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Aéroport de Notre Dame des Landes : le fiasco qui place la gauche au pied du mur de ses contradictions internes
©REUTERS/Stephane Mahe

La terre, elle, ne ment pas

L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes devrait revenir dans l'actualité ces jours-ci avec la remise du rapport conclusif sur la solution à suivre par le gouvernement pour "sortir du dossier". Une fois de plus, deux gauches irréconciliables devraient s'affronter sur le terrain. Pour bien comprendre l'affrontement, il faut revenir aux origines vichistes des zadistes et autres écologistes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Il existe un paradoxe étonnant autour de l'affaire de Notre-Dame-des-Landes. On doit en effet essentiellement à la gauche la responsabilité d'avoir relancé ce projet de construction. Et on doit à la gauche le mérite de s'y opposer avec le plus de virulence. Tout se passe comme si la construction de ce nouvel aéroport divisait deux gauches irréconciliables

Notre-Dame-des-Landes et la gauche post-marxiste

C'est lors d'une réunion interministérielle du 26 octobre 2000 que Lionel Jospin décide de donner corps à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. À l'époque, le ministre de l'Équipement est un communiste: Jean-Claude Gayssot. Entre Jospin, l'ancien trotskyste, et Gayssot, l'ancien stalinien, on voit bien le poids de la gauche post-marxiste dans la décision. 

Ici, la gauche historique donne la pleine mesure de son inclination envers les grands travaux publics, les projets pharaoniques. En un seul programme, c'est la foi dans le progrès par la technique, credo structurant de cette gauche-là, qui s'exprime.

Notre-Dame-des-Landes et la gauche vichyste

Le 31 décembre 2010, le décret accordant la concession de l'aéroport est publié. Il annonce le début des travaux... et de la mobilisation sur la ZAD (zone d'aménagement différé). Commence alors un long combat mené par les zadistes et écologistes de nombreux poils.

On s'attarde trop rarement sur la filiation idéologique de cette gauche radicale aussi appelée ultra-gauche, qui n'hésite pas à recourir à la violence pour empêcher des aménagements jugés trop "libéraux".

L'objet de cet article est de revenir précisément aux filiations intellectuelles de ce mouvement.

L'éloge de la terre par les chouans contemporains...

Il faut lire les publications des zadistes pour comprendre l'inspiration idéologique de leur mouvement. On reprendra quelques textes du précieux site Paroles de campagne animé par des zadistes pour mieux comprendre d'où viennent ces chouans contemporains. 

L'expression de "chouans contemporains" est utilisée ici à dessein car il est impossible de ne pas percevoir la parenté entre ces paysans de l'Ouest qui prenaient les armes contre l'ordre central sous la Révolution et ces paysans qui décident de cultiver la ZAD pour entraver un programme interministériel. Le mouvement chouan a rassemblé des agriculteurs en armes. Le mouvement zadiste a ramené à la terre un certain nombre de militants armés.

Beaucoup d'entre eux se présentent d'abord comme paysans. 

L'éloge de l'agriculteur comme fondement de la société

En parcourant la littérature zadiste, on retrouve à chaque page une conviction bien ancrée: cultiver la "terre nourricière" est bien plus utile à la société que le progrès industriel. 

Dans un article très signifiant du 5 novembre 2016, Sylvie, paysanne de Notre-Dame-des-Landes, écrit par exemple:

Les politiques au plus haut niveau n’ont rien compris aux enjeux que porte cette lutte : quelle terre et quelle société laisserons nous à nos enfants ? Il faut sauvegarder toutes les terres nourricières  pour nourrir sainement notre population. Il faut garder les bocages et terres humides, sources de biodiversité, hélas déjà en régression. Notre mode de développement est à bout de souffle, il accroit les inégalités, augmente la précarité et exclut les plus faibles et les plus jeunes.

Ce sont bien deux visions antagonistes du développement humain qui s'affrontent. D'un côté, les "pro-aéroports" convaincus par un modèle de développement "à bout de souffle". De l'autre, les partisans de la biodiversité pétris d'une conviction intime: l'avenir passe par la terre.

Les zadistes et le mythe de la sérénité agricole

On notera d'ailleurs que la même Sylvie ne manque pas une occasion de mettre en avant la "sérénité" du mouvement zadiste et du mode de vie qu'il prône. Sur ce point, on lira avec attention un article qu'elle a produit le 5 octobre 2013, et qui illustre bien le cadre psychique du combat des zadistes:

Pour nous agriculteurs de la zone, cela nous motive, car cultiver la terre c’est poursuivre notre métier, alors que depuis 1974, le Conseil Général a compté sur le développement des friches pour ouvrir la voie aux bulldozers.

Nous avions aussi, depuis longtemps, la forte volonté de gérer collectivement les terres libérées par les départs de voisins, et là, enfin, nous y arrivons au moins en partie.

Dans les cultures mises en place, une partie sera conduite en culture classique et la majorité sans intrants sur tout le cycle. Ce choix respecte les différentes pratiques agricoles sur la zad et traduit notre diversité et notre capacité à lutter ensemble. (...)

Une bonne vingtaine de tracteurs, on va dire 24, sont venus travailler. Le labour est difficile car la terre manque d’eau, mais les semis se font très bien. Vers 18h00, cette bonne journée de travail se termine dans la sérénité.

