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Annie Ernaux a été récompensée par le prix Nobel de littérature 2022
Annie Ernaux a été récompensée par le prix Nobel de littérature 2022
©AFP / JULIE SEBADELHA

Atlantico Litterati

Après Le Clezio et Modiano, la romancière Annie Ernaux a reçu le prix Nobel de littérature pour son travail qui « examine constamment et sous différents angles des vies marquées par les disparités, à savoir le genre, la langue et la classe sociale ».

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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« Car nous voulons la Nuance encor,

Pas la couleur, rien que la Nuance !»

« Art poétique » Paul Verlaine/1874)

« L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien». Je relis  le discours prononcé  en 1957 par Camus à Stockholm.Et pense au Nobel 2022, qui vient de consacrer Annie Ernaux -dont j’ai lu jadis, sans passion mais avec plaisir certaines autofictions. Je note au passage que depuis quelque temps- phénomène accentué par le wokisme-  le matriarcat s’affirme. Il ne parait pas plus désirable que ne le fut le patriarcat. Il entraine les mêmes inégalités.Provoque  une semblable injustice.C’est ainsi qu’il ne fait pas bon être un homme dans l’Europe d’aujourd’hui. 

Je suis la chroniqueuse d’Atlantico, une romancière auteure d’un essai sur le nécessaire -et salutaire- changement des hommes après la révolution féministe. Comme bien des femmes, j’avais souffert d‘une société foncièrement inégalitaire. Rien d’original : toutes les femmes subissent peu ou prou, un jour ou l’autre, les perversions de la domination masculine. Battue, harcelée, et même violentée ( un brancardier en milieu hospitalier), je savais de quoi je parlais.

J’avais aussi rencontré, choisi, admiré, chéri certains hommes d’une délicatesse et d‘une bonté rares qui, par leurs science, talents ou sagesse - par leur exemple, donc- m’avaient enrichie,  «  augmentée » dirait-on aujourd’hui ; grâce à eux, j’avais appris l’essentiel. Alors ? Alors rien : pas de théorie, mais la pratique existentielle d’une expérience et de son contraire. Civilisation et barbarie. Point de formule : une vie comme il en est tant . La vie : ce matériau tellement littéraire.Annie Ernaux le prouve assez : toute son œuvre est une « autobiographie-à-suivre » devenue le cahier du maître d‘une génération de femmes asservies.Par le patriarcat toujours, et parfois aussi, lorsqu’elles manquent de moyens, par la bourgeoisie.Lire, par exemple, « Les Années »- l’un des meilleurs livres d’Annie Ernaux- c’est découvrir cette double misère- en tant que femme et comme fille de petits employés . « Les Années », œuvre intimiste (Folio) est assez représentative de l’ensemble du travail d’Annie Ernaux, au cœur duquel l’auteure exprime - sans pathos ni passion- ce double asservissement au féminin singulier : social et sexuel.

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Quant à moi, lectrice fervente en général et admiratrice de Carson McCullers en particulier ( « Le cœur et un chasseursolitaire »- 1917-1967) je suis féministe, à la française. Pas de militantisme- la guerre a eu lieu- et les militants, la littérature n’aime pas, or la littérature est ma vie. Pas d’influence américaine bien que j’aie longtemps vécu aux États-Unis sur ces campusoù naquit le wokisme. La « cancel- culture », non merci.Je me souviens en revanche des salons littéraires, de Jeanne d’Arc, de la République : tous principes féminins. La France a toujours mis en avant ces principes gouvernant l’inconscient collectif républicain, et qui n’existent pas dans les pays anglo-saxons . Je me souviens ainsi d’une douceur française des relations hommes-femmes, de cette « galanterie » que pratiquaient jadis nos compatriotes, et qui apratiquement disparu pour causede ringardiseaïgue ;cependant, il faut se méfier des a priori : «  La galanterie telle qu’elle se développa en France aurait donc été un préalable au statut d’égalité entre les sexes : « L’effacement des marques de la servitude féminine a précédé de beaucoup l’égalisation des conditions. Il n’en est pas le résultat. Peut-être en est-il le soubassement » (José Morel Cinq- Mars,à propos de « Galanterie française » de Claude Habib/ Gallimard 2006).

Je suis donc féministe-comment pourrais-je ne pas l’être, enfouie dans mes lectures telle que je le suis depuis toujours ; cela ne veut pas dire que les auteurs hommes me semblent moins intéressants que les essayistes femmes. Et qu’il faille selon moi et par solidarité,lire d’abord les romans,forcément excellents, de ces « autrices » (ce mot « mode », donc attitré) qui, osant enfin exprimer leur vérité, détiennent pour chacuned‘entre elles un morceau du puzzle, et ce grain-sinon de folie-, du moins de vérité genrée. Lisant depuis toujours, dans ces dortoirs glacés de l’enfance jusqu’à hier, par exemple, jour où fut annoncé ce Nobel d’Annie Ernaux, j’aurais dû exulter en tant quefemme et femme française. Or, je m’attristais, craignant cette mode des Fâmmes qui allait emporter tout sur son passage, y compris la litterature.  Par parenthèses, je ne dis pas « écrivaine » car mon féminisme, quoique chatouilleux donc sincère ne peut me faire prononcer -et a fortiori écrire- un mot militant, assez laid, alors que le vocable « écrivain » est si beau.

