Accord France-Chine avant la COP21 : pourquoi François Hollande (et la presse française) devraient éviter l’auto-célébration avant l’heure<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande était en voyage en Chine les 2 et 3 novembre afin de rencontrer son homologue Xi Jinping, dans le cadre de la COP 21.
François Hollande était en voyage en Chine les 2 et 3 novembre afin de rencontrer son homologue Xi Jinping, dans le cadre de la COP 21.
©Reuters

Moins vert ailleurs

François Hollande était en voyage en Chine les 2 et 3 novembre afin de rencontrer son homologue Xi Jinping, dans le cadre de la COP 21. Objectif : s'assurer de la volonté du premier pollueur mondial de faire des efforts sur le plan environnemental et de prendre des mesures coercitives.

François Lafargue

François Lafargue

François Lafargue est docteur en Géopolitique et en Science Politique. Il enseigne à Paris School of Business.

Auteur d’une thèse portant sur l’Afrique du Sud, il est également docteur en Science politique avec comme thème de recherche la stratégie des Etats-Unis devant la vulnérabilité énergétique de la Chine. Ses travaux portent principalement sur les enjeux énergétiques en Asie et en Afrique et les relations sino-africaines.

Son dernier ouvrage : La Guerre Mondiale du pétrole (Ellipses, 2008)

 

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François Gemenne

François Gemenne

François Gemenne est chercheur en sciences politiques, au sein du programme politique de la Terre. Il est enseignant à l'université de Versailles-Saint Quentin, et à Sciences Po Paris.

Spécialiste du climat et des migrations.

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Atlantico: En visite en Chine en ce début de semaine, le président de la République a assuré au micro d'Europe1 le matin du 3 novembre: "La Chine a pris deux engagements majeurs : le premier, c’est de se mettre au niveau de la lutte contre les émissions, prendre toutes les obligations que nous nous sommes nous-mêmes imposées. Et deuxièmement, d’accepter que tous les cinq ans nous puissions revenir sur ces engagement pour être bien sûr que nous n’aurons pas plus de deux degrés de réchauffement de la planète d’ici à la fin du siècle". Cela suffira-t-il à s'assurer des efforts de la Chine lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre  prochain (COP21)?

François Lafargue: La Chine comme les États-Unis ne souhaite pas être soumise à des obligations juridiques trop contraignantes. La Chine s’est engagée hier à participer aux mécanismes destinés à limiter la hausse de la température mondiale en dessous de 2° d’ici à la fin du siècle. Depuis 2007, le pays est devenu devant les États-Unis, le premier émetteur de dioxyde de carbone* (CO2). Néanmoins, la Chine souligne que par habitant, ses émissions de CO2 se situent quasiment à la même hauteur que celles de la France et sont près de trois fois plus faibles que celles émises par les Américains. De même cette pollution s’explique pour une large partie par le poids de l’activité industrielle (qui utilise plus des 2/3 de la production d’électricité), destinée principalement à satisfaire la demande des pays de l’OCDE. La Chine ne veut plus être désignée comme le sempiternel coupable, et pense en participant activement aux négociations sur le climat, mieux défendre ses intérêts.

Je pense que la bonne volonté exprimée par Xi Jinping s’explique par trois facteurs principaux :

En premier lieu, la Chine change progressivement, mais inexorablement de modèle économique. Si l’industrie pèse encore lourdement dans la formation du PIB (à la hauteur de 42 %), la progression des activités tertiaires est incontestable. La consommation d’énergie devrait donc dans les prochaines décennies  encore augmenter,  mais de manière moins soutenue que les années passées. Autrement dit, la Chine peut maintenant consentir à un effort de réduction des émissions de gaz à effets de serre, qui aurait été plus difficile à envisager voici encore cinq ans.

Ensuite, l’émergence d’une classe urbaine, éduquée et soucieuse de sa santé et de celle de ses enfants, pèse sans doute dans la volonté des pouvoirs publics de se montrer plus respectueux de l’environnement. Le succès du documentaire « Sous le dôme » qui expose l’ampleur de la pollution dans le pays atteste de cette préoccupation. Avec vingt millions de véhicules neufs immatriculés chaque année et une urbanisation en progression constante (un Chinois sur deux vit encore à la campagne), les pouvoirs publics n’ont guère de choix que d’effectuer de réels efforts dans le domaine environnemental. Une conscience écologique est en train de naître dans le pays. L’opinion publique a évolué devant l’ampleur de la pollution (plusieurs villes comme Linfen ou Tianjin sont considérées comme les plus polluées au monde), et les conséquences parfois dramatiques de l’activité industrielle (nappes phréatiques souillées, rejets toxiques dans les fleuves) et de l’urbanisation (car la production de ciment représente en Chine, près de 10 % des rejets de CO2). La pollution ralentit également la croissance économique, par ses effets sur la santé publique. En 2013, la Chine a émis 10,3 Gt de CO2, soit l’équivalent des rejets cumulés des États-Unis, de l’Union européenne et du Japon. La Chine connait une même évolution que le Japon, longtemps une puissance industrielle peu soucieuse de l’écologie et qui désormais a fait de la défense de l’environnement l’un des axes de sa diplomatie. La désinvolture à l’égard des questions écologiques semble révolue. Alors que la Chine avait, avec les États-Unis empêché l’adoption d’un accord lors de la Conférence sur le climat à Copenhague, son attitude a été moins intransigeante, deux ans plus tard lors du sommet de Durban en décembre 2011. Mais au-delà des incantations - l’exposition universelle de Shanghai avait été placée sous le thème « Better city, Better life », - les résultats sont à nuancer. Les meilleures intentions ont parfois des résultats désolants, la construction des panneaux solaires nécessite ainsi l’extraction très polluante de minerais comme l’indium. 

Le 12e plan quinquennal (2011-2015) a mis l’accent sur la nécessité de développer les énergies renouvelables (par une augmentation de la capacité de production d’énergie éolienne et hydro-électrique, et l’encouragement de nouvelles technologies pour les véhicules et la construction des lignes ferroviaires à grande vitesse). En termes de capacités solaires et hydrauliques installées, le pays se classe dans les premiers rangs mondiaux. Sous l’impulsion de l’État, plusieurs entreprises chinoises comme State Grid, Dongfeng Motor ou encore BYD sont chargées de développer une technologie nationale de véhicules électriques. En 2020, la Chine devrait disposer du premier parc mondial de véhicules électriques. À l’instar des acteurs de la Silicon Valley, les géants de l’électronique chinois comme Xiaomi ou Tencent développent des véhicules électriques, afin d’imposer leurs normes technologiques et de profiter des aides accordées par l’État.

La modernisation des usines chinoises permettra également une économie d’énergie substantielle et une amélioration de la productivité. L’intensité énergétique de la Chine (la consommation d’énergie par unité de PIB) est en diminution régulière, mais demeure élevée, comparée aux pays occidentaux.

François Gemenne: C'est une condition nécessaire mais pas suffisante. Ces engagements font suite à ceux que la Chine a consentis auprès de plusieurs pays, notamment auprès des Etats-Unis en novembre 2014.  Toutefois, ces signes de bonne volonté ne suffiront pas, il faudra voir comment tout cela se traduit concrètement.

On assiste néanmoins à une évolution majeure pour ce type de conférence. Le poids des pays  émergents et en développement s'est accrue dans ces négociations sur le climat, contrairement à ce qui est observé pour d'autres type de négociations mondialisées. Cette rupture s'est faite en 2009 à l'occasion de la conférence de Copenhague., lorsque ces pays ont refusé le principe d'une politique climatique uniquement dictée par les pays industrialisés. C'est ceci qui explique cette logique de demande d'engagement en amont de la conférence de Paris, auprès de chaque pays. Pendant la COP 21, l'objectif sera de réussir à dégager une cohérence globale de ces accords.

L'interprétez-vous comme une victoire politique pour François Hollande?

François Lafargue: Je ne sais pas si c’est une victoire de François Hollande, mais en se déplaçant personnellement à Pékin, le président de la République a montré que le succès de la COP 21 était pour lui, une priorité. En convainquant la Chine, la diplomatie française souhaite éviter la constitution d’un "front du refus" comme à Copenhague en 2009. Les États-Unis, les plus récalcitrants à un éventuel accord contraignant sur le climat risquent d’être isolés.

François Gemenne: Oui absolument, c'est un grand succès de François Hollande. Bien sur, il n'y est pas arrivé seul, cela fait suite à ce qui avait été obtenu en novembre 2014 par les Etats-Unis. La Chine avait alors reconnu pour la première fois que sa croissance ne serait pas infinie, qu'un pic d'émissions serait atteint en 2030 si l'on ne fait rien. Cette fois-ci, M. Hollande a obtenu un accord de forme en vue de l'accord qui sera signé au moment de la COP21. C'est un pas très positif sur le chemin d'un succès lors de la future conférence parisienne.

Cet accord est-il celui dont dépend la réussite de la COP21?

François Gemenne: Ce n'est qu'une pièce parmi d'autres de l'accord global qui doit être signé à Paris, il y a une infinité d'autres éléments. La réussite de la COP21 dépendra aussi des engagements pris par les pays industrialisés sur le financement des adaptations au changement climatique. Le Japon, l'Australie, la Canada doivent par exemple revoir leurs engagements pour atteindre l'objectif des "2 degrés Celsius" de réchauffement maximum, d'ici 2010.

C'est ce qu'il y a dans les engagements qui compte et pour l'instant les efforts ne sont pas suffisants, il faut faire plus d'efforts, réduire les émissions de gaz à effet de serre, agir davantage en faveur des énergies renouvelables.

Pour l'heure, seuls des ajustements à la marge ont été consentis. Or cela ne suffit pas. Il faut des changements de trajectoires, des inflexions. Pour le moment, trop de pays se refusent à faire des choix politiques qui ne feront pas que des heureux, ils "ménagent la chèvre et le chou". Certains pays tablent même sur un saut technologique qui serait joué par la recherche et l'innovation, mais on ne peut pas compter seulement sur cela !

François Hollande espère que la Chine incitera d'autres pays en développement et émergents à faire de même, notamment l'Inde. Dans un communiqué, l'Elysée dit qu'il "attend de la Chine qu'elle puisse faire, comme nous, un travail de dialogue, de conviction auprès d'un certain nombre de pays, dont on sait qu'ils vont être déterminants pour que l'accord puisse être trouvé". L'Empire du Milieu a-t-il suffisamment d'influence sur ces pays pour les contraindre à le suivre? Quels sont les liens économiques/politiques/diplomatiques qui pourraient conduire la Chine à amener l'Inde ou le Brésil à s'aligner sur ses engagements ?

François Lafargue: Les pays émergents comme la Chine, l’Inde ou l’Afrique du Sud dépendent principalement du minerai de charbon pour la production de leur électricité. L’Afrique du Sud est le premier pollueur du continent noir ! En échange de leurs efforts dans la réduction d’émissions toxiques, ils attendent que les nations occidentales les aident à se doter de technologies plus modernes. Un premier pas a été franchi en 2008 avec l’amendement du Traité de non-prolifération nucléaire, qui permet à l’Inde de faire l’acquisition de technologies nucléaires civiles auprès des pays développés, alors qu’elle n’est pas signataire du traité. Pour autant ces transferts de technologies se heurtent à des questions complexes de financements, et de rivalités commerciales entre fournisseurs pressentis. La tentation pour certains pays comme la Chine ou l’Afrique du Sud est de mettre en valeur leurs réserves de gaz de schiste. L’usage du gaz non conventionnel permet de réduire les émissions de particules toxiques, mais a néanmoins d’autres conséquences environnementales graves. Si la Chine a déjà franchi le pas (elle détient les premières réserves mondiales de gaz de schiste), en Afrique du Sud le président Jacob Zuma, envisage depuis plusieurs années de mettre en valeur les réserves de gaz issues de la fracturation des roches de schiste du pays, qui sont jugées prometteuses. Les dernières données de l’Agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA), les estiment autour de 11 000 milliards de m3, le 8e rang mondial (soit 5,5 % des réserves mondiales prouvées). Le défi n’est pas tant de trouver un accord pour limiter le réchauffement climatique que de permettre aux participants d’engager leur réelle transition énergétique en abandonnant les énergies fossiles.

François Gemenne: La Chine joue bien sûr un rôle déterminant. Elle a un pouvoir considérable sur les autres pays émergents dont l'Inde, le Brésil, Afrique du Sud, mais également des pays en développement. Dans les négociations, elle a toujours été un allié des pays en développement, regroupés au sein du G77.

* En prenant en compte l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre, la Chine avait dépassé les États-Unis dès 2003-2004 (base de données EDGAR de la Commission européenne).

Propos recuillis par Adeline Raynal

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