Alors Inflation, oui ou non ? Entre la FED et la BCE, le débat part dans tous les sens, ce qui détériore la visibilité des entreprises <!-- --> | Atlantico.fr
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Baisse du pouvoir d'achat illustrée, Photo AFP
Baisse du pouvoir d'achat illustrée, Photo AFP
©MORITZ FRANKENBERG / DPA / AFP

Atlantico Business

Entre la Fed et la BCE, entre ceux qui pleurent sur le Nutella trop cher et ceux qui grognent contre le différentiel de taux entre l’Europe et les Etats- unis, le monde des affaires appréhende le risque d’une inflation par les salaires et au prix de la transition écologique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Dans la semaine, le débat sur l’inflation est parti dans tous les sens. On a vu la Réserve fédérale des Etats-Unis jouer la prudence et lâcher un peu la pression sur les taux, considérant que les risques d’une inflation généralisée sont désormais écartés. Le diagnostic de la Banque centrale européenne est différent. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a donc comme on s’y attendait accru la pression à la hausse des taux sur l’Euro en expliquant que si le pic de l’inflation était passé sur l’énergie et les produits alimentaires de base, il restait des incertitudes à moyen terme liées à la guerre en Ukraine, mais aussi sur les salaires. Donc pas question de lâcher prise en Europe avant plusieurs mois. Faut dire que l’Europe avait démarré plus tard que les Etats Unis. Alors que Washington a maintenu ses taux a 5,5 %, Francfort a relevé les siens à 3, 5% et ne dément pas vouloir continuer.

Ce débat a des conséquences immédiates sur l’évolution de l’activité. En donnant de l’oxygène au crédit, la Réserve fédérale laisse à Joe Biden la possibilité d’espérer une consolidation de l'activité, ce qui lui sera favorable dans la campagne électorale qui va s’ouvrir. Mais en Europe, on surveille le risque  inverse : les taux d’intérêt freinent la distribution de crédit, les banques européennes sont bloquées par les taux et les garanties  mises en place pour les autorités de contrôle, plus vigilantes qu’aux Etats-Unis, d’où un effet sur la conjoncture. Les prévisions de croissance en Europe pour 2023 sont inférieures à celles qui sont retenues outre-Atlantique.

Les nuages s’amoncellent particulièrement sur l’immobilier ou plus de la moitié des projets d’acquisitions ont été annulés par les clients. Les professionnels de la promotion n’ont jamais été aussi inquiets, alors que le besoin de logements est considérable. En France, Il nous faudrait presque 400 000 logements neufs par an, on n’en est actuellement à moins de 250 000. D’où une mesure d’assouplissement sur le crédit pour les investisseurs locatifs. Mais l’ensemble des acteurs du système de production appréhendent des difficultés de trésorerie dans les six mois qui viennent. Le cabinet Arc qui est le spécialiste en France du recouvrement de créances, note que les délais de paiements ont tendance à s'allonger selon l’enquête réalisée avec L’IFOP en mai dernier. Comme très souvent, le délai de paiement sert de variable d’ajustement ce qui annonce des difficultés de financement donc de ralentissement de l’activité.

D’ailleurs du côté de Bercy, on n’est pas euphorique. On confirme que le reflux des prix à la consommation annonce des jours meilleurs certes mais pas de baisse de prix, plutôt une baisse de la hausse. 

Bruno Le Maire reste sur la ligne qui est la sienne. La poussée inflationniste qu’on vit depuis presque un an est imputable à des facteurs exceptionnels : le rattrapage au lendemain de la crise du covid et la levée des confinements, a provoqué un boom de la demande. La guerre en Ukraine a provoqué un resserrement de l’offre d’énergie et de biens alimentaires de base (le blé notamment). Tous ces facteurs-là ont entraîné des poussées de fièvre dans beaucoup de secteurs, mais il s’avère qu’aujourd'hui, cette fièvre est en partie tombée. Le pic est passé.

Le ministre de l'économie français, comme beaucoup d’analystes, considère que cette inflation exceptionnelle ne pouvait pas se  propager comme  un feu de forêt au reste de l’économie et notamment aux salaires. Ce qui aurait été particulièrement dangereux.