Pour les zadistes, la remise en culture des terres laissées en friche, le recours à une organisation collective pour mener à bien le projet, sont une forme structurante d'expression politique. Dans une certaine mesure, on peut même dire que l'un des piliers du zadisme repose sur la remise en culture collective des terres destinées à faire partie du futur aéroport. Cette action concertée est au coeur d'une "sérénité systémique".

Le zadisme et ses relents vichystes

L'idée d'un salut collectif par la remise en culture de terres abandonnées est loin d'être neuve en France. La conviction que le modèle français de développement passe par un retour à la terre a même connu une sorte de summum avec le régime de Vichy dont on aura la surprise de relire certaines de ses pages d'anthologie. 

Par exemple, l'une des premières lois adoptées sous Vichy, celle du 27 août 1940, prévoyait un inventaire des terres et des exploitations abandonnées. La loi avait d'ailleurs prévu un droit d'installation dans ces exploitations. 

Cette disposition n'était pas seulement anecdotique ou symbolique. La difficulté des temps rendait cruciale la relance de la production agricole dans un pays saigné par l'occupation, où près de 15% de la main d'oeuvre était mise entre parenthèses par l'emprisonnement en Allemagne. Mais au-delà même de cette simple circonstance, la doctrine de Vichy était fondamentalement "ruraliste" et méfiante vis-à-vis de l'industrialisation. 

Il est assez curieux de voir, soixante-dix ans après Vichy, la même geste, les mêmes mécanismes d'émotion collective, opérer dans les esprits. La terre ne ment pas!

Zadistes et vichystes unis dans leur critique du libéralisme

Au demeurant, certains parallèles méritent d'être dressés, parce qu'ils en disent long sur la filiation directe qui existe entre la pensée collective qui fit Vichy et celui qui compose aujourd'hui le zadisme.

Ainsi, l'ACIPA (ASSOCIATION CITOYENNE INTERCOMMUNALE DES POPULATIONS CONCERNEES PAR LE PROJET D’AEROPORT DE NOTRE DAME DES LANDES), par l'intermédiaire de Michel Berjon, écrit-elle en réponse au livre de Jacques Auxiette, alors président de région:

Votre croyance naïve est affichée en gros sur la couverture de votre livre.  Les “Je crois” reviennent 12 fois au fil des 90 pages. Tout est question de foi dans un avenir radieux du libéralisme productiviste.

On ne manquera pas ici de rapprocher l'antilibéralisme des zadistes qui affleure à chaque coin de page avec celui proclamé par Philippe Pétain dans son discours sur l'ordre nouveau du 11 octobre 1940 (voir de larges extraits ci-contre):

Le régime économique de ces dernières années faisait apparaître les mêmes imperfections et les mêmes contradictions que le régime politique : sur le plan parlementaire, apparence de liberté. Sur le plan de la production et des échanges, apparence de libéralisme, mais, en fait, asservissement aux puissances d'argent et recours de plus en plus large aux interventions de l'État.

L'idée profondément ancrée selon laquelle la meilleure façon de combattre le libéralisme, émanant des puissances d'argent, passe par un retour à la terre, par une remise en culture des terres laissées en friche par les industriels, n'est donc pas neuve. Propagée aujourd'hui par les zadistes (et quelques autres), elle fut théorisée par le régime de Vichy. 

La terre nourricière, le mythe tenace de Vichy à l'ultra-gauche

En poussant l'analyse plus loin, on pourrait même relever l'étrange parenté entre des pans importants du discours écologiste contemporain et l'idéologie qui a porté Vichy pendant cinq ans. Derrière le grand mythe de l'humanité écologique rôde en effet la défiance profonde vis-à-vis du progrès technique et de l'industrialisation qui a animé les expériences autoritaires ou totalitaires des régimes nationalistes. 

Ainsi, Vichy a fait l'apologie du retour à la terre. Les nazis ont adulé le "peuple de la forêt". Mussolini a mis en scène la mise en culture de nombreuses terres laissées en friche en Italie. À des degrés divers, ces discours ont réhabilité une proximité entre l'espèce humaine et la nature que les doctrines productivistes avaient contestée. 

On cherchera donc volontiers du côté du nationalisme et des mouvements autoritaires anti-libéraux les références fondamentales du zadisme et de l'écologie au sens large. 

La ligne de fracture au sein de la gauche

Ceci ne signifie pas, bien entendu, que l'écologie contemporaine soit un avatar de Vichy ou ne soit qu'un simple avatar de Vichy. En revanche, c'est une naïveté française de croire qu'il existe une frontière imperméable entre la doctrine de Vichy et les mouvements politiques contemporains, y compris d'extrême gauche. Disons même qu'à de nombreux égards la transmission de la sensibilité vichyste s'est révélée plus simple à gauche qu'à droite, dans la mesure où la droite est agitée par une conscience coupable sur ce sujet, quand la gauche a très tôt revendiqué l'héritage monopolistique de la résistance. 

Or Vichy fut avant tout un mouvement étatiste-conservateur dans lequel la critique du progrès qui agite l'extrême-gauche peut assez facilement se retrouver et ne manque pas une occasion d'y puiser, souvent inconsciemment, une large palette de discours ou d'idées. 

Pour la frange libérale de la gauche, pour la frange productiviste, il y a là une réconciliation difficile à trouver. Les prochains débats sur Notre-Dame-des-Landes devraient le confirmer: l'antagonisme entre l'ultra-gauche "terrienne" et post-vichyste d'un côté, la gauche libérale et urbaine de l'autre, devrait être brutal. 

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