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Alain Madelin : "Plutôt adroit dans les réformes jusqu’à présent, le gouvernement est particulièrement maladroit en ce qui concerne la SNCF"
©ALAIN JOCARD / AFP

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L’ancien ministre de l'Economie déplore la gestion de l'exécutif sur la très médiatique réforme de la SNCF, affirmant notamment que le gouvernement a décidé de jouer la montre dans le dossier de l'ouverture à la concurrence.

Alain Madelin

Alain Madelin

Alain Madelin a été député, Ministre de l'Economie et des Finances et président du Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, avant d'intégrer l'UMP.

Il est l'auteur de Faut-il supprimer la carte scolaire ? (avec Gérard Aschieri, Magnard, 2009).

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Atlantico : Depuis que la réforme de la SNCF a été lancée par le gouvernement, le débat porte essentiellement sur le statut des cheminots et assez peu sur l'ouverture à la concurrence, qui constitue pourtant le volet central de ce projet de loi. Qu'en pensez-vous?

Alain Madelin : Je trouve que le gouvernement qui, jusqu'à présent, avait été plutôt adroit dans les réformes, est particulièrement maladroit en ce qui concerne la SNCF. Le vrai problème, aujourd'hui, c'est, d'une part, la clarification financière, une gestion plus responsable dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Et cette dernière peut être le levier des transformations de la SNCF. Or, on est dans une situation où la SNCF bénéficie d'une rente de monopole et est prisonnière des errements d'une gestion étatique, politisée, depuis longtemps. Le gouvernement, après avoir dit que la situation financière de la SNCF n'était plus tenable - ce qui est vrai -, qu'il fallait réformer - ce qui est vrai -, a dit : "le problème, c'est le statut". Et, on ne sait trop pour quelle raison, le gouvernement a proposé de supprimer le statut. Mais il n'y a rien sur les retraites, qui sont renvoyées à un autre débat. Donc, en réalité, c'est un projet de loi, non pas sur la réforme nécessaire de la SNCF dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, mais ce sont des ordonnances débouchant sur une loi visant essentiellement à supprimer le statut et à modifier par ailleurs la structure juridique de la SNCF, ce qui est évidemment souhaitable. Ceci accrédite l'idée - à laquelle je ne crois pas -, selon laquelle le président cherche une victoire décisive contre les syndicats. Au fond, c'est une épreuve de force un peu voulue afin de lui donner un brevet de réformateur courageux qui lui ouvrirait la voie d'autres réformes. C'est vrai que le statut des cheminots n'est pas populaire dans l'opinion : ils ont l'emploi à vie, on suppose qu'ils bénéficient d'un certain nombre de privilèges - sur les retraites, il faudrait sans doute être un peu plus nuancé depuis la réforme de 2008, il y a les fameux billets de train gratuits, la légende de la prime de charbon -. Mais c'est une question relativement subsidiaire, cette question du statut, par rapport à l'ouverture à la concurrence et aux réformes qu'il faut faire dans le cadre de cette ouverture à la concurrence. Et là, on reste sur notre faim. Le gouvernement devrait nous dire quelle est l'économie que l'on va faire, puisqu'il a lancé cette réforme du statut en disant qu'il y avait 50 milliards de dettes, etc. En réalité, on ne fera pas plus de 10 millions d'euros d'économies par an. C'est le statut des cheminots qui est mis en mesure principale d'une réforme qui en réalité doit porter sur des milliards d'euros.

Concernant le volet de l'ouverture à la concurrence, les mesures annoncées vous semblent-elles suffisamment ambitieuses pour être soutenues par les libéraux? Ou bien s'agit-il d'une réforme a minima, volontairement masquée par des polémiques teintées de populisme?

