Accusations contre Julien Bayou : Sandrine Rousseau, entre la grenouille de bénitier et la police des mœurs iranienne<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Naulleau publie « La Faute à Rousseau » aux Editions Léo Scheer.
Eric Naulleau publie « La Faute à Rousseau » aux Editions Léo Scheer.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bonnes feuilles

Eric Naulleau publie « La Faute à Rousseau » aux Editions Léo Scheer. Sandrine Rousseau est ce qu'on appelle « une bonne cliente ». On se l'arrache autant pour ses punchlines provocatrices que pour ses bourdes. Mais derrière le cirque médiatique, Sandrine Rousseau travaille à l'avènement d'un inquiétant modèle de société. Eric Naulleau montre que le rousseau­isme est un sectarisme aux relents totalitaires. Extrait 1/2.

Eric Naulleau

Eric Naulleau

Écrivain, critique littéraire, animateur de télévision, Éric Naulleau est l’auteur de pamphlets très remarqués (Petit déjeuner chez Tyrannie, Au secours, Houellebecq revient !). Il a publié La Faute à Rousseau en mai 2023 aux Éditions Léo Scheer.

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Démonstration en fut faite quelques jours plus tard, très précisément le 19 septembre 2022, sur le plateau de l’émission « C à vous ». Au cours de l’interview menée par Anne-Élisabeth Lemoine, il est question de Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts, à propos duquel Sandidine Rousseau laisse tomber tout à trac :

J’ai reçu chez moi très longuement une ex-compagne de Julien Bayou, je pense que des comportements sont de nature à briser la santé morale des femmes. Elles sont manifestement plusieurs, moi je n’ai entendu qu’un seul témoignage. Une enquête journalistique semble être en cours. Au moment où j’ai reçu cette femme, elle était dans un état très déprimé, elle était très mal, elle a d’ailleurs fait une tentative de suicide quelques semaines après. Ça  fait partie des questions qui vont venir sur la table.

Sur la table ou sur le billot. Après avoir souligné l’énormité de cette séquence-couperet, qui consiste à  jeter en pâture le plus intime d’un être humain, depuis sa vie amoureuse jusqu’à la volonté de mettre fin à ses jours, à rendre le verdict avant tout procès, à user d’un vocabulaire policier tout en révélant que l’enquête sera d’ordre médiatique, intéressons-nous de plus près à cette dernière, parue cinq semaines plus tard sur le site du média écologique Reporterre. Puis abondamment relayée via Twitter, un réseau social que le néoféminisme entend substituer aux tribunaux pour dire le droit et rendre justice. Absence de débat contradictoire, plaidoiries à charge et à recharge, effets de meute plutôt qu’effets de manche, sentences expéditives, l’efficacité y gagne ce que l’équité y abandonne.

Le maigre bilan des investigations menées pendant plusieurs mois par Laury-Anne Cholez aboutit à un article qui trouverait pourtant sa juste place dans un musée des horreurs journalistiques. Aucun procédé n’est ici jugé trop vil pour justifier l’exécution de Julien Bayou en place publique. À commencer par la divulgation d’extraits d’une correspondance privée où il est vrai que l’accusé (c’est-à-dire le coupable) aggrave son cas en qualifiant l’une des supposées victimes de « goudou refoulée » – de quoi laisser les LG hébétés.

Pas  davantage d’égards pour le secret médical, avec l’intervention de « la psychologue qui suit Agathe depuis janvier 2022 », laquelle nous renseigne bien volontiers dans le détail sur l’état de sa patiente. Deux sociologues spécialistes des violences conjugales émettent ensuite des avis d’autant plus autorisés qu’ils n’ont jamais reçu ni Agathe, ni Julien Bayou – on songe à cet étudiant qui déclara un jour à Vladimir Nabokov qu’il ne lisait jamais un roman avant d’en disserter, de crainte de se laisser influencer par son auteur. Les traumatismes d’Agathe sont appelés « souffrance », ceux de Julien Bayou « chantage affectif basé notamment sur le décès de sa mère ». On ne s’étonnera guère que le mot « emprise » apparaisse en plusieurs endroits, comme si une personne amoureuse ne se trouvait pas sous emprise par définition (ainsi qu’on le voit sur plusieurs tableaux de Munch, la morsure d’un vampire se distingue mal de toute autre morsure amoureuse). Pour mieux écarquiller les yeux lorsqu’une autre victime tout aussi supposée admet avoir eu connaissance du couple que formait Agathe avec Julien tandis qu’elle-même entretenait une relation amoureuse avec celui-ci. Certains mauvais esprits pourraient en déduire un léger déficit de sororité chez l’intéressée, si son sexe ne la plaçait par principe à l’abri de toute mise en cause. En attendant, on se croirait dans une parodie des Feux de l’amour :

Je me suis rappelé tous les moments où il ne la respectait pas. Par exemple, lorsqu’il m’embrassait et qu’elle nous a surpris. Lorsqu’elle lui parlait et qu’il ne la regardait pas, mais qu’il me regardait, moi.

