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Amazon contre le reste du monde : pourquoi la rapidité d’évolution des entreprises "online" dépasse les capacités des autorités de concurrence et comment la vieille économie paye les pots cassés
©Universal Pictures International France

Fast & furious

Aux Etats-Unis, l'autorité de la concurrence a bloqué la fusion d'Office Depot et Staples, deux géants des fournitures de bureau. Ces derniers souhaitaient fusionner pour se protéger de l'expansion galopante d'Amazon. Mais l'autorité de la concurrence a considéré que les deux entreprises auraient bénéficié du monopole des fournitures de bureau, ce qui aurait pu nuire à d'autres petites structures.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Atlantico : Aux Etats-Unis, ce n'est pas la première fois qu'une "méga-fusion" est annulée par l'autorité de la concurrence. Cependant, le cas d'espèce semble favoriser une entreprise, Amazon, qui paraît représenter une menace bien plus importante pour la concurrence. Comment expliquer un tel choix ?

Olivier Babeau : Je ne crois pas qu’il faille y voir une volonté particulière de favoriser Amazon de la part de la FTC. Elle ne fait en l’occurrence qu’appliquer la règle qui veut, pour simplifier, que la présence d’un acteur sur un marché ne soit prise en compte que lorsqu’elle est présente ou imminente. Dans le cas d’Amazon, il faut convenir que ce n’est pas encore le cas : ils ne sont pas encore sur le marché de gros adressé par Office Depot et Staples. D’où l’interdiction de la fusion de ces derniers, qui aurait créé un monopole. Mais c’est là sans doute que les règles pensées pour l’économie traditionnelle sont quelque peu dépassées par le contexte numérique : tous les analystes s’accordent à dire qu’Amazon, qui a prouvé depuis sa création son extraordinaire capacité de croissance par diversification et vient tout récemment d’effectuer une entrée fracassante dans le cinéma, devrait bientôt viser les marchés du service à la personne et des services aux entreprises. Sur un segment important de ce dernier marché, ils sont même déjà le plus gros acteur mondial avec Amazon Web Services, leur offre de cloud.

Plus largement, quelles sont les principales difficultés rencontrées par les autorités pour réguler le secteur "online" ? En quoi les rapides avancées technologiques devancent-elles les capacités de réaction des autorités ? Celles-ci ont-elles réellement les moyens de s'adapter ?

Il est exact que, de façon générale, le temps de l’économie et celui de la justice sont aujourd’hui en profond décalage. C’est même, de mon point de vue, l’un des leviers de progression d’une bonne partie des grands disrupteurs numériques, Uber en tête : ils procèdent par transgression. En conquérant des territoires à la faveur d’une sorte de blitzkrieg commercial, ils savent bien que, le temps que leurs transgressions soient jugées, ils auront toujours réussi à faire bouger les lignes. Cette tactique est d’autant plus payante que la dématérialisation permise par le numérique permet des développements commerciaux mille fois plus rapides qu’autrefois. Par exemple, une entreprise peut, en utilisant un service cloud, acquérir très rapidement une capacité informatique qui aurait été totalement hors de sa portée (pour des raisons de coût et de temps d’implantation) autrefois. Le développement éclair des Airbnb et autre Netflix a reposé sur le cloud, il ne faut pas l’oublier. Pour les autorités qui veillent à la concurrence, il est évidemment difficile d’instruire les dossiers, qui sont souvent complexes et doivent laisser la place à une approche contradictoire, aussi rapidement. D’autant plus qu’en business comme dans la vie courante, on ne doit pas faire de procès d’intention : on ne peut pas sanctionner a priori un acte irrégulier que l’on n’a pas encore fait, même si l’on y pense très fort !

Il y a 20 ans, la société Amazon était une petite librairie en ligne. Désormais, elle est estimée à près de 350 milliards de dollars sur le marché boursier. Des dizaines de fois plus grosse que l'évaluation hypothétique de la fusion entre Office Dépôt et Staples. A l'heure de l'achat 2.0, comment les entreprises ayant des entrepôts et des boutiques peuvent-elles encore concurrencer les géants du marché online ?

Dans les premières années du développement d’Internet, beaucoup d’observateurs ont prédit la mort rapide des magasins et des acteurs "en dur" au profit des pure players du Web. Avec les quelques années de recul que nous commençons à avoir, nous nous apercevons qu’Internet ne signifie pas la mort des magasins, mais leur transformation. Les pratiques d’achats cross-canaux se sont développées : achat en ligne et livraison en magasin, ou le contraire. A l’heure du numérique, et même s’il ne faut pas négliger le formidable développement de la livraison à domicile, les magasins de proximités accomplissent un retour remarquable, aux dépens des grandes surfaces situées en périphérie des agglomérations. Les courses du samedi après-midi dans l’hypermarché éloigné du centre-ville ont moins la cote, on préfère fréquenter plus souvent des supermarchés urbains plus petits. Ajoutons que pour se différencier d’Internet, les magasins mettent désormais l’accent sur leurs vraies valeurs ajoutées : le conseil bien sûr, la possibilité de toucher le produit et de le tester, mais aussi l’expérience d’achat en tant que telle (ambiance du magasin, qualités esthétiques particulières, etc.).

Diana L. Moss, la présidente de l'Institut de l'Antitrust américain a considéré qu'un site de vente en ligne n'est pas nécessairement sur le marché de la vente en gros sur Internet. Or, face à l'appétit grandissant d'Amazon, comment s'assurer que l'entreprise n'interviendra pas, à la longue, sur ce type de marché ?

Il me semble assez certain qu’Amazon finira par s’attaquer à ce marché, qui représente un potentiel important et qui a l’avantage de mettre en relation avec des clients (les entreprises) avec qui il est possible de développer des relations récurrentes. Certes, les quantités achetées, les infrastructures logistiques et les logiques d’achat sont très différentes, mais encore une fois les entreprises ne sont déjà pas terra incognita pour Amazon, qui en a des millions comme clientes. C’est d’ailleurs, plus généralement, la caractéristique la plus notable des GAFA que d’être capables de s’attaquer à un peu près n’importe quel marché, tant leur vision est à la fois large et de long terme : banque, santé, assurance, cinéma, etc. La liste est déjà longue des secteurs où leur arrivée a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Et ce n’est pas fini. Le cœur de la vocation d’Amazon est clairement d’être une plateforme universelle de fourniture de tous les produits physiques (et demain des services) que les clients pourraient souhaiter. Avec un tel programme, Amazon n’a pas fini de défrayer la chronique économique.

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