A quoi sert la prison ? Entre angélisme et obsession de la répression, la question à 150 milliards d'euros<!-- --> | Atlantico.fr
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La place de la prison dans la société moderne est devenue un concept de plus en plus trouble.
La place de la prison dans la société moderne est devenue un concept de plus en plus trouble.
©Reuters

Impasse

Selon les travaux de l'économiste Jacques Bichot publiés par l'Institut pour la Justice, la facture annuelle du crime est estimée en France à plus de 150 milliards d'euros, soit 7,5% du PIB.

Xavier Bebin et Eric Deschavanne

Xavier Bebin et Eric Deschavanne

Xavier Bebin est secrétaire-général de l'Institut pour la Justice, juriste et criminologue.

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

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Atlantico : Malgré une volonté de modernisation permanente des conditions carcérales, la prison semble de moins en moins efficace. Comment expliquer ce paradoxe ?

Xavier Bébin : Je ne connais pas de chiffres qui suggèrent que la prison est "moins efficace", ni d’ailleurs "plus efficace" qu’avant. En revanche, les chiffres montrent de manière extrêmement claire que les politiques dogmatiques visant à éviter l’emprisonnement à tout prix ont toujours fait exploser la criminalité dans notre pays. Ce fut le cas en 1981 avec la grande "amnistie Badinter", puis de 1997 à 2001 avec la politique de "déflation carcérale".

A l’inverse, la fermeté dans l’application effective des peines de prison s’accompagne d’un recul de la délinquance générale. L’exemple américain, de ce point de vue, est particulièrement frappant. On ne cesse de nous répéter que la prison est une école du crime et de la récidive. Mais comment expliquer alors que les États-Unis, qui ont choisi l’incarcération de masse, soient un pays deux fois plus sûr qu’il y a 20 ans ? Les homicides, les violences et les vols y ont été divisés par deux depuis 1993 ! Cela ne veut pas dire qu’il faut importer en France le "tout carcéral" américain, qui est excessif, mais cela doit faire réfléchir tous ceux qui lancent des jugements à l’emporte pièce sur la "prison école du crime".

Eric Deschavanne : La situation française est plutôt caractérisée par une dégradation des conditions carcérales liée principalement à la surpopulation. La construction de prisons est souvent considérée comme la manifestation d'une politique sécuritaire et répressive. Il faudrait y voir au contraire le point d'honneur d'une société démocratique digne de se nom, qui se soucie d'assurer des conditions de vie décente aux individus qu'il lui faut punir et mettre hors d'état de nuire.

Par ailleurs, qu'est-ce qu'une prison efficace ? Là encore, il faut renoncer à une idée reçue, l'idée suivant laquelle la prison aurait pour vocation de prévenir la récidive et d'assurer la réinsertion des prisonniers. Il faut bien entendu s'en préoccuper, mais sans trop d'illusions. Par définition, la prison rassemblent des malfrats et génère une sociabilité délinquante. La prison a principalement une fonction punitive : le prisonnier y exécute une peine, qui se caractérise par la privation de liberté. Elle a une autre fonction, moins explicite mais plus nécessaire encore : mettre hors d'état de nuire les individus dangereux pour autrui.

Avons-nous perdu de vue les fondamentaux de la prison ?

Xavier Bébin : Il faudrait relire Tocqueville, qui rappelait que les fonctions de la prison ne se limitent pas à celle de "réinsertion". Selon lui, il faut certes essayer de "réformer les criminels", mais il faut également dissuader tout un chacun de violer la loi. "Il faut que le détenu ne souffre pas physiquement en prison, dit Tocqueville, mais il faut aussi qu'il s'y trouve assez malheureux des suites de son crime pour que la peur l'empêche à nouveau de violer la loi et arrête d'avancer ceux qui veulent l'imiter". C’est pourquoi il se méfiait de cette "fausse philanthropie" que l’on entend beaucoup de nos jours "qui, si on l’écoutait, ferait des prisons un séjour agréable".

Une autre fonction de la prison, primordiale est trop souvent négligée : protéger la société, non pas seulement des criminels les plus dangereux, mais aussi, pendant le temps de leur peine, des délinquants les plus actifs. Lorsque l’on sait que plus de 50 % des crimes et délits sont commis par moins de 5 % des criminels, on comprend qu’il existe une petite minorité de malfaiteurs qui ne doivent pas bénéficier "d’alternatives à l’incarcération".

Eric Deschavanne : L'apport de Foucault est d'avoir mis en évidence l'historicité de la prison. Il a toutefois contribué, par sa "microphysique du pouvoir" a jeter la suspicion sur la problématique de l'humanisation des peines, issue des Lumières, laquelle visait à chercher un équilibre entre efficacité sociale de la peine et respect de la personne du condamné. Dans la perspective de Foucault, il n'y a, derrière les apparences de l'humanisation, qu'une métamorphose des techniques de pouvoir et de contrôle des individus. Cette problématique a justifié un discours de critique radicale de la prison qui ne laisse aucune place au réformisme. Il importe sans doute aujourd'hui de reconstruire un questionnement sur le sens de la prison. Il est aberrant, par exemple, d'observer que la prison tende à servir d'asile de substitution dans lequel on enferme des personnes atteintes de troubles psychiatriques.

