Accord de libre-échange transatlantique : les bienfaits théoriques résistent-ils à l'épreuve des faits ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Barack Obama à Bruxelles.
Barack Obama à Bruxelles.
©Reuters

Gagnants perdants

Barack Obama a plaidé la cause du projet de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne à l'occasion de sa visite à Bruxelles ce mercredi. Pas sûr que tout le monde y gagne.

Atlantico : L'accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne est au cœur des négociations qui se tiennent à l'occasion de la venue de Barack Obama à Bruxelles. En l'état actuel, quels devraient être les principaux axes de cet accord ?

Michel Fouquin : Le champ de la négociation est très large, extrêmement ambitieux et complexe, comme on dit tout peut être mis sur la table : suppression totale des tarifs douaniers ; harmonisation des réglementations ; sanitaires, financières, sécuritaires etc. Ouverture des marchés publics ; protection des marques ; possibilités des entreprises d’attaquer les réglementations publiques (Bilateral Investment Treaties), etc. Les sujets sont extrêmement complexes  et certains sont très sensibles, comme par exemple les OGM ou les questions liées aux investissements. Il faudra du temps pour arriver à un accord substantiel.

Alexandre Delaigue : Il y a quatre axes : un sur les droits de douanes assez mineur, un axe réglementation, un axe sur l'investissement, et la question de la capacité des entreprises à porter plainte dans une procédure d'arbitrage contre les états. Pour l'instant, ce que l'on sait c'est qu'il y a une petite partie qui ressemble vraiment à un accord de libre échange, mais qui en fait ne correspond pas à grand-chose, et qui signifie que les Etats-Unis et L'Europe vont faire passer à zéro les derniers droits de douanes bilatéraux sur leur commerce. Ces droits de douane sont déjà à un niveau tellement faible que cela ne représente pas grand-chose. Par contre on a ensuite ce qui porte sur ce qu'on appelle dans le jargon commercial les barrières non tarifaires, c’est-à-dire des réglementations qui, en pratique, sont comme des barrières douanières. Un autre élément, relativement polémique, porte sur la capacité des entreprises à porter plainte contre les gouvernements si jamais ceux-ci ne respectent pas les termes de l'accord. Et enfin, une partie porte sur la libéralisation des investissements.

Quelles sont les implications de ce projet ? Les barrières douanières peuvent-elles tomber si facilement, en réalité?

Michel Fouquin : En fait les tarifs douaniers sont d’ores et déjà très bas, à moins de 4 % dans les deux sens ; ce qui pose problème ce sont les secteurs dits sensibles comme la viande pour les Européens ou les produits laitiers pour les Américains avec des taux à deux chiffres. En revanche les organisations professionnelles du textile des deux cotés de l’Atlantique ont déclarés vouloir dès maintenant l’élimination complète des tarifs, qui sont assez élevés pour le moment - à titre de "early harvest" selon le jargon des négociateurs ,- pour dynamiser les négociations.

Alexandre Delaigue : Les barrières non tarifaires en question correspondent le plus souvent à quelque chose qui relève des choix politiques nationaux. L'exemple typique, c'est la question des OGM en Europe, ou encore la question de l'exception culturelle à laquelle les Français sont très attachés. Vous aurez bien du mal à trouver un gouvernement français qui ne défend pas bec et ongle l'exception culturelle française, en raison d'un assez large assentiment de la part de la population. Du côté des Etats-Unis, un certain nombre de mesures nationales et fédérales consistent à réserver la commande publique aux entreprises nationales. Les élus américains ne voudront pas être obligés de traiter avec des entreprises européennes.

Dans ces discussions, il y a également des procédures d'homologation des médicaments, qui pour l'instant, sont différentes en Europe et aux Etats-Unis. L'idée de l'accord serait la suivante : si Sanofi arrive à valider un médicament auprès de la FDA américaine, automatiquement il sera considéré comme validé par les autorités sanitaires européennes. Malgré tout, en cas de scandale sanitaire à cause d'un médicament arrivé des Etats-Unis, on image l'ampleur sur l'opinion publique…

C'est tout le problème. Avec tous ces obstacles non tarifaires, on touche à des sujets extrêmement sensibles, à la fois pour les politiques et pour les habitants. La seule façon de s'en sortir, c'est de faire des exceptions sur certains sujets. Ce qui donne par exemple : l'Europe accepte de signer le traité, mais garde une clause d'exception sur les OGM, sur l'exception culturelle,... Et les Américains répondront qu'ils veulent que tel marché public fasse l'objet d'une exemption, etc. Au bout du compte, on se retrouve avec un accord un peu vide, l'occasion d'une belle cérémonie de signatures (si on arrive à une signature) !

On sait les Etats-Unis tentés par un tournant protectionniste. Les deux parties seront-elles gagnantes, ou des déséquilibres pourraient-ils se créer ? Au profit de qui ?

