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Achetez les bons du trésor français à 30 ans ! 1,6% d’intérêt ! 11% aux Français, le reste aux étrangers !
©LOIC VENANCE / AFP

Bons du trésor

Étrange, cette réclame (imaginée) au fronton de Bercy ! Et pourtant, comment expliquer cette ruée sur une obligation française à si long terme et si peu payée ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Étrange, cette réclame (imaginée) au fronton de Bercy ! Et pourtant, comment expliquer cette ruée sur une obligation française à si long terme et si peu payée ? Comment comprendre que les non-Français s’y précipitent tant ? Est-ce un succès pour la France, preuve de son sérieux à terme ? Comment le comprendre, eten profiter ? Ou est-ce un signe d’inquiétude ? Et dans ce cas aussi, comment en profiter ?

Bercy le 19 février au matin : une étrange histoire commence. 31 milliards d’euros se pressent à la porte, 7 seulement entreront pour financer, jusqu’au 25 mai 2050, le déficit public français. Champagne ! Le Trésor boucle ainsi, en quelques heures, uneopération qui égale les deux records de sa précédente syndication à 30 ans, le 16 mai 2017 : le plus fort montant de proposition d’achats d’obligations (« livre d’ordres »), le plus fortmontantémis (« volume émis »). 7 milliardsse voient ainsi prêtés aux meilleures conditions à la France, autrement dit :au taux le plus bas.

Au taux le plus bas ! De fait, avec un rendement à l’émission de 1,609%, c’est le minimum observé par l’AFT (Agence France Trésor) pour une obligation à 30 ans.Et le Trésor devient lyrique : « 300 investisseurs finaux ont souscrit à l’opération. Le montant syndiqué a été alloué pour 47% à des gestionnaires d'actifs, 17% à des assureurs, 15% à des fonds de pension, 5% à des institutions publiques, 12% à des banques et 4% à des gestions alternatives. »

Au taux le plus bas ? Pas pour les investisseurs français, qui en auront seulement 11% : ils voulaient plus, en demandant plusde rendement ! Mais ça marche à l’envers : ceux qui veulent le rendement le plus faible sont servis d’abord, et ainsi de suite. Ce seront donc les propositions venant du Royaume-Uni qui emportent la plus grande part (26% des 7 milliards d’euros), puis d’Allemagne (22%), de France (11%), des pays scandinaves (8%), d’Italie (7%), Pays-Bas (7%), des autres pays de la zone euro (9%) et enfin du reste du monde (10%).

Comment comprendre cet engouement pour ces produits à si long terme et si peu rémunérés, donc risqués dans une France sous pression politique, dans une zone euro si inquiète ? Ceux qui se pressent à la porte de Bercy ce 19 février sont-ils fous, charitables ou mal informés ?

Rien de tout cela. Première raison :l’épargne est très abondante en zone euro. Elle cherche à se placer au mieux,là où on en a le plus besoin, pour être mieux rémunérée. Mais elle se fait ainsi concurrence, et réduit sa rémunération !D’un côté, les besoins sont énormes: 250 milliards pour l’Italie, 200 pour la France cette année par exemple. D’un autre côté, le repoussoir allemand ! C’est le pays qui épargne tant qu’il réduit sa dette : le bon du trésor allemand rapporte0,2% pour un placement à10 ans ! Vivedonc le 1,4% espagnol pour une obligation publique à 10 ans. L’offre mobilisera 47 milliards d’euros en janvier, pour 10finalement émis. Et l'Italie, malgré tout ce qui s’y passe, revient sur les marchés. Ils ont adoré ses deux offres de début d’année : 10 milliards émis à 15 ans en janvier (35 milliards offerts !), puis 8 milliards à 30 ans (et 41 offerts !). En effet : comment obtenir 3,9%l’an, sansprêter à 30 ans à l’Italie ? Vous préférez 0,7% pour financer l’Allemagne sur ce même délai?

La deuxième raison est la décélération conjointe du PIB et de l’inflation en zone euro, et désormais aux États-Unis. De réunion en réunion, Mario Draghi pour la BCE, la banque centrale de la zone euro, et Jerome Powell pour la Fed, celle des États-Unis, revoient à la baisse leurs prévisions de croissance et d’inflation. On comprend leur gradualisme, d’abord parce que le ralentissement de l’économie mondiale estgraduel, ensuite parce que celui de l’inflation l’est plus encore. Ceci pose des problèmes, notamment dans les pays en plein-emploi comme les États-Unis, le Japon ou l’Allemagne. L’inflation a-t-elle disparu, avec la révolution technologique en cours ? Cette révolution, qui devait soutenir la croissance, est-elle en train de la raboter en disruptant les anciennes structures de production, de vente avec les big data, de distribution avec Amazon ? L’épargne ne va donc plus payer ?

La troisième raison est que les banques centrales se sont mises de la partie. Sans doute finies les hausses de taux à la Fed en 2019,rien en 2019 et 2020 en zone euro. Finies, au moins interrompues, les ventes des milliards de dollars et d’euros en bons du trésor que la Fed et la BCE ont en portefeuille. Et, si nécessaire, voilà d’autres crédits à taux zéro aux banques de la zone euro qui, décidemment, prennent du temps à se remettre !  Les taux resteront bas longtemps ! Doncla rémunération de l’épargne !

Quatrième et dernière raison, l’Allemagne garantit tout cet édifice, par crédibilité et BCE interposées. Elle y a sans doute intérêt.De fait, la Grèce n’a pas sauté, l’Espagne se sort d’affaire, les deux avec plus de dette et des baisses des salaires nominaux. L’Italie inquiète, mais sa dette est détenue à 17% par la BCE, presque 20% par ses banques et 40% par ses ménages : stabilisée donc. Rien à craindre si la BCE ne change pas !

Bref les taux à court terme resteront bas, pour pousser à la consommation. Et les taux à long terme resteront bas eux aussi, pour pousser à l’investissement. Plus bas pour plus longtemps : les épargnants devront se faire une raison : ne rien gagner avec les vertueux (comme l’Allemagne), gagner de moins en moins avec ceux qui deviennent vertueux (Espagne), gagner avec ceux qui ne veulent pas (encore) l’être (Italie).

Et pour la France ? Que faire de ces épargnants non Français qui gagnent très peu en la finançant, elle qui devient moins vertueuse ? Alors qu’elle pourrait investir et se moderniser ! Ce serait la seule bonne idée pour profiter de ces taux si bas, et pour rebondir ! Sinon, on regrettera longtemps cette occasion perdue de se sortir d’affaire, avec l’épargne qui le permet ! Et qu’on ne vienne plus critiquer la BCE, Draghi et l’Allemagne ! Si on ne les aime pas, autant les plumer !

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