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Affaire DSK : tout sauf représentative de la justice américaine
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Vu des Etats-Unis

L'avocat pénaliste américain Scott H. Greenfield nous livre son regard sur l'affaire DSK, et les conclusions qu'il en tire. Il s'agit, selon lui, d'un "nouvel exemple d’un système horriblement imparfait, dont dépendent pourtant des vies, qui a simplement eu le bonheur de bien fonctionner cette fois-ci".

Scott Greenfield

Scott Greenfield

Scott H. Greenfield est avocat pénaliste aux barreaux de New York, Washington D.C, Pittsburgh et San Diego

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L’arrestation et les poursuites contre Dominique Strauss-Kahn n’ont pas démarré de façon classique, et ne se terminent assurément pas de cette manière. Après l’avoir épinglé de justesse à bord d’un avion pour la France, le bureau du procureur du comté de New York avait une patate chaude entre les mains. DSK était exceptionnellement riche, politiquement colossal puisque Président français en puissance, et sur le point de quitter la juridiction, ce qui aurait donné l’impression de laisser un violeur filer d’entre leurs griffes.

Chaque décision prise dans les premières heures de l’affaire pouvait potentiellement exploser à la figure du ministère public.

La précipitation à inculper DSK était le fruit de la loi de New York, larticle 180.80 ducodedeprocédurepénale imposant la libération sans caution d’un justiciable poursuivi pour un crime mais toujours pas formellement inculpé après 144 heures. Si les procureurs n’avaient pas inculpé DSK et si ce dernier avait pris le prochain Air France pour Charles-de-Gaulle, leur échec aurait résonné comme une preuve d’incompétence complète. On imagine les conséquences.

Même dans les premières 48 heures de l’affaire, une drôle d’odeur émanait d’un récit qui changeait sans cesse. Les “faits” sur lesquels se basaient les preuves “accablantes” de culpabilité apparaissaient et disparaissaient sans explication, ni d’ailleurs d’analyse critique. Mais telle est certes la nature des accusations de viol, sacro-saintes dans la hiérarchie des crimes équivoques. Il faut un véritable cataclysme pour pouvoir les questionner ou les mettre en doute.

L'heure de gloire médiatique des juges Obus et des avocats Brafman et Thompson

La libération de DSK qui a suivi, dans desconditionsdecautionextraordinaires, par le juge Michael Obus, était fortuite pour toutes les parties et s’expliquait par la combinaison d’une décision exceptionnellement bienvenue et d’un événement extrêmement heureux. La bonne décision était d’avoir engagé Benjamin Brafman, un avocat pénaliste d’une intégrité exemplaire, plutôt qu’un ténor issu d’un grand cabinet dont l’essentiel des talents aurait résidé dans sa connaissance des raccourcis électoraux menant directement au poste de procureur.

La combinaison de Brafman et d’un budget de défense et d’investigation illimité fut non seulement d’un grand bénéfice à DSK, mais aussi un véritable casse-tête pour le ministère public. S’il existait quoi que ce fut de nature à ébranler le dossier, la défense le trouverait et l’exploiterait. Je rappelle aux tenants de la croyance inexplicable selon laquelle la défense aurait tort ou serait malhonnête d’utiliser chaque miette de preuve disponible que c’est exactement ce qu’elle est censée faire. Et c’est exactement ce que le ministère public aurait fait de son côté. À la guerre comme à la guerre.

L’heureux événement était que l’inculpation ait atterri sur le bureau du juge Obus, et qu’une caution ait été fixée pour la libération de DSK. C’était une caution d’un montant monumental, avec des conditions extrêmes, mais elle l’a sorti de prison, et cela a permis à tout le monde de respirer un peu et de passer aux autres aspects du dossier. Si l’affaire avait été attribuée à un autre juge, le résultat auraitpeut-êtreétédifférent.

Une troisième circonstance, d’origine totalement extérieure et ayant influencé ce qui allait finir par transpirer, est venue des efforts de l’avocat de l’accusatrice de DSK. Normalement, les victimes n’ont pas besoin d’avocat. Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel déclarant avoir été violée, a engagé Kenneth Thompson, qui a saisi son moment de gloire et a passé plus de temps à discuter de l’affaire avec les médias qu’à aider sa cliente à réconcilier sa version avec la vérité.

Il s’est donc révélé que la crédibilité de Diallo était proche du néant, et plus elle parlait, plus les enquêteurs creusaient, plus son cas s’aggravait. On fera remarquer que même les menteuses peuvent être victimes de viol ; c’est certainement vrai. Mais les menteuses font de mauvais témoins, et la nature de la preuve en matière de viol dépend largement de la croyance dans l’histoire racontée par la victime supposée. Il y avait des traces physiques, du sperme, mais cela ne suffit pas à qualifier un viol. Et Diallo avait un nombre incalculable de motifs de mensonge potentiels.

