s'agissait moins pour Old Hickory de protéger les droits de l'individu et des États fédérés que ceux de la classe des "humble members of the society". 

Donald Trump sous le portrait d'Andrew Jackson

C'est cette composante authentiquement égalitaire qui caractérise le jacksonisme. D'abord la présidence d'Andrew Jackson a correspondu historiquement à une universalisation du suffrage, certes limitée aux hommes blancs, avec l'abolition progressive de la condition de propriété. Le Président n'en fut en rien responsable, cette question relevant, aujourd'hui comme hier, de la compétence des États, mais il inscrit la présidence américaine comme une institution exprimant le pouvoir populaire et contrebalançant celui des Members of Congress.

Cette dimension sociale est fondamentale dans le jacksonisme. Car la révolution américaine que Jackson avait lui-même éprouvé dans sa chair (il fut emprisonné et torturé par les Anglais) exigeait que le peuple américain fut libéré certes de la puissance coloniale britannique qui l'opprimait mais également de sa propre aristocratie, dont le goût pour l'industrie et la finance la rapprochait dans le vice et la corruption de l'élite de la City. Son acharnement à éliminer la Banque des États-Unis fut la manifestation la plus éclatante de sa lutte contre les élites de la Nouvelle-Angleterre.

Tout comme on aurait tort de réduire le jaksonisme à une démagogie flattant les masses, peut être devrait-on prendre davantage au sérieux la composante démocratique du discours – car il n'est encore aujourd'hui qu'un discours – du Président Trump. Il est également très certainement hostile au politiquement correct, vu comme un instrument de domination culturelle des minorités, à l'immigration et à l'Islam ; une hostilité qui a trouvé rapidement une manifestation dans la signature de trois executive orders sur l'immigration les 25 et 27 janvier dernier. Ces mesures sont évidemment fort critiquables au regard des principes même de la loi et de la Constitution américaine. Mais comme on pouvait s'y attendre, les contre-pouvoirs – notamment judiciaires – semblent fonctionner.

Le jacksonisme démocratique d'un Donald Trump s'exprime surtout dans sa rhétorique anti-establishment et anti-libre-échangiste ; ce libre-échange qui détruit la classe moyenne américaine depuis près de trente ans. Que ce discours soit porté par un multimillionnaire excentrique (sans doute raciste et misogyne) est certes piquant mais au fond assez secondaire, le régime oligarchique se définissant moins par le règne des riches que par l'abandon des humbles. C'est dans ce discours que gît véritablement le sens profond de la conception jacksonienne des rapports entre l’État, la Nation américaine et le Monde : celui-là dit que les États-Unis, même peut-être mus par une destinée particulière, sont surtout et avant tout l’État-nation des citoyens américains. Il conforte sans doute l’unilatéralisme ; il condamne aussi l'impérialisme. En ce sens, le slogan "Make America great again" sonne paradoxalement comme un appel à la sécularisation de l'Amérique et des mythes qui l'ont fondé.

Rien n'indique aujourd'hui que Donald Trump sera un nouveau Andrew Jackson. Et d'ailleurs l'effet de sidération provoqué par son élection souligne les fractures et les ruptures que l'on voudrait voir, au fond, bien nettes ; il masque pourtant des permanences et des continuations qui ne sont pourtant pas si tenues. Jackson fut un continuateur, en moins convenable et plus grossier certes, mais un continuateur à bien des égards, du sage Jefferson (qui figure, lui, au panthéon du Mont Rushmore), à la fois dans leur idéal commun de fonder une république de petits propriétaires terriens et dans leur conception également commune d'une institution présidentielle proche du "common man". Donald Trump est à présent, si l'on consent à le voir, un continuateur de Barack Obama, au moins dans sa volonté d'une part de mettre fin à l'hémorragie industrielle des États-Unis, d'autre part de se désengager des affaires du Monde. 

Non, rien n'indique que Donald Trump sera un nouveau Andrew Jackson. Mais précisément, nul ne sait encore si il sera jugé pour ne l'avoir que trop été, ou pour l'avoir trahi.

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