La société moderne a-t-elle commis une erreur en croyant que ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur des prisons doit évoluer au même rythme ?

Xavier Bébin : Selon moi, trois erreurs majeures ont été commises en France depuis de longes années :

1) On tolère une surpopulation carcérale endémique, parce que les gouvernements successifs, par dogmatisme pénal, n’ont pas osé construire le nombre de places de prison suffisants pour exécuter les peines prononcées et protéger les citoyens.

2) Dans notre système pénitentiaire, on trouve d’un côté des cellules insalubres et contraires aux droits fondamentaux (de moins en moins nombreuses heureusement) et, de l’autre côté, dans les nouvelles prisons, des cellules et équipements d’un niveau de confort supérieur à celui de beaucoup de maisons de retraites et de logements modestes. Le juste milieu reste à trouver.

3) A force de lâchetés et de décisions juridiques soi-disant "humanistes", on a livré les prisons à la loi des caïds qui gèrent, depuis leur cellule, des trafics de toutes sortes (portables, drogues, cigarettes) font régner la terreur sur les codétenus les plus faibles. Et je ne parle pas ici de l’islamisation en prison, qui procède du même laisser aller.   

L’amélioration du système carcéral ne commencerait-elle pas par la garantie des droits des détenus (sécurité, honneur) plutôt que par l’apport de modernité technologique ?

Xavier Bébin : Oui, tout à fait. Il faut se focaliser sur la dignité et la sécurité des détenus. Cela implique de rénover les cellules insalubres d’une poignée de prisons à problèmes (Baumettes, Fleury, Bois d’Arcy), et d’accepter de réintroduire une véritable discipline dans nos établissements pénitentiaires, avec en particulier une tolérance zéro en cas d’agressions entre co-détenus ou contre les surveillants.

Eric Deschavanne : Ces deux aspects ne sont pas nécessairement incompatibles. On a créé en 2007, un poste de contrôleur des prisons, ce qui paraît aller dans le bon sens. En matière de respect des droits du détenu la marge de progression est à l'évidence considérable.

Eduquer et punir, la solution pourrait-elle passer par une véritable séparation des niveaux de criminalité et de "potentiel de sauvetage" des détenus ? Faut-il accepter que pour certains, on ne puisse rien ?

Xavier Bébin :La "solution", comme vous dites, passe d’abord par l’application effective des peines prononcées, et donc la construction d’un nombre suffisant de places de prison. Depuis 1992, chaque année, 20 à 30 000 délinquants condamnés à une peine de prison ferme sont restés totalement impunis, faute de place pour les accueillir. Voilà la véritable école de la récidive : c’est l’impunité et l’inexécution des peines.

Au sein des établissements, il faut effectivement essayer de séparer les niveaux de dangerosité, mais sans se faire trop d’illusions. Aujourd’hui, pour aller en prison, il faut dans 95 % des cas avoir commis des actes extrêmement graves, ou bien avoir un casier judiciaire très rempli. On a vu récemment, dans l’affaire des tournantes de Fonteney-sous-Bois, qu’on pouvait commettre un viol collectif et être condamné à un simple "sursis". Personne ne va en prison pour avoir volé un scooter, à moins d’en être à sa 10 ou 15ème condamnation. Personne ne va en prison pour avoir volé avec violence le sac à main d’une veille dame, à moins qu’elle ne soit grièvement blessée.

Eric Deschavanne : L'une des problématique, dans la perspective de la prévention de la délinquance et de la récidive, est celle de la protection de la jeunesse. Le principe selon lequel le jeune délinquant relève d'une logique éducative, de sorte qu'il apparaisse nécessaire de lui éviter la prison et le contact avec les délinquants confirmés, est indiscutable. Son champ d'application devrait même selon moi être étendu aux jeunes majeurs. Le problème est celui de la conciliation entre l'exigence éducative et celle de la protection de la société. C'est pour tenter de concilier ces deux exigences que l'on a créé les centres éducatifs fermés, au risque de retrouver l'effet pervers de la prison : le rassemblement des délinquants renforce la sociabilité délinquante et les comportements que l'on veut combattre.

Une enquête longitudinale conduite au Canada a ainsi montré que la probabilité pour les jeunes délinquants de sortir de la carrière délinquante était plus grande chez ceux qui étaient parvenus à échapper à la justice, et donc à tous les dispositifs, quels qu'ils soient, destinés à favoriser leur réinsertion ! La liberté est plus efficace que l'enfermement et tous les dispositifs à vocation éducative. Et pourtant la société ne peut faire l'économie de la punition, laquelle a une fonction éducative globale : elle marque la disctinction entre le bien et le mal, le permis et l'interdit, ainsi que l'importance relative qu'elle reconnaît aux diverses formes de transgression. Elle ne peut non plus laisser en liberté ou sans surveillance des individus dangereux. L'articulation entre prévention, éducation, punition, dissuasion, protection contre la dangerosité des individus et respect de leur droits est cependant une source de difficultés infinie : on se trouve nécessairement aux prises avec de multiples dilemnes face auxquels on ne parvient jamais à trouver de formules miracles qui donnent pleinement satisfaction.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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