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Accusations en série contre la Police : quelle part d'instrumentalisation politique de l'extrême gauche, quelle part d’examen critique légitime à mener ?
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Irrationalité

Ce lundi, le corps de Steve Maia Caniço a été retrouvé dans la Loire, plus d'un mois après sa disparition. Les premières réactions des hommes politiques, notamment celle d'Alexis Corbière pour LFI, ont été très critiques à l'égard des méthodes des forces de police.

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar est directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis, EHESS-CNRS). Il a publié de nombreux ouvrages dont La Radicalisation (Maison des sciences de l'homme, 2014), Avoir vingt ans au pays des ayatollahs, avec Amir Nikpey (Robert Laffont, 2009), Quand Al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), et L'Islam dans les prisons (Balland, 2004).

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Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Dans le cas de Steve comme dans les cas antérieurs, quelle est la part des critiques contre les méthodes de la police qui peut être entendue et quelle est la part des fantasmes ?

Sylvain Boulouque : Quand on regarde depuis le XIXe, il y a une détestation historique au départ de toutes les forces de gauche à l'égard des forces de l'ordre, considérées comme des forces répressives. Avec l'institutionnalisation de la gauche, une partie de la gauche est devenue moins hostile aux forces de l'ordre. En ce qui concerne l'affaire Steve et, de manière plus globale, ce qui se passe depuis quelques mois d'une part avec les Gilets jaunes et d'autre part avec les violences dans les quartiers populaires, on est devant une situation où une certaine partie de la gauche ré-applique le modèle qu'elle connaît à savoir que la police est au service des dominants et des classes dirigeantes et elle est là pour faire régner "l'ordre social" par différentes façons face aux violences dans des quartiers populaires, lors des manifestations et dans les violences initiées par les jeunes dans notre cas. Une certaine partie de la gauche voit donc la police comme une force répressive au service de l'ordre établi. Voici l'arrière-fond culturel commun à toute l'histoire de la gauche.

D'autre part, dans l'histoire de Steve, ce sont des groupes de gauche (notamment à travers les médias) qui ont permis à l'affaire d'être portée à la connaissance du public. Sinon, elle serait restée un "fait divers". Cette animosité de la gauche vis-à-vis de la police fait que, comme les forces de l'ordre étaient impliquées, ce sont généralement ces groupes politiques qui portent ce genre d'affaires. C'est plus ou moins le même procédé que pour la mort de Zineb Redouane, femme de 82, morte le 2 décembre 2018 à l'hôpital à Marseille après avoir été blessées par une grenade lacrymogène tirée par les forces de l'ordre lors d'une manifestation le jour précédent. Cette critique des méthodes des policiers par les forces de l'ordre est donc assez ambiguë parce qu'elle systématique et aveugle. La défiance naturelle de la gauche vis-à-vis de la police à cause de l'image qu'elle véhicule (le fait qu'elle soit là pour préserver l'ordre établi, quelque soit le moyen) fait de ces dénonciations un jugement presque idéologique qui n'a parfois pas beaucoup de valeur.

Les tensions entre extrême-gauche et forces de l'ordre ne sont pas nouvelles. Cette mésentente n'est-elle pas cependant en proie à une instrumentalisation politique ? Dès lors, comment caractériser les rapports actuels entre la société civile et les forces de l'ordre ?

Sylvain Boulouque : Comme on l'a détaillé précédemment, la culture historico-politique de la gauche est une culture d'hostilité à la police. Par exemple, devant toute la vague de répressions conduite par Clémenceau, celui qu'on a appelé le "premier flic de France", toute la gauche de Jaurès à la CGT dénonçait l'attitude de la police. L'historien Jacques Julliard détaille très bien plusieurs affaires en particulier dans Clemenceau briseur de grèves. Cette tradition se maintient dans tous les conflits sociaux, qui étaient par le passé beaucoup plus violents qu'aujourd'hui où il n'y a pas systématiquement de morts, contrairement au passé. On retrouve toujours cette même animosité, parfois avec des enjeux qui peuvent être variables. Par exemple, pendant la Guerre Froide, cette hostilité vis-à-vis de la policeest surtout utilisée et instrumentalisée par le PCF. Ce dernier explique que la police est là pour maintenir le système capitaliste contre les travailleurs, avec plusieurs incidents tragiques d'affrontements entre les forces de l'ordre et les manifestants. De même, on retrouve le même phénomène durant la guerre d'Algérie et dans les années 1970.

Quand la gauche est au pouvoir, elle est quand même contrainte de gérer les forces de l'ordre sans leur faire des reproches incessants. Cela lui pose donc un problème politique, même si avec le tournant libéral du parti socialiste de 1982 et 1983, l'hostilité a complètement disparu pour une grande partie de la gauche. Cette hostilité est révolue pour certains et ne l'est absolument par pour certaines autres formations politiques. Le schéma politique qui demeurait par le passé reste le même que celui qui prévaut actuellement.

 De manière générale, tout dépend des groupes qui sont confrontés à la police et de l'expérience que ce groupe a eu par le passé avec celles-ci. Si l'on fait une sociologie rapide des rapports entre citoyens et les forces de police, on constate que plus l'âge passe meilleure sera votre relation aux forces de police. Plus vous êtes jeunes, plus vous vous méfiez de la police ; plus vous êtes âgés, plus vous la respectez. Regardez les paroles de Renaud : au début de sa carrière, il chante "Où c'est que j'ai mis mon flingue ?" ; trente ans plus tard, il chante : "J'ai embrassé un flic". Cela traduit assez bien l'évolution des rapports qu'une partie de la société entretient avec la police, en fonction du moment historique. Cela traverse donc tous les clivages politiques. Tout dépend du bagage culturel et personnel de chacun à l'égard des polices. En somme, dans cette brève sociologie des rapports entre police et société civile, deux choses se superposent : l'expérience personnelle et la lecture idéologique exposée plus tôt.

Farhad Khosrokhavar : Le problème essentiel de la police est un problème de société: on demande à la police d'être vertueuse dans une société qui l'est de moins en moins. En second lieu, le problème de la police en France est le manque de communication avec la société. Il y a une identité policière qui se définit dans un rapport distant avec la société et il n'y a pas de débats, de mise en perspective mutuelle entre la société civile et la police. Cette incompréhension mutuelle fait que chez les policiers il y a ce que l'on pourrait appeler "la conscience malheureuse" en raison du sentiment d'être mal aimé de la population et une hiérarchie qui demande l'efficacité sans la violence quelquefois nécessaire, d'où le taux élevé de suicide chez les policiers.

Les attaques terroristes de 2015 ont rapproché la police de la population mais cela a été de courte durée. Les Gilets jaunes ont réintroduit la rupture entre les deux. Je crois sincèrement que le problème de la police est celui de l'Etat et de la société, la police étant prise en étau entre les deux. On peut lui demander d'être moins "brutale" mais alors, dans les manifestations des Gilets jaunes, certains éléments perturbateurs ont été plus brutaux quelquefois. En même temps, on lui demande d'être "efficace", ce qui pose le problème d'être pris entre le marteau et l'enclume dans une société où la police ne doit pas être violente mais où la probabilité de se trouver face à des individus violents est de plus en plus grande. Nous sommes dans des sociétés de plus en plus "injustes" (le fossé des classes s'élargit même en France) et de plus en plus "immorales" (la moralité républicaine est remise en cause dans l'individualisme égoïste de la vie quotidienne).

 Sur le court terme, il faut qu'il y ait débat entre la police et les citoyens et surtout, que la police soit plus "accessible" (le modèle de la police anglaise ne saurait s'appliquer en France, mais on pourrait s'en inspirer). Sur le long terme, il faudrait créer ou doubler une police des incivilités en plus de la police municipale pour résoudre des problèmes comme ceux causés par la fête de la musique jusqu'à 4 heures du matin (alcool...) pour éviter que la police ne fasse usage immodérée d'armes (le gaz lacrymogène) au sujet de ces groupes quelquefois turbulents qui peuvent empoisonner la vie nocturne des autres citoyens.

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