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Pour me rassurer, je relis le tweet de notre première ministre, cette femme certainement raisonnable :"Annie Ernaux est l'auteure d'une oeuvre magistrale qui a su raconter, à la première personne, en objectivant sa propre expérience de vie, comment se fabriquent les inégalités sociales et genrées à travers la violence symbolique (...) Elle a aussi montré la double face, lumineuse et obscure, passionnée et violente, des rapports sociaux de sexe, bien avant #MeToo ». Pascal Bruckner faisait remarquer vendredi sur une chaîne -infos qu’Annie Ernaux semblait « un choix politique »  pour l’académie Nobel : « nous vivons les cinq ans de «# MeToo », ajouta le philosophe. «  Politiques » tous les prix littéraires le sont, a fortiori le plus important d’entre eux et, juré Goncourt, Bruckner le sait mieux que d’autres. Il est possible que seule la qualité de la littérature d‘Annie Ernaux ait joué un rôle dans l’attribution du Nobel 2022, mais j’en doute. On voit bien qu’il s’agit d’un choix « politique » : du vrai-grand « politiquement- correct ». Une sorte d’apothéose du mouvement # Me Too. Qui en France n’est pas femme devra désormais redoubler de patience s ‘il veut atteindre ses objectifs.J.M.G.Le Clezio et Patrick Modiano se verraient-ils attribuer le Nobel aujourd’hui ? Pas sûr. Lectrice encore, lectrice d’abord,je note que va prospérer une seconde forme de bêtise ( le patriarcat étant la première) : le matriarcat ou le féminisme obligé, cette priorité accordée aux femmes va sévir partout. Des femmes évidemment exemplaires parce que femmes ; supérieures aux hommes,elles rendent le féminin tendance, un point c’est tout.

Sandrine Rousseau très peu pour moi. Le néo-féminisme Français comme la caricature obligée des nouvelles relations hommes-femmes, non merci. Cet homme jamaispremier ministre, jamais plus couronné, ou exceptionnellement, au Goncourt, au Renaudot, au Nobel, non merci. Cet homme partout obligé de mettre en avant son comité de direction composé majoritairement de femmes, non merci. La parité comme base d’une bonne organisation, cette plaisanterie. Le voile en France tel une preuve de l’émancipation des épouses et filles d’immigrés, non merci. La publicité télévisée qui, ayant peur de perdre son influence, son fric en somme, et qui, à longueur de courts- métrages montre une France ou seules les femmes décident,paient, conduisent, déménagent, organisent ; avec, dans ce paysage idyllique, un compagnon non blanc pour ajouter aux vertus du « bon » genre, celles, tout aussi valorisantes, des « bonnes couleurs » de peau : non merci. Face à ce rouleau - compresseurdel’imbécillité heureuse, Picasso aurait pleuré puis recréé un « Guernica » pour les femmes d’Iran et leur beauté héroïque, leurs yeux profonds comme une révolution. A ce courage fondateur et inspirant, qui nous fait rougir, nous autres, françaises à l’abri : oui, trois fois oui.

Cet artiste évoqué par Camusdans son discours de Suède, je ne le vois pas obligatoirement femme. Son genre importe peu, son art en revanche est essentiel, que deviendrions nous sans lui quand la haine, le mépris sont partout ? «  le romancier est une sorte de voyant et même de visionnaire » déclara Patrick Modiano en 2014 à Stockholm. Est-il possible d’apprécier certains livres d’Annie Ernaux ( par exemple « Les années » (Folio), ou plus récemment « Le jeune homme » (Gallimard), texte ultra-court révélant qu’un vieux s’affichant avec une jeune femme choque moins qu’une vieille tenant la main d’unpetit gars amoureux : « Un dimanche, à Fécamp, sur la jetée près de la mer, nous marchions en nous tenant par la main. D'un bout à l'autre nous avons été suivis par tous les yeux des gens assis sur la bordure de béton longeant la plage. A. m'a fait remarquer que nous étions plus inacceptables qu'un couple homosexuel » « L’acuité clinique » vantée par le Comité Nobel s’agissant du style descriptif d’ Annie Ernaux estévidente dans cette séquence.J’avoue ne pas être toujours sensible à cette forme d’écriture, qui, à force de faire semblant d’être plate (« sans jugement, sans métaphore, sans comparaison romanesque ») le devient parfois malgré elle. Phénomène prévisible lorsque l’imaginaire de l’auteur(e) est -volontairement- absent. Victime des apparences, j’ai parfois pris la neutralité du texte pour argent comptant, si bien qu’il m’est -hélas- arrivé d‘affronterquelques difficultés à finir tel ou tellivre d’Annie Ernaux, par le fait d’uneprose volontairement étale. En tant que lectrice professionnelle, le rythme me parait fondamental en littérature, comme l’est, par exemple,le trait en peinture. Michel Houellebecq me parait ainsi un poète et romancier très puissant .« Anéantir » n’a pas rencontré le succès escompté? So What ?« Soumission », « La Carte et le Territoire », « Plateforme », entre autres morceaux d’anthologie font de cet auteur le Nobel type, peintre hyperréaliste d’une époque à la dérive qu’il est le seulà savoir exprimer dans sa diversité, sa totalité mouvante, changeante, et ses paradoxes. Chez Houellebecq, la surprise sémantique explose à chaque phrase  : « Jusqu'au bout je resterai un enfant de l'Europe, du souci et de la honte ; je n'ai aucun message d'espérance à délivrer. Pour l'Occident je n'éprouve pas de haine, tout au plus un immense mépris. Je sais seulement que, tous autant que nous sommes, nous puons l'égoïsme, le masochisme et la mort. Nous avons créé un système dans lequel il est devenu simplement impossible de vivre ; et, de plus, nous continuons à l'exporter » (/Plateforme/Flammarion)