Ça n’a pas été le cas aux Etats-Unis. On pense que ça ne sera pas le cas en Europe même si la Banque centrale européenne le craint.  

Il existe en effet aujourd’hui dans les entreprises un début de revendication salariale qui est principalement alimenté par les tensions sur le marché de l’emploi. Les rapports de force sont en train de changer dans les entreprises au profit des salariés. Les chefs d’entreprises savent que désormais s’ils veulent fidéliser leurs collaborateurs, il va falloir les payer davantage. Or les marges ne le permettent pas dans tous les secteurs. Pour désamorcer un mouvement de fond, le ministère de l’économie a encouragé le déblocage de l’épargne salariale et les versements en primes de participations ou d’intéressement. Si la demande de revenu reste au niveau actuel, le système pourra les absorber grâce à la productivité. Mais si la demande de revenu va au-delà de ces primes de participation, on va entrer dans un engrenage qui serait à terme pénalisant. C’est évidemment cet engrenage là que la Banque centrale européenne veut éviter en gardant le pied sur le frein. 

Les analystes financiers, les économistes et quelques responsables politiques qui connaissent un peu la mécanique, ont très peur de l’inflation à long terme qui sera forcément générée par la transition énergétique, climatique et environnementale. La semaine passée a été consacrée au lancement de toutes une série de projets : des fabrications de batteries électriques en Europe à la relocalisation de l’industrie du médicament, en passant par la décarbonatation qui sera favorisée par le digital (Viva tech) , ou la mise au point d’une aéronautique qui tournera le dos aux énergies fossiles. Les projets sont nombreux et d’envergure ;  mais on a soigneusement évité de parler précisément de leurs coûts.

Or, la rénovation des logements pour mettre à niveau des normes énergétiques, l’immense majorité du parc immobilier ancien va présenter une facture colossale pendant près de 20 ans. La transformation des moyens de mobilité, par l’abandon des énergies fossiles au profit  des énergies propres, va entraîner des dépenses gigantesques. Dans le nucléaire, l’hydrogène, l’éolien et les biocarburants, cette révolution va coûter des fortunes. La transformation des systèmes de production… Toutes ces mutations-là sont tellement ambitieuses qu’on aura évidemment du mal à atteindre les objectifs de décarbonation en 2050 puisque tel est l’engagement pris par les politiques pour enrayer le réchauffement climatique de la planète. En France on estime le coût de la transformation à près de 50 milliards d’euros par an pendant les 30 prochaines années. 

Qui va payer ?

- Les entreprises ? Elles n’en ont pas la possibilité, leurs marges sont insuffisantes. 

- L’Etat ? Il n'en a pas les moyens, sauf à faire des arbitrages impossibles, sinon il les aurait déjà faits. De toute façon, si l'État doit financer la transition, il le fera principalement par l’impôt donc c’est le contribuable qui paiera directement. Le contribuable ou le consommateur mais c’est souvent la même et seule personne.

Au final, c’est donc Le consommateur qui paiera. Mais ce consommateur est aussi celui qui milite pour une planète plus verte. 

Sans le savoir, le consommateur militant écolo nage en pleine contradiction entre sa demande légitime de consommer et son objectif de protéger son pouvoir d’achat. Généralement ce type de contradiction débouche sur une crise sociale et politique ou alors débouche sur de l’inflation structurelle. 

Tout est gérable. Les trente glorieuses au siècle dernier ont été financées par de l’inflation et personne ne s’en est plaint jusqu’à la crise politique violente, que le général de Gaulle à amortie. Mais à l’époque, la démographie était plus jeune. Aujourd ‘hui  la démographie a vieillie avec un poids des seniors beaucoup plus lourd. Or si l’inflation est supportable par les jeunes qui peuvent compenser par du salaire ou le crédit, elle ne l’est pas par les rentiers parce que l’inflation les ruine. C’est le risque que nous courrons dans les trente prochaines années. Pour financer cette transition écologique, c’est l’épargne accumulée sous toutes ses formes par les seniors qu’il faudra entamer. Politiquement ça n’est pas gagné.

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