Une affaire exemplaire

Le ministère public a de nouveau dû faire une série de choix peu agréables. Leur témoin vedette n’en était pas un. Le monde entier suivait l’affaire, ce qui en faisait non pas une affaire locale ou nationale de première importance, mais une affaire de portée internationale. La défense avait la possibilité et les moyens de tailler ce dossier en pièces. Le ministère public n’avait le choix qu’entre de mauvaises options, dans la mesure où abandonner une affaire à laquelle autant d’efforts avaient été consacrés ne saurait constituer une bonne option.

Les choses étaient-elles différentes parce que DSK était riche et puissant ? Bien sûr, et d’une multitude de points de vue. S’il n’avait pas été riche, sa capacité à monter une défense dévastatrice aurait été remise en question, et l’équation aurait été différente. S’il n’avait pas été puissant, le pays et le monde n’auraient pas suivi l’affaire, ni critiqué chaque décision. Perdre un procès n’est pas si grave, du moment que personne n’y porte attention. Perdre quand tous les regards sont fixés sur vous, et être ensuite soumis à la critique pour avoir plaidé un dossier aussi friable, c’est une autre affaire.

L’idée que les choses ne devraient pas se passer de la sorte relève du conte de fées, mais les contes de fées ne se réalisent pas souvent. Chaque dossier devrait être défendu comme DSK l’a été, mais ce n’est pas le cas. Chaque dossier devrait connaître une enquête aussi profonde que celle-ci, mais les moyens sont rares et parfois sujets au tri médiatique. La vie de chaque justiciable devrait recevoir la même attention que celle de DSK. Cela ne coûte rien. Il n’y a aucune excuse légitime pour le fait qu’un tel niveau de réflexion ne soit exercé qu’au compte-gouttes.

Le ministère public a soumis une requêtedabandondescharges de 25 pages. SurPopehat, Ken note que ceci n’est pas la façon dont les choses se passent habituellement, et il a raison. La pratique normale est celle d’une demande orale, immédiatement accordée, le sourire aux lèvres. Ce document n’est pas, en réalité, une requête, mais un communiqué de presse : une explication de la décision à l’attention des tiers.

Les leçons d'un fiasco judiciaire

La grande question est de savoir si ce fiasco judiciaire a des leçons à prodiguer dont nous puissions tirer des conclusions quant à notre système juridique. Chacun d’entre nous retirera de cette affaire de quoi consolider sa religion, notre désir de trouver de quoi soutenir nos idées préconçues sur le système. Il y en a assez dans cette affaire pour satisfaire toutes les perspectives, et assez pour nous permettre de soutenir qu’aucune autre perspective ne saurait être correcte.

Les victimes de viol détesteront le procureur du comté de New York, Cyrus Vance, pour avoir refusé de croire Diallo et de poursuivre cet odieux violeur. Les personnes condamnées à tort applaudiront le dénouement, mais conserveront le profond ressentiment de n’avoir pas reçu, faute de la richesse et de la puissance de DSK, ne serait-ce qu’une goutte de la même attention.

Ceux qui pensent que les riches reçoivent un meilleur modèle de “justice” que nous autres utiliseront ceci comme une preuve de leur théorie, même s’ils oublient que s’il ne s’était pas agi de DSK, l’accusé se serait d’abord vu attribuer une caution bien inférieure, et n’aurait probablement pas été arrêté avant le décollage de son avion. Ils oublient aussi que les riches et puissants ont autant de chances d’être traités plus durement que plus légèrement. Mais il est certainement vrai qu’ils ne sont pas traités de la même manière.

Les tenants du respect de l’ordre rationaliseront sur la grande difficulté du métier de procureur, et sur la façon dont on se retrouve coincé entre des forces contraires qu’on ne maîtrise pas, sommé de choisir entre la peste et le choléra. C’est parfois vrai, mais il ne faut pas ignorer qu’eux au moins ont un choix, ce qui n’est pas le cas de l’accusé.

Et puis il y a les avocats pénalistes, comme moi, qui verront ceci comme un nouvel exemple d’un système horriblement imparfait, dont dépendent pourtant des vies, qui a simplement eu le bonheur de bien fonctionner cette fois-ci pour toute une série de raisons qui ont peu de chances de se produire dans nos dossiers et qui ne changeront rien pour le justiciable arrêté demain.

[Traduction : Rubin Sfadj]

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