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Abandon de la sortie de l'euro par le FN : l'occasion d'avoir enfin de vrais débats sur la question ?
©Reuters

Changement de cap

Disons-le carrément : quand le FN sort de la remise en cause radicale de l’euro, il fait faire un bond de géant (du moins potentiellement) à la qualité du débat monétaire hexagonal.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Combien de fois n’ai-je pas subi, après quelques vérités bien senties et bien documentées sur notre camisole monétaire unique et sur la qualité de sa gestion par les bureaucrates de la BCE, des conseils du genre : « Chut, Mathieu, tu pourrais faire le jeu de qui tu sais », conseils qui virent à l’intimidation ou au procès d’intention dans les phases un peu chaudes de crises financières ou d’échéances électorales (à noter que la phrase que l’on entend le plus souvent, quand on est économiste en France et que l’on souhaite faire à peu près son travail, est : « ce que vous dites est vrai, mais il ne faut surtout pas le dire »). C’est d’autant plus digne de l’absurdistan que l’on vante partout dans le même temps les mérites du débat public et de l’assertivité, c’est d’autant plus contradictoire que la mode est à la flexibilisation (de la main d’œuvre, des idées, des organisations) mais que cela ne semble déranger personne chez les élites qu’il faille pour l’éternité 1920 lires italiennes pour faire un euro, et c’est d’autant plus ridicule (dans mon petit cas personnel) que ma critique de l’euro et de la BCE se font sur des bases libérales et ordo-libérales (au sens originel du terme), monétaristes (au sens de Friedman) ou rueffiennes, et pas du tout sur des bases populistes-protectionnistes-complotistes. Se faire traiter de limite-facho quand on défend les positions de Krugman et de Stiglitz, d’Adenauer et de De Gaulle, de Fisher et de Eucken,… c’est tout de même assez révélateur de la dégradation du climat intellectuel, et au fond révélateur de la victoire de la « pensée » Bundesbank-ENA sur le vieux continent (je me réfère au pacte faustien conclu en vitesse entre Paris et Francfort vers 1991, dans la précipitation de la réunification, autour d’un deal ambigu sans aucune étude économique préalable et sans principe de précaution aucun, et valable « pour 1000 ans » « parce que c’est politique » et ratifié ensuite chichement à 51% dans le cadre d’un paquet indigeste bardé de promesses non tenues sur la « défense européenne » et sur « l’Europe sociale », etc., ce qui a été nommé Traité de Maastricht).   

Il y a tout ce qui faut dans le libéralisme classique et dans l’analyse monétaire orthodoxe pour casser l’euro (un système rigide de changes fixes entre des pays très différents, on est au XXIe siècle que diable !!), pour détruire la BCE et ses prétentions indépendantistes (relire des siècles d’écrits sur les contre-pouvoirs, de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme jusqu’aux travaux récents sur les vertus de la transparence monétaire et les dangers des organisations nombrilistes, par exemple). La flexibilité des changes est plus disciplinante, plus conforme à l’esprit libéral, et plus universalisable, qu’un lit de Procuste basé sur une référence à l’or ou à une parité nominale définie il y a longtemps une nuit à 2 heures du matin entre des non-économistes. 

Nul besoin sur le fond de l’argumentaire anti-euro du FN, qui peut certes convaincre à Hénin-Beaumont mais qui ne marche pas à grande échelle avec l’électeur médian (ce français statistique qui a 50 ans, un contrat d’assurance-vie en euros, et une grosse aversion pour le risque) : mais il est vrai que l’argumentaire monétariste fonctionne encore moins, car il faudrait que l’électeur en question ait un minimum de culture monétaire, ce qui n’est pas du tout le cas (il a au mieux une culture fiscale et budgétaire, il sait où se situe le déficit à la décimale près, mais il n’est pas au courant qu’un taux d’intérêt peut être trop bas à 4% et trop haut à 0%, et n’a pas l’air de bien comprendre les implications concrètes d’une inflation durablement sous sa cible pendant des années). Tout cela ne changera pas de sitôt : Jacques Rueff : « en matière de psychologie monétaire, les choses sont ce qu'elles sont et ne se modifient pas aisément ». 

Imaginons tout de même ce qu’il faudrait faire, à long terme, en matière de pédagogie, pour challenger le cadre monétaire actuel.

Primo, ridiculiser les peurs les plus fréquentes. Une sortie de la France de l’euro suivie d’une dévaluation de 20% du nouveau Franc se traduirait « automatiquement et durablement » par une inflation « entre 7% et 10%/an » selon Nicolas Baverez et d’autres intermittents de l’analyse monétaire, qui n’ont sans doute jamais entendu parler des trajectoires récentes de pays comme le Royaume-Uni, la Pologne, la Corée ou la Suède. Des citations comme ça, j’en ai plein en stock, il faut vraiment être impitoyable avec leurs auteurs, a fortiori quand ces derniers s’étaient fait connaitre à la base par des ouvrages historiques sur les méfaits de la déflation Laval... 

