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Aides au développement en Afrique : les actes d'Emmanuel Macron ont-ils été conformes à sa parole ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Action politique et solidarité

En marge de l'Assemblée générale des Nations-Unies, Emmanuel Macron a pu participé au Goalkeepers 2018, organisé par la Fondation Gates, et a pu plaider à cette occasion en faveur de plus d'investissement en faveur du développement en Afrique tout en indiquant " Si nous nous contentons seulement de faire des discours chaque année, nous n’avancerons jamais ".

Serge Michailof

Serge Michailof

Chercheur à l’Iris, enseignant à Sciences Po et conseiller de plusieurs gouvernements, Serge Michailof a été l’un des directeurs de la Banque mondiale et le directeur des opérations de l’Agence française de développement (Afd). Il est notamment l'auteur du livre Africanistan - L'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (Fayard, 2015). 

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Atlantico : Alors que vous indiquiez en 2017, dans une interview donnée au Point, que l'aide bilatérale de la France n'était que de 200 millions d'euro pour un total de 16 pays, "dont beaucoup sont situées hors d'Afrique", cette situation a-t-elle changé ?  

Serge Michailof : La situation a effectivement significativement changé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron. Mais il faut tout d’abord être plus précis car les chiffres qui circulent donnent lieu à énormément de confusion. Permettez moi un petit rappel. L’aide publique au développement dont le montant oscille pour la France entre 8 et 10 milliards d’euros par an correspond non à des versements effectifs aux pays en développement, mais aux dépenses qui, dans notre budget, peuvent selon les règles de l’OCDE, être imputées à l’aide. C’est le cas par exemple de certaines annulations de dettes, ou des frais engagés par la France pour accueillir des étudiants étrangers, ce qui explique que la Chine qui nous envoie beaucoup d’étudiants, apparait comme un bénéficiaire significatif de notre aide… 
Mais notre effort budgétaire effectif n’est que d’environ 2,4 milliards ce qui est important mais ne représente qu’un montant très inférieur à l’effort par exemple consenti par l’Allemagne ou la Grande Bretagne. Une majorité de ces 2,4 milliards est allouée à des organisations multilatérales (Banque mondiale, Union Européenne etc); l’autre partie est affectée à notre aide bilatérale. Les ressources affectées à notre aide bilatérale ont de multiples usages, mais une part sert à bonifier des crédits consentis par l’AFD dont l’activité globale dépasse 12 milliards d’euros, mais pour la quasi totalité ce sont des prêts. Une autre  part permet à l’AFD de consentir des dons destinés à financer des projets dans les pays les plus pauvres. Cette part est longtemps restée d’un montant parfaitement ridicule de 200 millions pour les besoins de 16 pays dits “prioritaires”; et c’est ce montant que je citais dans cet article du point. Sur ce montant les pays du G5 Sahel ne recevaient en moyenne qu’environ 80 millions d’euros par an. 
Au total ces choix budgétaires francais anciens permettaient à nos amis britanniques et allemands et aux spécialistes du monde entier de se moquer gentiment de nous, en soulignant que l’aide française oubliait les pays pauvres et se focalisait sur les pays émergents et à revenu intermédiaire. Elle permettait également à tous les observateurs attentifs de s’étonner de l’absence de l’aide française sur don au Sahel, alors que plus de 4000 de nos soldats y risquent leur vie, sachant que faire des prêts à ces pays qui ne peuvent même pas financer régulièrement les salaires de leurs fonctionnaires n’a guère de sens car il faudra bien tot ou tard les annuler. 
Alors que l’administration  Hollande est restée sourde vis à vis de toutes ces critiques et s’est finalement centrée sur une approche essentiellement  militaire du problème sahélien, le president Macron a dès l’été 2017 marqué qu’il était très sensible à cette question et le CICID de février 2018 a acté que l’envelopppe de dons de 200 millions serait portée à 1 milliards d’euros dès 2019 ce qui constitue un effort budgétaire tout à fait remarquable dans cette période difficile.
Sur ce milliard la France  privilégiera  le Sahel, et aussi des operations de cofinancement avec d’autres bailleurs tels la Banque Mondiale, l’Allemagne etc ceci dans le cadre de “l’Alliance pour le Sahel” également lancée par le Pt Macron. Le résultat est qu’au lieu d’intervenir dans les pays du Sahel avec des montants ridicules de l’ordre de 10 ou 15 million d’euros de dons par an pour financer des miniprojets sans impact significatifs, la France sera désormais capable de participer à des programmes de grande ampleur qui déjà sont en préparation.
Je suis actuellement à Washington pour des conférences diverses et je peux déjà dire de mes entretiens depuis 2 semaines que cette décision a été saluée à la Banque mondiale qui apprécie les compétences techniques sur le Sahel des experts français tant de l’AFD que des centres de recherche et des ONG qui actuellement ne disposaient que de ressources symboliques.

En sortant d'une logique comptable et en allant vers l'efficacité, quelles seraient les marges financières que l'Europe et la France pourraient réserver à une véritable aide au développement pour les pays africains ? 

Je pense sincèrement que les instances d’aide européennes disposent de beaucoup trop d’argent par rapport à leurs capacités effectives de mise en oeuvre et de l’expertise dont elles disposent dans les pays les plus pauvres. Je pense aussi  qu’il serait temps de faire procéder à un audit opérationnel de ces instances par un groupe d’experts non européens pour envisager une réorganisation assez large de ces institutions et mieux définir leur action qui devrait s’inscrire dans bien plus  forte complémentarité avec l’action des aides bilatérales européennes qui sont pour certaines bien mieux équipées techniquement. 
Au niveau français je pense que pour les “pays pauvres prioritaires” dont le nombre (16) devrait être réduit, les montants de dons prévus pour 2019 (de l’ordre du milliard d’euros) sont adaptés et nous permettront d’exercer un effet de levier et d’orientation des considérables resources multilatérales. Car dans ces pays très pauvres et parfois en crise ou en guerre ce n’est  pas vraiment l’argent (du moins multilateral) qui manque mais un usage efficace de ces ressources. C’est ici que la presence de la France peut s’avérer très utile.

Selon un article publié par le Washington post, des aides plus importantes versées directement en numéraire aux familles pourraient être un moyen efficace de la lutte contre la pauvreté. Quels sont les moyens dont nous disposons pour permettre une pleine efficacité des fonds versés, notamment pour éviter la corruption ? 

Ces programmes sont bien connus, il s’agit des “cash transfer” très courants en Amérique latine et certains pays asiatiques. Les conditions d’attribution sont souvent liées à des obligations du type scolarisation de tous les enfants, visites pré et post natales pour les mères etc. Mais comme vous le soulignez les conditions d’attribution ne sont pas faciles à mettre en place pour éviter les détournements des notables et des officiels locaux. Tout depend ici de l’organisation sociale locale et des capacités des autorités locales à détourner pour eux ou pour leurs clientèles ce type de ressources. En Afrique j’ai vu quelques projets qui sur ce plan posaient problème.

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