Abenomics : l’erreur d’interprétation que commettent ceux qui pensent que les derniers indicateurs économiques remettent en cause l’efficacité de la politique monétaire japonaise<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe
Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe
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Courte vue

Les "Abenomics" sont à nouveau sur le banc des accusés en ce début 2015, notamment suite à la baisse de la production industrielle. Pourtant, faire le bilan de la politique économique du Premier ministre japonais sur ce seul indicateur serait occulter tous ses effets bénéfiques.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Selon les dernières statistiques publiées en ce mois de mars 2015, la production industrielle japonaise a chuté de 3.4% pour le mois de février. Le Japon semble peiner à retrouver le chemin de la reprise, faut il y voir le signe de l’échec des Abenomics ?

Il est vrai que certains chiffres japonais paraissent décevants en ce début d’année 2015. La production industrielle rechute en février de 3,4% après avoir connu une hausse de 3,7% en janvier. Le niveau de la consommation des ménages est encore faible et ne s’est toujours pas complètement remis de la hausse de la TVA du mois d’avril 2014, qui est passé d’un taux de 5 à 8%  et qui a effectivement mis en péril la politique économique de Shinzô Abe. Mais de là à parler d’échec des Abenomics, c’est tout à fait excessif. Cela prêterait même à sourire. Le climat volontiers critique à l’égard du Japon oublie un peu vite la réalité actuelle. Le Japon est témoin du retour au plein emploi avec un taux de chômage de 3,5%, le pays a créé 1,3 millions d’emplois depuis l’arrivée de Shinzo Abe au pouvoir à la fin 2012, les salaires des grandes entreprises progressent de 2,n4% sur la dernière année, c’est-à-dire la plus forte progression depuis 17 ans, les entreprises locales affichent des profits records, la bourse japonaise est revenue son niveau de 2000, et pour finir ; pour 100 personnes au chômage, il existe 114 offres d’emplois. L’offre d’emploi est donc supérieure à la demande. Et ce sont nous, les Européens, qui parlons d’échec au Japon ? Est-ce bien sérieux ?

Quelles sont les limites de cette politique menée par Shinzo Abe ? Ces limites sont-elles d’ores et déjà atteintes ?

Les Abenomics sont un programme de relance économique en 3 volets. Deux "flèches" de relance et une troisième flèche de "réformes structurelles". Les deux premières ont été déployées, ce qui a permis le retour au plein emploi et la sortie du pays de la déflation. Ce soutien devra être maintenu jusqu’à voir l’inflation progresser au rythme prévu de 2%, ce qui ne pourra intervenir que lorsque l’ensemble des salaires progressera sur un rythme stable. Mais la première victoire, la plus importante, celle du plein emploi, est déjà acquise. On peut considérer cette victoire comme une limite, parce que la politique monétaire peut permettre de retrouver le plein emploi et la hausse des salaires, mais cela s’arrête là. C’est ce qui est déjà hors de portée de l’esprit "zone euro". Désormais, les réformes structurelles peuvent vraiment avoir du sens au Japon. Notamment les propositions de Koichi Hamada, le père des Abenomics : baisser l‘impôt sur les sociétés de 35 à 30%, simplifier la régulation économique dans le pays, la poursuite d’une meilleure intégration des femmes dans l’économie, etc…c’est-à-dire les promesses électorales de Shinzo Abe. Et ces réformes devraient progressivement voir le jour dans le courant des années 2015 et 2016.

Quelles ont été les erreurs commises par le gouvernement japonais dans la mise en place de ces réformes ?

Les débuts des Abenomics ont été fracassants. Entre la baisse du chômage et la reprise d’activité, Shinzô Abe obtenait des résultats supérieurs aux attentes. La sur-confiance est arrivée elle aussi et cette confiance a été à la source de la mise en place rapide de la hausse de TVA de 3 points. L’impact a été très lourd sur la consommation des japonais, mais surtout, il a jeté un doute sur la capacité de ce programme de tenir ses promesses. Etant donné qu’il s’agit d’expérimentation, la prudence aurait été de poursuivre la relance jusqu’à ce que les objectifs soient bien atteints, intégrés, et que la victoire psychologique soit installée. Au lieu de cela, cette cassure a jeté le doute sur l’intégralité du programme. Et ce, malgré le plein emploi, malgré la sortie de déflation du pays, ce qui était pourtant  l’objectif de départ. L’erreur est donc le péché d’orgueil. Il appartient à Shinzô Abe d’intensifier son programme, de mettre en place les quelques "réformes structurelles" nécessaires, ce qui permettra surtout d’accentuer la confiance, pour effacer les dégâts de l’année 2014. Mais, il ne faut pas oublier que l’ensemble du programme repose sur la bonne volonté de Haruhiko Kuroda , Président de la Banque du Japon, de continuer le soutien monétaire.

Comment expliquer, au fil des mois et des années, ces résultats en dents de scie pour l’économie japonaise ?

Le Japon conjugue deux défis statistiques majeurs. Sa démographie déclinante et son historique déflationniste. La combinaison de ces deux facteurs fait du pays un véritable casse-tête en termes de chiffres. Statistiquement, le pays peut être en récession tout en voyant le PIB par habitant progresser. De la même façon, il a été possible de mesurer des années de "hausse" des salaires alors que l’économie chutait en termes nominaux. C’est-à-dire qu’un salarié japonais pouvait voir son salaire baisser, mais on considérait alors que son pouvoir d’achat avait progressé parce que les prix avaient baissé encore plus rapidement que son salaire. Pour aggraver le problème, le cas de la hausse de la TVA en avril 2014 a lui aussi délivré son lot de difficultés. D’une part, le mois précédent la hausse a été un mois record en termes de consommation, puisque la population s’est ruée sur ses achats avant la hausse, et cela a conduit à des variations statistiques énormes. Et d’autre part, la hausse de la TVA est prise en compte dans le calcul de l’inflation, dans un pays qui, justement, était très soucieux et pointilleux concernant le niveau d’inflation à ce moment précis. Il est alors nécessaire de se reporter aux chiffres du déflateur de PIB pour ne pas être induit en erreur par le chiffre classique de l’inflation. Dernier exemple, le nombre de chômeurs a baissé de plus de 500 000 personnes, mais le nombre d’emplois créés depuis les 30 derniers mois est presque trois fois supérieur à ce chiffre. Ce qui a été rendu possible par l’arrivée des femmes dans la population active. Mais malgré le capharnaüm numérique ambiant, il devrait être possible de constater simplement le retour au plein emploi et la fin de la déflation. (sur le déflateur !). 

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