Ensuite, demander un peu plus de conséquentialisme, pointer les contradictions et les postures. Exemple. Plein de gens à l’Elysée et ailleurs n’ont que l’entrepreneuriat à la bouche. OK, admettons. Pourtant, ils n’ont jamais de mots assez durs contre une dévaluation. Ah bon : mais si vous voulez voir s’organiser un transfert de ressources des rentiers vers les entrepreneurs, vous faites comment ? La voie la plus simple et la plus rapide est la dévaluation, comme la Suède en 1994, puisque les rentiers trouvent leurs revenus en monnaie locale tandis que les revenus des entrepreneurs sont beaucoup plus internationalisés. Sans ce transfert, peu d’incitation à la réforme, et peu de moyens pour la financer, soit dit en passant… mais j’oubliais que les nouvelles priorités du pouvoir sont : la moralisation de la vie politique, une dose de proportionnelle, et la taxe d’habitation pour 2022…

Dans le même esprit, les béni-oui-oui de l’euro ne parlent pas trop des désagréments liés à l’impossibilité de dévaluer quand cela s’imposerait, ils sont bien pudiques sur les dommages collatéraux du fixisme monétaire, eux qui sont les premiers à refuser pour leurs finances personnelles des baisses de salaires nominaux quand arrive la récession. Leur réponse ? Le plus souvent, quand ils ne noient pas le poisson, est la suivante : une grande désinvolture : « Ah, bah, les gens doivent bien s’adapter, hein », « il fait faire des réformes structurelles, ma bonne dame ». C’est cela, oui… Il faudrait appeler un chat un chat, et dire que certains sont plus égaux que d’autres face aux dysfonctionnements structurels et conjoncturels de la monnaie unique.

Enfin, il faudrait rappeler que tout ce qui se fait outre-Rhin n’est pas beau, juste et bien, et conforme à nos intérêts. Je ne prendrais ici qu’un seul exemple. Les Allemands se sont amusé à faire (sans concertation aucune) une sortie hypocrite du nucléaire. Apres Fukushima, 8GW de nucléaire ont été arrêtés (je ne parle même pas de la relance du charbon, un écolo cohérent dirait bien des choses là-dessus). La valeur amortie de ces 8GW était d’environ 15 milliards d’euros. Pour les remplacer, l’Allemagne a investi 300 milliards d’euros dans les renouvelables… J’exagère à peine !! La bêtise politique trouve à s’exercer dans tous les domaines, avec ou sans l’aide des lobbys et des médias, mais l’Allemagne n’est pas immunisée contre la bêtise, bien au contraire, et elle l’a montré dans l’histoire, et plus récemment dans les délires de ses banques régionales. Notre sentiment d’infériorité monétaire vis-à-vis de Francfort n’est pas si justifié, et cette ancre nominale nous coûte très, très cher. 

Il ne s’agit pas de dire que l’euro va imploser demain. Les banquiers centraux sont suivis à la lettre par les marchés, même quand ils font de grosses fautes : la définition monétaire de la « crédibilité ». L’annonce de la « mort du système » est quelque peu prématurée (même si, quand on regarde le graphique ci-dessous, on voit que la « part de marché » de l’euro est en chute libre depuis des années, à partir d’un niveau qui n’était déjà pas plus fort que la somme des anciennes monnaies nationales…). 

Réserves de changes mondiales libellées en euros ; un quart de « perte de part de marché » en seulement 8 ans :

Il s’agit plutôt de se réarmer méthodologiquement contre la langue de bois et les techniques de diversion des banquiers centraux. Faire sentir au grand public qu’une institution peuplée de gens non élus (et pas toujours compétents) ne peut pas à la fois régler les taux d’intérêt, superviser les banques, statuer sur les bonus des traders, pousser aux réformes structurelles, faire du chantage sur les déficits budgétaires, monitorer la valorisation des actifs financiers, etc. (à moins d’accepter au mieux des conflits d’intérêt majeurs, au pire une violation quotidienne de la démocratie représentative). Qui peut porter ce message en France dans l’univers des partis politiques (ou de ce qu’il en reste) ?

Pas le PS, qui a pactisé très loin avec Francfort, et qui n’y comprend rien. Idem pour la branche juppéiste de la droite. Je préfère ne même pas parler de Bayrou. Il y aurait bien Sarko, qui commence à comprendre que c’est Trichet qui l’a tué, mais ses récents propos sur l’histoire de toute la crise financière montrent qu’il lui reste encore beaucoup de choses à comprendre, ou à admettre, ou à oublier, bref. Un bon gars ce Sarko, mais quand on a pour conseillers économiques Attali et Minc, que voulez-vous... Pour le reste, il y a bien Mélanchon, le seul à avoir bien parlé des fautes de la BCE à plusieurs reprises, jusqu’à évoquer des pistes de financements monétaires, mais bon, c’est le même politique qui sanglote quand Castro ou Chavez décèdent, pas sûr dès lors qu’il ferait un bon usage d’une banque centrale remise à sa place et à nouveau au service « du peuple » : si je suis très hostile à l’indépendance des banques centrales, je crois tout de même qu’au quotidien une certaine autonomie opérationnelle est assez utile, et je ne voudrais pas dans la durée d’une dérive trop bolivarienne de la politique monétaire (même si à court terme les pressions déflationnistes sont telles que cela ferait du bien). Qui donc alors, puisqu’on ne peut avoir confiance ni en Macron (qui va échouer à coup sûr si la BCE resserre la vis à partir de 2018-2019) ni dans le FN (qui n’est pas fait pour le pouvoir, qui ne le veut peut-être même pas, et qui poserait trop de problèmes) ? 

Sans doute un nouveau parti qui reste à inventer, dont les fondations seraient celles du libéralisme politique classique (pour la partie questionnement de l’autorité monétaire), avec une forte dose de démocratie-chrétienne à l’ancienne (pour une remise des dettes, ou leur congélation/annulation dans le bilan de la banque centrale), et qui me propulsera bien entendu à la tête de ce pays (ou de ce qu’il en restera) en 2027, si j’accepte le poste … 

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