Alexandre Delaigue : Un pays qui libéralise ses échanges tout seul y gagne en général, avec des effets distributifs importants. Ce n'est pas tant au niveau national que l'on peut dire qui gagne quoi, mais plutôt au niveau des acteurs de chaque pays. Aux Etats-Unis et en Europe, des groupes seront gagnants, et des groupes perdants. Pour les banques françaises par exemple, si on inclut des éléments qui facilitent leur implantation aux Etats-Unis et leur capacité à venir concurrencer les banques américaines. Ce qui implique des changements dans le système réglementaire américain, et évidemment ce sont les banques françaises qui pourraient y gagner. Si sur les marchés publics, une procédure est libéralisée aux Etats-Unis, Bouygues aurait la possibilité de gagner des contrats plus facilement, également.

En général, les consommateurs sont plutôt gagnants dans chacun des pays, et les producteurs qui subissent la concurrence étrangère sont perdants. Les gains des gagnants sont légèrement supérieurs aux pertes des perdants, c'est pour cela qu'on a tendance à faire des accords de libre-échange.

Le risque, c'est que cet accord ait pour effet de geler toute évolution des réglementations. Dans ce cas, les perdants seraient ceux qui voudraient modifier les réglementations dans un nouveau sens. Imaginons que l'Europe veuille faire une nouvelle réglementation environnementale, elle devrait s'appliquer aussi aux entreprises américaines. Ce qui créerait un décalage entre l'Europe et les Etats-Unis, et va donc à l'encontre de l'accord.  

Michel Fouquin : Le principe des négociations, c’est que chacun fait des sacrifices, et chacun espère obtenir des avantages ; mais ceux qui gagnent ne sont pas les mêmes que ceux qui perdent. C’est pourquoi les négociateurs de part et d’autres sont surveillés de près par les lobbyistes en tous genres ; industriels, ONG, syndicats, gouvernement... Le bilan global doit être positif sinon on ne voit pas pourquoi négocier, et il faut que les gains puissent compenser les pertes.

- Les points où nous sommes gagnants : Il faut se souvenir que l’Europe a toujours un excédent commercial important avec les Etats-Unis ; il faut aussi se souvenir que face à la Russie ils sont un allié de poids (pour ne pas dire plus) ; enfin en matière de gaz les États-Unis pourraient aider à alléger notre dépendance à l’égard du gaz russe ; tout ceci n’est pas négligeable même si ça ne fait pas partie des négociations.

L’Europe, qui est très ouverte en ce domaine, a intérêt à avoir un accès accru aux marchés publics américains qui sont protégés notamment au niveau des Etats. De même en matière de services, l’Europe (la France) a beaucoup d’atouts à faire valoir.

- Là où nous sommes perdants : Si on ne reconnait pas les indications d’origine pour les vins les fromages, etc.

Au-delà des simples accords, quel bilan peut-on faire du libre-échange au cours du XXe siècle ? Les économies, l'emploi, et le développement technologique en ont-ils retiré uniquement des bénéfices ?

Michel Fouquin : La crise de 1929 a été une expérience in vivo de l'impact du protectionnisme sur la croissance des pays développés.
Non seulement elle a approfondi la crise mais elle l'a fait durer.

En revanche il est clair que les dérapages financiers (le libéralisme financier) ont été à l'origine de la crise en 1929 comme de celle d'aujourd'hui.

Historiquement, les accords de libre-échange ont-ils toujours été couronnés de succès ? Quels peuvent en être les effets pervers ?

Michel Fouquin : Lors de la signature du traité de Rome en 1957, certains prédisaient que l’industrie allemande allait écraser l’industrie française, or c’est l’époque où la croissance de notre industrie a été la plus forte de notre histoire, et en 1968 les droits ont été totalement supprimés. Il en est de même aujourd’hui. Le manque de compétitivité  de l’industrie française est du à d’autres facteurs que ceux du libre échange.

Alexandre Delaigue : En fait, on n'échoue jamais dans ces accords-là, on continue simplement de discuter. L'exemple typique c'est le Doha Round à l'OMC qui en pratique a commencé en 1999 avec la fameuse réunion de Seattle, et qui s'est vaguement, plus ou moins, conclu fin 2013. Mais les délégués étaient tellement fatigués de discuter qu'ils ont décidé d'arrêter. Ils ont fait un accord qui n'avait rien à voir avec les ambitions initiales. Sauf dans des cas très précis comme l'accord multi latéral sur l'investissement discuté à l'OCDE qui devait avoir lieu entre tous les pays membres et qui a complètement disparu, les discussions reprennent toujours.

Ces accords sont de plus en plus nombreux, mais le monde est déjà assez largement en libre échange, donc ils sont de plus en plus vides. Pour cet accord, la première possibilité c'est l'échec, probablement à cause d'un pays européen. Ou alors on aura un accord a minima avec une liste d'exceptions à la règle infinie.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !