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66 millions de procureurs de l’action du gouvernement mais combien de gouvernants assumant leurs responsabilités ?
©Yoan VALAT / POOL / AFP

Et combien de victimes

En fustigeant les "66 millions de procureurs" que compterait la France, Emmanuel Macron semble refuser de se retrouver - lui et le gouvernement - sur le banc des accusés. Et ce, malgré les nombreuses erreurs du pouvoir depuis le début de la crise sanitaire.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Pour Emmanuel Macron, la France compte "66 millions de procureurs". Il reprend ainsi la formule bien connue des 66 millions de sélectionneurs que l’on entend pendant les événements sportifs internationaux. Alors que l’épidémie bat son plein, est-ce un nouveau faux pas en termes de communication politique ? 

Arnaud Benedetti : C’est d’autant plus incompréhensible que la société française prouve sa maturité dans l’acceptation d’une situation inédite où elle subit de nombreuses contraintes, dont certaines sont loin d’être fondées. Emmanuel Macron a commis une quadruple faute : tout d’abord dans un moment où toute la nation participe à l’effort général dans l’adversité, le devoir d’un chef c’est d’abord de galvaniser son peuple sur ses vertus et sur ses qualités ; lui, fait le choix, hautement discutable encore, de "cliver", d’ "antagoniser" ses relations avec les Français en généralisant sur des stéréotypes de "café du commerce". Ensuite, ses propos induisent, voire certifient que ce président n’apprend pas de ses erreurs passées, et que quelques sondages bienveillants suffisent à dévoiler un chef de l’état polémiste, voire provocateur alors que sa mission devrait exclusivement en ces temps sans visibilité être consacrée à apaiser et à rassembler. Il renoue avec une communication qui laisse entrevoir du mépris, réactive la mémoire d’un personnage sans proximité et empathie, qui ne conçoit sa relation avec le corps social qu’au travers d’une tension. En d’autres termes il offre l’image dégradée d’un chef de l’État qui n’aimerait pas son peuple, inapte à stabiliser son rapport avec celui-ci, confirmant ou ossifiant le sentiment qui a nourri nombre de catégories de perceptions à l’occasion de la crise des gilets jaunes, notamment.

Enfin, il oublie que le droit à l’erreur qu’il revendique pour l’action publique non seulement ne s’applique pas, ou que très rarement au citoyen dans sa relation avec l’administration mais qu’en outre la force de la démocratie consiste à "ne respirer que dans la non-unanimité "comme l’écrivit un jour Julien Gracq. Last but not least, il ne peut ignorer le fonctionnement du système médiatique qui en boucle ne retiendra que la phrase la plus allergisante, la plus " scandaleuse" en quelque sorte d’un discours plus large. À force de laisser échapper les traits de sa personnalité, de sa nature, il oublie ainsi qu’un homme d’Etat, bien plus encore que l’homme ordinaire, doit se contenir, s’empêcher.

Qu’est-ce que cette déclaration raconte de la relation d’Emmanuel Macron à la critique ? Estime-t-il qu’il n’a pas de compte à rendre ?

Il entrouvre la porte à une drôle d’autocritique. Comme il entend sans doute la méfiance des Français quant à la qualité de l’action de son gouvernement durant toute cette crise, il reconnaît l’erreur sans la reconnaître vraiment. Il invoque un vague droit à l’erreur, façon de reconnaître implicitement que tout n’a pas été parfait dans la conduite des événements mais sans réellement avouer sa responsabilité et celle de la puissance publique dans les nombreux dysfonctionnements qui ont émaillé la réponse à cette épidémie. Cet entre-deux admet la faillibilité de l’État mais se refuse à en imputer la responsabilité à l’action ou inaction de ceux en charge de le diriger. Le président banalise l’erreur, la normalise, alors que pendant ce temps le coût humain, économique et social de l’épidémie ne cesse de s’aggraver, non seulement par la dynamique propre de cette dernière, mais aussi parce que le pouvoir et son administration ont insuffisamment anticipé comme semble l’accréditer une campagne de vaccination aléatoire. Emmanuel Macron n’est pas insensible à la critique ; bien au contraire la dénégation énergique qu’il met en œuvre pour la refuser démontre qu’elle paraît le " travailler ", voire le blesser. Dans les faits psychologiques, il semble même en faire grand cas, comme s’il se sentait " agressé " par celle-ci, ne parvenant pas à la tenir à distance pour l’évaluer et la traiter comme une matière à recycler pour en faire une ressource politique dans sa relation avec l’opinion et aussi dans la construction de son action politique.

Dans sa relation à la critique, il attache trop d’importance à son ego et insuffisamment à sa fonction, il n’entretient pas cette distance entre son Moi et sa charge indispensable à la maîtrise de l’exercice du pouvoir, il ne dissocie pas sa personnalité propre de la personne du monarque. La critique, de ce point de vue, lui paraît peu supportable, alors qu’elle est consubstantielle à la vocation du politique, à fortiori du politique démocratique, et qu’elle est d’autant plus nécessaire dans l’espace public que les institutions de la cinquième République ne facilitent pas nécessairement le fonctionnement des contre-pouvoirs institutionnels. Emmanuel Macron par sa pratique du pouvoir condense tous les aléas d’un système vertical qui renâcle en effet à rendre compte et à intérioriser le libre-arbitre de la société.

Si le gouvernement était dans une transparence totale, les "66 millions de procureurs" auraient-ils été aussi critiques ? 

Tout d’abord, cet amalgame invalide la prétention à la "pensée complexe" dont aiment à se prévaloir le président et son entourage. Mais en effet cette crise a mis à jour un processus très lointain de dégradation de la parole publique. Avec la crise sanitaire, ses épisodes successifs sur les masques, les tests, les vaccins, le pouvoir s’est montré plus soucieux de se protéger que d’entretenir une relation adulte avec l’opinion, à l’instar de ce qu’a pu faire madame Merkel en Allemagne. En retour, le boomerang est plus intense sans doute en France qu’ailleurs, pays de forte conflictualité certes, mais dont la tradition critique populaire est dopée par un exercice du pouvoir qui cogère peu, laisse peu de places aux contre-pouvoirs et aux corps intermédiaires, et qui confond trop souvent la raison d’état avec une culture de la dissimulation et du secret peu propice à l’épanouissement démocratique. Macron pratique une forme de mitterrandisme à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, ce qui est devenu structurellement obsolète. À ne pas vouloir amender, réformer cette disposition, il hypertrophie un système de gouvernement dont il hérite, mais qu’il eut mieux fait de transformer pour accomplir sa promesse avortée d’un "nouveau monde". La démocratie française qu’il incarne reste confinée dans les habits monarchiques mais sans la force attractive du charisme du Roi et sans la symbolique "thaumaturgique " de ce dernier. Emmanuel Macron règne mais ne guérit pas. Et la guérison en démocratie c’est la combinaison de l’humilité et du devoir de vérité, deux notions dont l’opinion dans de larges segments ne paraît pas créditer le chef de l’État. 

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