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Alerte au cancer : la Covid-19 a gravement désorganisé détection et traitements
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Impact du coronavirus

La crise du coronavirus a fortement impacté la recherche et les soins pour le cancer. Les dons pour la recherche ont également chuté. La remobilisation générale est-elle possible ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Axel Kahn

Axel Kahn

Axel Kahn est Président de la Ligue contre le cancer. Il a été à la tête de l'Université Paris Descartes de 2007 à 2011.

Axel Kahn est l’auteur d’une vingtaine de livres dont plusieurs ont été des bestsellers, notamment Et l’homme dans tout ça ? (NiL, 2000), Comme deux frères. Mémoire et visions croisées, avec Jean-François Kahn (Stock, 2006), L’Homme, ce roseau pensant (NiL, 2007),"Être humain, pleinement", (Editions Stock, 2016).

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Atlantico.fr : En quoi la crise du coronavirus a-t-elle impacté la recherche sur le cancer ? 

Axel Kahn : Durant la période de la Covid-19, les activités de recherche nationale, publiques et privées, ont été interrompues, comme pratiquement toute vie professionnelle dans le pays. toutes les expérimentations en cours ont cessé, les chercheurs seniors aussi bien que les plus jeunes post-doctorants et doctorants, n’ont pu venir au laboratoire. Cela n’est pas propre au cancer, bien entendu. La seule recherche qui ait été sauvegardée, on le comprend sans peine, est celle ayant comme objectif le développement d’un vaccin ou de traitements contre la Covid-19.

En France, la part du financement associatif en faveur de la recherche sur le cancer est extrêmement importante. Pour donner une idée, la Ligue nationale contre le cancer y consacre 38M€ tous les ans et la fondation Arc environ 24M€. Des contrats dans le domaine du cancer sont également obtenus auprès de la Fondation pour la Recherche médicale, la Fondation de France et de multiples associations moins importantes. Par comparaison, le budget de recherche de l’Institut national du cancer (INCa) est de l’ordre de 24M€. Or, la générosité publique s’est effondrée durant la période de la Covid et les perspectives pour l’année sont très mauvaises du fait de l’inquiétude généralisée quant à l’évolution de la situation économique et du pouvoir d’achat des personnes.

A la Ligue nationale contre le cancer, la chute des dons est de l’ordre de 30%.

Des décisions budgétaires très douloureuses ont dû être prises dans le soutien à la recherche. La Ligue s’est efforcée de protéger en première priorité la couverture des salaires de plusieurs centaines de jeunes chercheurs doctorants, l’avenir de la recherche en cancérologie en France.

Pourquoi l'impact du coronavirus sur la recherche sur le cancer semble avoir été particulièrement ressenti en France ? 

Axel Kahn : La France ne semble pas particulièrement impactée par le phénomène de l’effondrement de la générosité publique comparée à d’autres pays.

Ainsi, l’association américaine de cancérologie vient-elle dans un communiqué d’annoncer une réduction de ses effectifs de 1.000 membres ! A ma connaissance, le tableau décrit pour la France vaut pour la plupart des autres grands pays de recherche affectés par la pandémie.

D'autres domaines de la recherche ont-ils été également touchés par cette crise ? Comment pouvons nous les faire redémarrer ?

Axel Kahn : Sans doute tous les domaines de la recherche ont dû être affectés en dehors de ceux de la recherche sur les maladies infectieuses, les traitements et les vaccins. Cependant, le cancer et les maladies génétiques sont sans doute les deux thématiques où la part du financement associatif est la plus importante. Or elle s’est particulièrement effondrée.

Pour tenter de faire face à cet effondrement des dons, la Ligue contre le cancer a rappelé quelques évidences. La Covid-19 tuera sans doute autour de 40.000 personnes en France en 2020. les cancers sont responsables, tous les ans, du décès de 150.000 personnes. De plus, la situation des personnes malades du cancer s’est dégradée durant la crise de la Covid-19 : précarisation économique accrue, report des traitements, arrêt des dépistages, diminution des diagnostics…. La remobilisation générale est par conséquent une ardente nécessité.

En quoi la crise du coronavirus a-t-elle impacté les soins sur le cancer ? 

L'impact de la covid-19 est d’abord déterminé par la qualité de l'organisation du système de soins

Guy-André Pelouze : Pendant la phase maximale de la pandémie covid-19 tous les systèmes de soins ont connu des difficultés qu'il s'agisse de la médecine ambulatoire ou hospitalière. Le flux de patients covid-19 nécessite du temps médical et du temps infirmier et les patients graves occupent des lits. Dans ces conditions l'organisation des soins non covid-19 est modifiée pour privilégier les urgences tandis que les soins programmés sont partiellement ou totalement reportés. Le confinement, par ailleurs, modifie le comportement des patients en particulier ceux qui ne se savent pas atteint d'une maladie chronique comme le cancer. Le confinement retarde leur primo consultation; il est donc possible et même probable qu'il y ait des répercussions sur les délais de traitement des maladies chroniques et sur les résultats puisque ces délais permettent à la maladie de progresser. En plus le développement insuffisant des techniques de téléconsultation, de télédiagnostic n’a pas pu prendre le relais  pour les patients ayant des difficultés à se déplacer. Enfin la coordination des différents acteurs de soins est freinée en France par l'absence de tâches déléguées en particulier aux infirmières du secteur ambulatoire. Ces soignants connaissent parfaitement les patients donc ils ont la charge, ils se déplacent à leur domicile avec des outils diagnostic (mesure de la tension artérielle, du pouls, oxymétrie transcutanée, tests rapides à la recherche de sang dans les selles ou l’urine) et surtout observent d'éventuelles lésions. 

