65% des Français opposés à une aide financière à l’Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Mémorial improvisé pour les victimes des récentes violences en Ukraine.
Mémorial improvisé pour les victimes des récentes violences en Ukraine.
©Reuters

Sondage Ifop exclusif

Si la crise ukrainienne suscite de l'empathie au sein des Français, ceux-ci ne semblent pourtant pas près à porter la main à la poche pour aider l'ancien pays soviétique. C'est ce qui ressort d'une enquête Ifop pour Atlantico selon laquelle 67% des Français sont opposés à l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Selon un sondage Ifop pour Atlantico, 65% des Français sont opposés à l'idée d'une aide financière apportée par la France et l'Union européenne à l'Ukraine, 67% sont contre une entrée du pays dans l'UE. Quelle est la portée de ces résultats ?

Jérôme Fourquet : Il y a deux dimensions. Il y a, d'une part, le regard porté sur la situation ukrainienne. On a vu que les images choquantes avaient ému la population française, il y a pu y avoir un élan de sympathie vis-à-vis de cette révolution. Pour autant, cette bienveillance ne va pas jusqu'à susciter un élan de générosité, tant en terme de soutiens financiers que d'ouverture des portes de l'Europe à cette nation qui campe à nos marches. D'autre part, on s'aperçoit que les Français sont très eurosceptiques et qu'ils sont très réticents à davantage d'avancée européenne. Même s'il y a un courant d'empathie vis-à-vis de l'Ukraine, quand on s'attarde à la situation française, il apparaît urgent pour une large part de nos concitoyens de ne pas rajouter de difficultés aux difficultés.

Les deux tiers Français sont ainsi opposés à un plan d'aide financière alors que l'on est "à chaud" : on aurait pu penser que le courant d'empathie serait plus fort. A l'inverse, en 2010, deux tiers des Français étaient favorables à un plan d'aide à la Grèce. On est dans des proportions exactement inverses. Comment peut-on l'expliquer ? Les Français considèrent peut-être que les Grecs sont plus européens que les Ukrainiens. Surtout, ce qu'il ne leur aura pas échappé, c'est que la Grèce fait partie de la zone euro et qu'il était dans l'intérêt de la France, même si c'était coûteux, d'aider l'un des "maillons faibles" pour éviter que tout l'édifice ne s'effondre. En outre, il y a eu un effet d'accumulation. Les Français ont été sollicités de nombreuses fois pour aider la Grèce, mais aussi le Portugal. Ils ont l'impression de payer sans cesse et que le retour sur investissement n'est pas évident : si la crise apparaît relativement sous contrôle, l'édifice européen ne semble pas délivrer toute une série d'avantages à notre pays.

(Cliquez sur les tableaux pour les agrandir)

Ces résultats s'inscrivent-ils dans un désaveu général du sentiment européen ou sont-ils vraiment liés au cas particulier de l'Ukraine ?

Les Français sont beaucoup moins disposés à aider l'Ukraine qu'ils ne l'étaient à aider la Grèce. Pour autant, ils sont beaucoup plus favorables à une entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne qu'à une entrée de la Turquie. On est dans une série de cercles géographiques concentriques. LE premier cercle est la zone euro, et donc la Grèce. Ensuite il y a l'Europe culturelle, avec une communauté de références, de valeurs, auquel l'Ukraine, par certains aspects, ferait partie. Et puis il y a la Turquie, dont on évoque une entrée dans l'UE depuis beaucoup plus longtemps. On a ici une traduction de ce que l'on met derrière l'appartenance à l'Europe, notamment les références chrétiennes.

L'autre élément qui pourrait expliquer le refus de l'entrée de l'Ukraine dans l'UE, et encore plus de la Turquie, ce sont les disparités de niveau de vie qui sont perçues. On entend en permanence les problèmes liés au pays d'Europe centrale, avec les Roms, le dumping avec une fiscalité qui n'a rien à voir, etc. L'intégration de l'Ukraine ne serait aucunement comparable à l'entrée de la Slovénie dans l'UE, un petit pays relativement prospère de 2 millions d'habitants. L'Ukraine compte 45  millions d'habitants avec un niveau de vie plus proche que celui des Roumains ou des Bulgares que des Luxembourgeois ou des Français. La métaphore ou la grille d'analyse qui fonctionne est celle de la barque déjà très fortement chargée. On a accepté dans des périodes de bonne santé économique, un élargissement tout azimuts que l'on n'arrive pas à digérer aujourd'hui. Il y a des problèmes de gouvernance et de ressources et des disparités de niveau de vie. L'Europe est éclatée entre le Nord et le sud, mais aussi entre l'Est et l'Ouest.

Quand les Français voient leur intérêt et pensent au fonctionnement européen, ils estiment qu'il est utile d'attendre. L'argument qui voudrait qu'il faille aider maintenant les Ukrainiens, pour éviter qu'un pays aux portes de l'Europe n'entre dans une crise profonde, voire une guerre civile, à l'image de ce qui s'est passé en Yougoslavie avec tous les problèmes que cela a entraînés, notamment en matière de trafic d'armes ou de trafic d'êtres humains par exemple, n'est pas entendu.

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Existe-t-il une vraie différence entre les sympathisants de gauche et de droite sur ce sujet ?

Sur l'entrée de l'Ukraine dans l'UE, quasiment un électeur de gauche sur deux y est favorable, contre seulement 25% à l'UMP. Le Modem et l'UDI sont plus ou moins au même niveau que la gauche. On voit donc réapparaître un vrai clivage européen au sein de la droite. Il y a un vrai différentiel à ce niveau-là. Néanmoins, même au sein des familles politiques très pro-européennes, UDI, Verts, l'électorat est coupé en deux sur la question d'une adhésion ukrainienne. Même pour eux, faire entrer dans l'union un pays de 45 millions d'habitants, avec toutes les difficultés qui sont les siennes, n'est pas la priorité des priorités. On a toute une tradition européenne de droite, atlantiste et anti-communiste. Mais aujourd'hui, l'électorat de base de l'UMP n'est pas du tout sur cette ligne. Celle-ci est réduite à portion congrue puisque seulement un quart des sympathisants est favorable à l'entrée de l'Ukraine dans l'UE. L'électorat de base, à trois-quarts, est plutôt sur une position souverainiste.

On a le même clivage concernant un éventuel plan d'aide à apporter à l'Ukraine : 55% au PS, 55% à l'UDI et 31% à l'UMP, et 10% au FN. L'UMP est donc vraiment entre l'UDI et le FN sur ces questions-là, mais avec une majorité qui penchent très largement dans le camp du non. Le centre de gravité s'est déplacé à droite, sur l'axe souverainiste et eurosceptique. On paye la crise de la zone euro qui a laissé beaucoup de traces mais aussi, avec retard, les conséquences de l'élargissement à l'Est au début des années 2000. L'entrée de la Pologne, de la Roumanie, des pays baltes, etc. est plus lourde que prévu à gérer. 


Méthodologie

Propos recueillis par Sylvain Chazot

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