Toujours aucun délit à signaler, à moins de faire entrer la goujaterie dans le Code pénal. Le reste du papier consiste en un déballage de griefs tel qu’il s’en pratiquait autrefois devant les juges en charge des affaires de divorce. Il y est question de maladies sexuellement transmissibles, il  y  est question d’une fausse couche, il y est question de sous-vêtements :

À l’époque, elle se croyait en couple exclusif. Il l’invita chez lui pour célébrer la Saint-Valentin. Elle tomba alors sur une culotte qui ne lui appartenait pas et s’emporta.

La réputation de séducteur de Julien Bayou était solidement établie, apprend-on ici, ses conquêtes lui tombaient donc dans les bras en toute connaissance de cause et en toute contradiction avec la cause. Un homme à femmes se nommait autrefois un queutard, qu’il se comportât mal envers celles-ci lui valait d’entrer dans la catégorie du connard. Laury-Anne Cholez préfère évoquer un prédateur, tout en laissant le dernier mot à une autre ancienne maîtresse qui reconnaît : « Certes, ce n’est pas pénalement répréhensible. » Sur la seule base de ce travail d’enquête bâclé, Mme  Rousseau estime pourtant que le compte est bon. Ou plutôt que le règlement de comptes est bon. Sandrine Rousseau tient de la grenouille de bénitier et d’une supplétive de la police des mœurs iranienne, de toutes ces renifleuses de caleçon travesties sous l’apparence de grossistes en moraline, narine frémissante et pierre à la main. «  Jugement lapidaire  » est devenu une expression à prendre au pied de la lettre. Sandrine caillasse, Sandrine remplace (à fredonner sur l’air publicitaire et entraînant de « Carglass répare,  / Carglass remplace »). Peu lui chaut que plusieurs femmes, à l’exemple de Mariannick Saout, déposent en faveur de Julien Bayou :

Je n’ai jamais vu un comportement problématique de sa part. Toutes les compagnes que je lui ai connues avaient l’air plutôt contentes. Il plaisait beaucoup et je lui ai connu plusieurs relations, mais je n’ai jamais eu de retour concernant une rupture qui se serait mal passée.

Peu lui chaut car il importe par-dessus tout de trancher le désir à la racine. Sandrine Rousseau a une bonne tête d’émule. D’émule de Didi, s’entend :

Lao-Tzeu l’a dit : « Il faut trouver la voie! » Moi, je l’ai trouvée. Il faut donc que vous la trouviez aussi… Je vais d’abord vous couper les couilles. Ensuite, vous connaîtrez la vérité!

L’amour est un jeu dépourvu de règles où le fair-play n’a pas cours, un jeu où certains gagnent et d’autres perdent. Et puis la roue tourne. L’amour ne se mesure pas en pertes et profits, l’amour ne se dispose pas en colonnes, l’amour ne distingue pas entre recettes et dépenses comme dans le livre des comptes d’une épicerie. Autrement dit dans La bête qui meurt de Philip Roth :

Il n’y a pas d’égalité sexuelle, il ne saurait d’ailleurs y en avoir; on n’est pas à parts égales, l’homme et la femme, chacun son lot, en situation d’équilibre. Cette sauvagerie ne se négocie pas de manière quantifiable. On n’est pas dans le fifty-fifty d’une transaction commerciale. On plonge dans le chaos de l’éros, et la déstabilisation radicale qui le rend excitant. Retour à l’homme des bois, au peuple des marais. La domination change de camp en permanence, on y vit en porte à faux.

Dans le monde voulu par Sandrine Rousseau et ses semblables, les livres de Philippe Roth seront purgés des bibliothèques publiques ou privées (vaine distinction à leurs yeux) – tout comme les jurés du Nobel placèrent déjà leur auteur sur liste noire pour cause de misogynie supposée. L’ordre moral et le désordre romanesque seront exclusifs l’un de l’autre. Il faudra choisir entre « Je pense que certains comportements sont de nature à briser la santé morale des femmes » et « J’étais le chat en contemplation devant le poisson rouge. Sauf que c’était le poisson rouge qui avait les crocs » (La bête qui meurt). En finir avec les zones d’ombre, les ambiguïtés, les ambivalences. En finir avec la vie, cette histoire toujours trop complexe pour les idéologues. En finir avec la littérature, cette entreprise de subversion des nouvelles évidences. S’il est au passage reproché à Julien Bayou d’avoir entretenu des relations avec des femmes plus jeunes, c’est que les chiffres ne mentent pas. 40 - 25 = 15, de toute évidence quelque chose cloche. L’ordre moral est aussi un ordre mathématique. Sauf pour quelques cas très particuliers comme celui d’Annie Ernaux dans Le Jeune Homme où l’écrivaine, alors quinquagénaire, raconte sa liaison avec un étudiant « qui aurait pu être son fils ». Certes, 54 - 25 = 29, mais ne pas se fier aux apparences.

Extrait du livre d‘Eric Naulleau, « La Faute à Rousseau », publié aux Editions Léo Scheer

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