Pourquoi l'impact du coronavirus sur les soins du cancer  semble avoir été particulièrement ressenti en France ? 

Les patients atteints d'un cancer font partie des patients fragiles à protéger d'une contamination par le SARS-CoV-2

Guy-André Pelouze : Il est trop tôt pour savoir si les conséquences de la pandémie ont impacté certains pays plus que d'autres s'agissant des soins aux patients cancéreux. En revanche ce qui est certain c'est que les patients cancéreux sont des patients présentant des immunodéficiences, que celles-ci soient liées au développement de la tumeur ou au traitement anticancéreux. La littérature scientifique semble confirmer cette fragilité. En particulier la première publication chinoise sur le sujet dont les données sont résumées sur la figure N° 1. 

La question des données du système de soins encore une fois posée

Du point de vue des données disponibles, le NHS a récemment fait-le point des délais et des difficultés dans la prise en charge des patients cancéreux. Cette habitude du reporting est extrêmement utile en recherche clinique pour prendre des décisions appropriées. Nous n'avons pas la disponibilité de ces données en France.

Figure N°1: Cancer et covid-19. Événements graves parmi les patients sans cancer, les survivants du cancer et les patients atteints de cancer (A). Risque de développer des événements graves pour les patients atteints de cancer et les patients sans cancer (B); ICU = Réanimation.

Dans ce contexte il est utile de rappeler les recommandations qui ont été émises par Le Haut Conseil de Santé Publique concernant les patients atteints de cancer et pris en charge pendant cette pandémie covid-19.

“En résumé, les patients atteints de cancer courent un risque élevé de complications cliniques graves et urgentes et les patients avec un cancer et la COVID-19 devrait cesser leurs traitements anticancéreux systémiques jusqu'à complète résolution des symptômes (à la discrétion du clinicien). Si l'admission à l'hôpital est jugée nécessaire, le patient être admis dans les services impliqués dans la lutte contre la COVID-19 pour que l’oncologie et les services de radiothérapie restent des sanctuaires sans COVID-19. Pour les patients atteints de cancer sans COVID-19, les soins doivent être réduits au minimum et la gestion à la maison favorisée. Dans une situation où les établissements de soins disponibles sont rares, la priorité devrait concerner les patients pris en charge avec une intention thérapeutique et ceux ayant une espérance de vie de 5 ans ou plus, tout en  reconnaissant que les décisions finales incombent aux cliniciens référents. Les patients atteints de cancer doivent être étroitement surveillés en raison de leur sensibilité à l'infection par le SRAS-CoV-2.”.

D'autres domaines des soins ont-ils été également touchés par cette crise ? Comment pouvons-nous les faire redémarrer ?

Guy-André Pelouze : Je voudrais rappeler que l'évaluation dans divers pays du confinement indifférenciée prolongé n’est pas en faveur d’une efficacité maximale. Il y a des externalités négatives notamment concernant la durée de ce confinement. Le système de soins en particulier ambulatoire est fortement impacté et désorganisé dès que le confinement indifférencié se prolonge.

Dans ce contexte il est important de sécuriser tous les lieux de consultation afin que les patients ne s'engagent pas dans un comportement d'éviction qui se prolongerait après la fin du confinement et en raison de surcroît de la période estivale. Il y a donc une nécessité d’information, pour vaincre les appréhensions nées du risque de contamination.

Il est très important compte tenu de toutes ces contraintes que les patients privilégient la consultation de leur médecin traitant qui les connaît et va pouvoir mieux discerner des signes éventuels de gravité. Ce n'est pas aux urgences que ce travail minutieux peut-être fait dans de bonnes conditions.

Enfin, toutes les maladies chroniques en particulier les maladies cardio-vasculaires peuvent connaître une aggravation y compris chez les patients atteint de cancer et nous le savons maintenant en particulier si le patient a contracté le coronavirus. Avec la décrue du nombre de patients covid-19 toutes les ressources sont disponibles pour prendre en charge les patients qui s'aggravent.

Il est indispensable que nous disposions en France de tableaux de bord épidémiologiques mais aussi du système de soins programmés de façon à évaluer en temps réel ou avec un délai très court les conséquences inattendues d’événements catastrophiques comme une pandémie. Des indicateurs simples comme la chute du nombre de consultation en oncologie, combiné à d'autres indicateurs comme la consommation de certaines chimiothérapie permettrait de savoir quels sont les cancers qui ont été impactés. Au Royaume-Uni, par exemple, la chute des interventions chirurgicales tous patients confondus est impressionnante (Figure N° 2). Cette métrologie est un instrument de décision mais aussi une information capable de faire comprendre la nécessité de ne pas retarder maintenant les prises en charge.

Figure N°2: Impact de la covid-19 sur l’activité chirurgicale mensuelle tous patients confondus au Royaume Uni.

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