L'ouverture à la concurrence pose d'énormes problèmes sur la gestion de la SNCF, sur la clarification financière - qui, justement, permettra une gestion plus responsable -. À l'heure actuelle, on avance dans la suppression du statut des cheminots, mais on recule sur l'ouverture à la concurrence. Le gouvernement a dit lui-même qu'il se ralliait à l'ouverture très progressive du marché donc on joue au maximum la montre sur le calendrier de l'ouverture à la concurrence. Et je serais très intéressé de savoir de quoi on parle, puisque d'ores et déjà, on dit que toute une série d'obligations sociales pesant sur la SNCF seront portées dans le cahier des charges de la concurrence. Pourquoi pas, mais imaginons que l'on dise que l'on supprime le statut progressivement, sur plus de quarante ans pour l'ensemble du personnel - ce qui peut avoir des avantages dans le cadre de la concurrence puisque cela signifie que les nouveaux entrants des concurrents à la SNCF seront engagés à l'identique des nouveaux entrants à la SNCF. Ce qu'on appelle le statut des cheminots date d'une période où le chemin de fer était le fait de compagnies privées. Et c'était, à l'origine, le moyen de garder les cheminots et de compenser une astreinte de 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pendant 365 jours par an. Évidemment, la transformation de la SNCF en monopole a entraîné une conception corporatiste, sûrement, de ce statut des cheminots. Mais imaginons que toute une série des avantages de ce statut des cheminots reste dans une série d'accords qui sont propres à la SNCF - enlever le statut, mais un grand nombre des avantages sociaux restent dans les accords de la SNCF -, soient ensuite portés dans la convention collective commune aux chemins de fer - et donc applicable, le cas échéant, à la concurrence. Or, en ce moment, on est dans le flou le plus total sur l'application du système de la concurrence à l'intérieur de la SNCF. Comment se passera cette concurrence avec les différents types de nouveaux entrants ? La seule chose que je sache, c'est que le gouvernement a décidé de jouer la montre dans le dossier de l'ouverture à la concurrence.

De manière plus générale, la politique menée depuis un an par ce gouvernement vous semble-t-elle libérale ou non ? Les actions menées jusqu'ici vont-elles dans le même sens?

D'une façon globale, bien évidemment. Je la juge comme des petits libéraux sur la bonne route, même si, réforme par réforme, il m'arrive d'avoir des visions différentes des choses. Mais l'essentiel, sur un certain nombre de choses, c'est d'avancer. Et l'essentiel, surtout, sur la plupart de ces sujets, c'est d'introduire de la concurrence. Par exemple, dans la formation professionnelle - dans la réforme du financement -, on a introduit un début de concurrence. En réalité, on aurait peut-être pu faire plus. Dans l'Éducation nationale, on dit qu'il y aura un statut d'établissements autonomes. Il faut voir comment cela va se mettre en place mais c'est encore de la concurrence. Dans l'assurance santé, j'attends de voir. Renforcer le marché du logement pour qu'il soit plus concurrentiel, il faudra le faire. Bien évidemment, dans la réforme de l'État, ça impliquera, là encore, un peu de concurrence. Donc je crois que dans beaucoup d'activités qui sont aujourd'hui des activités de l'État, la solution passe par des doses d'ouverture à la concurrence, même si elle peut être sous des formes tout à fait spéciales, comme la délégation de services publics, ou d'autres formes de concurrence régulée. Pour en revenir à la SNCF, l'essentiel de la réforme de la SNCF, c'est son adaptation à la concurrence. Ce que je regrette, c'est que le gouvernement n'ai pas abordé cette question bille en tête, en disant : "Nous avons un vrai projet pour la SNCF, une vraie perspective. N'ayez pas peur de la concurrence. D'ailleurs, regardez la SNCF à l'internationale, lorsqu'elle y a des filiales et qu'elle joue le jeu de la concurrence, elle est gagnante." Il y avait besoin d'un discours entraînant dans cette perspective de l'ouverture à la concurrence. La concurrence n'est pas une guerre que l'on subie, c'est une chance que l'on doit partager. Et je trouve que là, on a eu un langage un peu focalisé sur le statut et qui rate la mobilisation du personnel de la SNCF dans cette bataille de la modernisation. 

Peuvent-elles satisfaire ceux qui veulent libérer l’économie française de ses contraintes ? Notamment les entrepreneurs, qui attendent du Président Macron des mesures très concrètes ? 

Un commentateur que j'aime bien, Emmanuel Lechypre, a dit de Macron : "Ce sera Thatcher ou Turgot". Entendez : "L'homme de fer ou le réformateur libéral qui est contrarié dans son ambition, qui échoue et va précipiter la révolution". Il y a encore une autre solution : c'est une victoire du gouvernement sur les syndicats dans cette bataille du statut, mais qui soit une victoire à la Pyrrhus parce que lorsqu'on dit que cela va ouvrir la route à Macron pour beaucoup d'autres réformes, on peut gagner une bataille et perdre une guerre. Et d'autres sujets autrement ambitieux - la réforme de l'État, la réforme des retraites et quelques autres sujets lourds -, les mêmes protagonistes se retrouveront.

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