Anatomie des secrets policiers : l’assassinat du Père Jacques Hamel<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo du père Jacques Hamel, lors d'une cérémonie d'hommage.
Une photo du père Jacques Hamel, lors d'une cérémonie d'hommage.
©MARCO ZEPPETELLA / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Jouary publie "Secret défense, le livre noir" aux éditions Max Milo. Qu’est-ce que le secret-défense ? Qui décrète ce niveau d’habilitation ? Jusqu’où peut-il faire obstacle à la justice ? Est-il tout-puissant ? Extrait 2/2.

Pascal Jouary

Pascal Jouary

Pascal Jouary est journaliste indépendant. Il a publié "Secret défense, le livre noir" aux éditions Max Milo.

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Dans l’affaire de l’attentat de l’Hypercacher, le secret-défense trahit la répugnance des forces de l’ordre à reconnaître leur participation à des événements qu’elles pensaient maîtriser ou qu’elles n’avaient pas correctement évalué. Si certains feignent d’être les organisateurs des mystères parce qu’ils les dépassent, les gendarmes, quand ils sont dépassés par les mystères qu’ils ont créés, n’hésitent pas à solliciter le secret-défense pour feindre de n’en pas être les organisateurs.

Cette cape d’invisibilité, ce prétexte de « l’incommunicable », cette astuce du secret-défense servent plus largement à couvrir les événements que, sans les avoir suscités, la police pensait maîtriser. De tels cas se présentent quand des individus dupent la surveillance – si étroite soit-elle censée être – dont ils font l’objet afin de commettre les atrocités que, précisément, la police devait prévenir. Plutôt que de reconnaître des limites administratives ou humaines, quand tonne l’orage médiatique, les forces de l’ordre préfèrent se couvrir sous le parapluie du secret-défense. C’est suffisant pour empêcher une condamnation unanime et de sévères mais justes sanctions ; ce n’est pas du tout suffisant pour laver la faute de l’institution… surtout quand le secret-défense semble doublement coupable, en amont et en interne, d’avoir permis qu’advienne le drame ; en aval et en public, en tâchant de dissimuler la faute mortelle.

Dans la cohorte d’affaires illustrant ces doubles dérapages, interne et public, une histoire sort du lot – celle de l’assassinat du Père Jacques Hamel, en 2016. Cet homicide terroriste a permis, a minima, de libérer pour partie une parole nécessaire à la révélation de dysfonctionnements graves dans le renseignement français. Pourtant, elle démarre sur une question concrète, qui se pose presque toujours après les drames qui secouent l’opinion : la mort d’un innocent pouvait-elle être évitée ? Sous la banalité apparente de l’interrogation pointe une autre question, au cœur de notre livre. La lourdeur administrative du secret-défense aurait-elle pas empêché les forces de l’ordre d’intervenir à temps pour sauver un prêtre catholique de fanatiques en quête d’un coup d’éclat révoltant à souhait ?

C’est ce que suggèrent des témoignages livrés à Mediapart. Selon le cyberjournal d’investigation, Adel Kermiche, l’un des assassins, avait été repéré une semaine avant le massacre. Or, non seulement la note qui le pointait n’est jamais parvenue à la DGSI, mais elle a été ensuite caviardée pour masquer la bévue, puis postdatée. Une forgerie de plus dans la longue histoire des trucages grossiers que certaines institutions s’autorisent au nom du secret-défense !

Le 21 juillet 2016, soit cinq jours avant l’assassinat du Père Hamel dans l’église où il célébrait la messe, un policier de la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police de Paris (DRPP), chargé de la veille informatique des activités djihadistes, repère sur la messagerie Telegram une chaîne baptisée – pour ainsi dire – « la vérité et la preuve », animée par @Jayyed. Derrière ce pseudo, un homme : Adel Kermiche. En remontant le fil des publications, le policier découvre un message datant du 17 juillet dans lequel le djihadiste se vante de ne pas être démasqué par les services secrets.

« L’information reste coincée, confirme un policier à Mediapart. Dès que ce qu’on écrit est classé secret-défense, il y a trop de contrôles, trop de lecture, trop de chefs qui souhaitent corriger les notes, apporter leur grain de sel, se donner l’impression d’y conférer de la valeur ajoutée. Ils retiennent les notes parce qu’une virgule est mal placée. On privilégie la satisfaction du supérieur N + 1, on oublie le caractère opérationnel de la note. » Avec plus de réactivité (moins, c’était difficile), le drame aurait pu être évité.