Mais Houellebecq a le mauvais genre. En outre, « politiquement inclassable », ilsemble apprécié de nombreux lecteurs de sensibilité conservatrice. Et c’est peut-être, finalement, ce qui lui a porté préjudice dans l’obtention du Nobel au profit d’Annie Ernaux ? », s’ interroge un lecteur professionnel.Certes, Annie Ernaux faisait partie des favorites, et le Nobel devait se faire pardonner certains faux-pas rédhibitoires, mais tout de même. A-t-on le droit d’apprécier un écrivain sans qu’il soit pour autantimmortalisé par le Nobel ?Peut -on encore parler de l’œuvre et de son apport global sans que cela renvoie pour autant aux cinq ans de «# Me too » ?« Chacun doit être le même et avoir les mêmes réactions face à n'importe quelle œuvre d'art, n'importe quel mouvement, n'importe quelle idée, et si une personne refuse de se joindre au chœur de l'approbation, elle sera taxée de racisme ou de misogynie. C'est ce qui arrive à une culture lorsqu'elle ne se soucie plus du tout d'art.»( Bret Easton Ellis : « White »). Encore un conservateur, pas assez progressiste ?

Le principe féminin érigé en impératif catégorique, non merci. La dictature du féminin, non merci. Femme Française, je n’oublie pas la France, la paix qui est notre arbitrage historique favori, celui qui nous réussit le mieux- pas la belligérance, la défense des droits humains, le respect de l’autre, la paix, disais-je. « Durant la campagne électorale, l’écrivaine (Annie Ernaux NDLR) a pris la parole à plusieurs reprises, notamment pour apporter son soutien à Jean-Luc Mélenchon et à son Union populaire » (cf. L’Express) Le néo- féminisme de la France Insoumise qui repère l’ennemi par sa couleur de peau, sa race, son genre : non merci. L’électoralisme islamo -gauchiste, non merci.« Camus se lève, donc. Quatre mille personnes tendent l'oreille. Il ne harangue pas, il veut parler aux intelligences et il veut parler aux cœurs aussi. Il veut atteindre cet endroit fragile qui est le point de contact entre le cœur et l’intelligence. Il veut faire entendre une voie différente «au milieu d'un monde desséché par la haine». Il parle du courage de la mesure. (…)Il met en garde contre les idéologies. Il se méfîe. Il a une méfîance atavique, viscérale « de leur raison imbécile ou de leur courte vérité ».Il dit : «II n'y a pas de vie sans dialogue.» II dit que le dialogue est remplacé aujourd'hui par la polémique, que «ce siècle est le siècle de la polémique et de l’insulte». (…)(…) la nuance n'est pas le compromis, ni le maquignonnage. Elle est le courage suprême. »(« Le voyant d’Etampes»/ Abel Quentin/ L’Observatoire/ 2021).

Et Salman Rushdie ? Le Nobeleût été pour cet écrivainimportant,cible d’une fatwa iranienne et récemment victime d’un attentat ui faillit lui couter la vie la preuve d’une admiration et d’une solidarité mondiales,qui auraient montré à la terre entière que l’Islamisme radical ne passait plus. On n’en parle plus dans les rangs du Nobel« rafraichi » ?Même pas après la créationd’une commission en charge d’évaluer dans chaque pays, la prose de tel ou tel ?

On aime -ou pas-la littératured’Annie Ernaux, on apprécie ou pas qu’elle ait été choisie parl’Académie suédoise face à Salman Rushdie et Michel Houellebecq. Les conséquences de cettevictoire politique du féminisme, -surtout en France ? Une bien- pensance obligatoire. La vie genrée.

Annick GEILLE

Lire et relire aussi :

Annie Ernaux « Les Années »(Gallimard- 2008)

Annie Ernaux « Le jeune homme » (Gallimard-2022)

Michel Houellebecq « La carte et le territoire (Prix Goncourt 2010/Flammarion)

Michel Houellebecq « Anéantir » Flammarion /2O21

Salman Rushdie : Les versets sataniques / Pocket 2000

Salman Rushdie : « Joseph Santon ( autobiographie) » Folio 2013

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