À son tour, Le Canard enchaîné a décrypté l’enchaînement des événements. Le 21 juillet, la DRPP repère Adel Kermiche. Peu après l’assassinat, la note en question est truquée, obligeant l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) à ouvrir une enquête pour « faux et usage de faux ». Or, le Canard prouve que les espions de la Préfecture n’étaient pas les seuls dans la boucle. Des agents de la Direction du renseignement militaire (DRM) « se sont infiltrés sur la chaîne de propagande ». Les 22, 25 et 26 juillet, ils rédigent trois notes qui rapportent « les propos menaçants du terroriste à l’encontre des églises ». Ces notes arrivent sur le bureau de la cellule Allat au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Sauf que ces notes sont classifiées secret-défense. Cela devrait accélérer leur traitement en trahissant leur gravité : il n’en sera rien. Leur classification limite les possibilités de lecture.

Et ce n’est pas tout ! Dès le 21 juillet, le Service central du renseignement territorial (SCRT) a transmis une note « à tous les services de police », annonçant qu’une certain Jayyed appelait à commettre des attentats contre des lieux de culte français. Pour illustrer leur propos, les agents joignaient une photo d’Adel Kermiche. Insuffisant pour ouvrir la procédure d’urgence qui aurait permis de prévenir l’état-major de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et, possiblement, d’engager les moyens permettant d’empêcher Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean de tuer le Père Hamel.

En 2020, les deux enquêtes déclenchées suite au crime sont bouclées. L’enquête pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » entraîne la mise en examen de trois hommes : un certain Farid, cousin d’un des assassins, accusé de n’avoir pas empêché un crime dont il avait connaissance ; un certain Yassine, qui avait rejoint les deux assassins avant de les quitter la veille des faits ; et Jean-Philippe Steven, arrêté avant le drame en Turquie en compagnie d’Abdel Malik Petitjean, alors que les deux hommes essayaient de gagner la Syrie. Le procès est prévu du 14 février au 11 mars 2022, devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Le 18 mai 2018, l’enquête pour forgerie ouverte par l’IGPN a été classée sans suite par le parquet de Paris. Sur le fond, les attaques de Mediapart sont confirmées : oui, un policier de la DRPP a rédigé une note évoquant une « attaque dans une église » et « mentionnant Saint-Étienne du Rouvray » ; mais il n’est pas prouvé que l’auteur « ait postdaté deux documents » suite aux pressions de sa hiérarchie. Prévaut le scénario présenté par la Préfecture, qui s’attache à nier, point par point, le bienfondé des accusations.

L’annonce d’un attentat ? Faux, la note n’aurait pas pointé « l’imminence d’un passage à l’acte » et « encore moins [c’est pourtant difficile] le ciblage d’un lieu précis ». La mention de l’endroit ? La ville de SaintÉtienne-du-Rouvray n’est citée qu’à propos d’un homme « se vantant de donner des cours à la mosquée » locale et invitant « les fidèles à le rejoindre dans le but de former un groupe à vocation terroriste ». Le faux ? Après l’attentat, « la DRPP a informé oralement les services enquêteurs et a rédigé une nouvelle note datée du 26 juillet ». Les deux documents, à défaut d’être communicables, existent toujours puisqu’ils sont « enregistrés et traçables dans les serveurs de la DRPP ». En tout état de cause, « aucune infraction pénale » n’a été relevée.

Or, c’est là que le rasoir à deux lames du secret-défense intervient. Après avoir possiblement expliqué la lenteur de la procédure et le manque de réactivité des nombreux services impliqués, la classification revient couvrir les documents de la DRPP et les rendre incommunicables. Une plainte a bien été déposée par l’avocat d’une partie civiles, sollicitant « la déclassification totale des documents classés secret-défense ». Sans succès. Et puis quoi encore ?

Cinq ans après l’assassinat du prêtre de 85 ans, le ministre de l’Intérieur et un maire communiste sont venus se pavaner sur le site du drame. Cet exercice de communication, lui, n’était pas couvert par le secret-défense. Au contraire.

A lire aussi : Attentats du 13 novembre 2015 - secret défense : anatomie des secrets antiterroristes

Extrait du livre Pascal Jouary, "Secret défense, le livre noir", publié aux éditions Max Milo

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